Coup de tonnerre dans le Bordelais : Château Latour quitte le système des “primeurs”

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âteau Latour (Photo : Remy Gabalda)

[16/04/2012 16:33:40] BORDEAUX (AFP) Château Latour, un des cinq premiers grands crus classés 1855 du Médoc, a décidé de quitter le système unique à Bordeaux de vente en primeur aux négociants pour commercialiser désormais à sa guise, une première qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le cercle des grands crus bordelais.

Château Latour vient de briser le système dit des “primeurs”, une règle de longue date à Bordeaux, instaurée pour aider les propriétés à vendre leur vin. Il permet aux particuliers et aux maisons de négoce d’acheter aux propriétés le vin près de deux ans avant sa mise sur le marché, à la fin de la période de maturation.

Ce système a l’avantage de donner aux propriétés une visibilité commerciale instantanée après la récolte et leur apporte une garantie financière immédiate avec le paiement d’un produit non encore commercialisé.

Les négociants, qui achètent à tarif préférentiel après l’officialisation de l’acte de vente par un courtier, effectuent ensuite de confortables marges en échange d’une promotion et d’une distribution pointue vers de nouveaux marchés.

Mais, avec les envolées de prix dues à la spéculation entre la vente en primeur et le prix de mise sur le marché, Château Latour voit une substantielle marge lui échapper.

Par exemple, un Latour 2008 en primeur s’est vendu 150 euros la bouteille mais celle-ci se négocie aujourd’hui à près de 800 euros.

“Simple calcul mercantile”, s’indigne un courtier de la place de Bordeaux, qui n’est cependant pas surpris de cette décision puisque “depuis des années, Latour met peu de vin en vente lors des primeurs et attend qu’il soit bon à déguster avant de le proposer au négoce au prix du marché”.

Le directeur de Château Latour, Frédéric Engerer, avance un argument différent dans son courrier envoyé vendredi aux courtiers et négociants de Bordeaux : “Répondre à la demande croissante des amateurs pour des vins prêts à boire après conservation optimale à la propriété” car, estime-t-il, “nos vins sont bus trop vite”.

Un argumentaire balayé par un négociant bordelais: “Ils ne veulent pas passer à côté des marges des distributeurs”, peste-t-il. “Ils veulent valoriser leur stock, faire un produit très haut de gamme et être le plus cher des grands crus”, ajoute-t-il.

Le milliardaire et fondateur du groupe PPR, François Pinault, qui a acheté en 1993 Château Latour, un des cinq premiers grands crus classés 1855 avec Lafite Rothschild, Margaux, Mouton Rothschild et Haut-Brion, est également propriétaire de la maison de vente aux enchères Christie’s et pourrait ainsi y vendre son vin, souffle ce négociant.

Un autre fait part de sa “crainte que d’autres grands crus lui emboîtent le pas” mais, ajoute-t-il, “seuls ceux qui ont une notoriété suffisante pourraient se le permettre”.

Cette décision est “prise avec beaucoup de scepticisme”, assure un courtier spécialisé dans les grands crus. “Le risque est que le marché se détourne de ce vin-là et se tourne vers d’autres premiers grands crus. La marque risque d’être moins visible et moins lisible, l’amateur ne saura plus où et quand l’acheter et surtout le paiera très cher”, explique-t-il.

“C’est un effet d’annonce important, mais attendons de voir”, avance, prudent, un autre courtier. “Ils disent qu’ils ne mettront le millésime 2012 sur le marché que lorsqu’il sera prêt à boire, mais encore faut-il qu’ils aient l’espace de stockage sécurisé suffisant pour attendre”, estime-t-il.

Il rappelle que Château Yquem, premier grand cru supérieur 1855 de Sauternes, avait à sa demande rejoint le système des primeurs en 2004 car malgré sa renommée internationale, il “perdait en visibilité”.