«La première chose sur laquelle nous plancherons au Al Hizb Al Jomhouri, c’est de redonner espoir au peuple et de l’avenir à la jeunesse, et cela se fera par du concret et non par des discours creux et dénués de consistance». C’est Slim Azzabi, membre du bureau exécutif du nouveau parti né de la fusion entre le PDP, Afek, le Parti Républicain et d’autres partis, qui s’exprime ainsi. Slim Azzabi est expert en finance et particulièrement en Assurance et en Actuariat, et c’est peut-être ce qui explique son discours concret et pragmatique, sobre et sans dogmes. La génération Slim Azzabi, écartée volontairement de la politique par le régime Ben Ali, s’est réconciliée depuis la chute de celui-ci avec le travail politique. Et pour ceux qui parlent de l’absence d’alternative, l’alternative est là, il suffit de la regarder faire. Car, des fois, elle est plus efficace que tous les courants politiques qui estiment que leur légitimité historique peut à elle seule représenter l’alternative. Trop peu pour le peuple tunisien.
Slim Azzabi est membre fondateur du Parti Républicain et depuis le 9 avril dernier, membre élu du Bureau exécutif du parti Al Joumhouri issu de la fusion du PDP, Afek Tounès et le PR.
Entretien
WMC : Pourquoi la fusion avec Afek et le PDP?
Slim Azzabi : Depuis le 14 mars 2011, date de l’obtention de notre visa, l’idée de fusionner avec d’autres partis qui partagent nos valeurs ne nous a jamais quittés. Nous étions le 45ème parti sur place et il était facile de deviner que l’électorat allait être dispersé entre tous ces partis naissants. Nous ne doutions pas alors qu’on allait avoir plus de 100 partis comme candidats aux élections. Nous sommes jeunes, nous n’avions pas d’expérience politique, c’était tout simplement une question de bon sens. Il fallait réduire les acteurs politiques sur place par des alliances et des fusions pour faciliter aux électeurs l’identification de leurs élus.
Nous avions alors tenté à plusieurs reprises de nous unir aux courants de la famille politique à laquelle nous appartenons, celle des démocrates progressistes. Nous avons opté pour le Pôle démocratique moderniste (PDM) qui répondait le plus à nos orientations et qui ne se souciait pas de leadership.
Après les élections du 23 octobre, l’échec nous a appris qu’appartenir à une composante politique portant les mêmes valeurs sous des noms différents n’était pas aussi porteur que nous le pensions. Nous avons constaté que parmi les causes de notre échec, il y avait le manque de discipline, d’organisation et de hiérarchisation. Nous avons payé très cher l’absence d’une cohérence organisationnelle.
Dès que nous sommes sortis des élections, nous avons estimé que plus que l’union, il fallait proposer un programme politique à l’intérieur d’un seul parti structuré, organisé, démocrate et cohérent pour qu’il soit capable de porter notre projet. Sans une machine organisationnelle bien huilée, efficiente et omniprésente, aucun parti ne peut tenir le coup. Nous voulions convaincre le Pôle de se convertir en un seul parti mais sans succès. Lorsque nous avons été approchés par Afek et le PDP pour constituer un seul parti, nous avons acquiescé, car nous sommes idéologiquement assez proches d’Afek et nos orientations sont cohérentes avec celles du PDP.
Nous avons entendu 3 discours samedi 7 avril, celui de Maya Jeribi, aujourd’hui secrétaire générale du Hizb Al Jomhouri, classique, un petit peu long et qui a relaté l’historique du PDP et fait un état des lieux de ce qu’est aujourd’hui la Tunisie politique, celui de Mohamed Louzir, un peu plus pragmatique et qui annonçait les couleurs de ce que sera le nouveau parti, et le vôtre, concret, réaliste et qui donnait presque la vision du parti et ce qui doit changer dans ses pratiques. Comment pensez-vous pouvoir fusionner les trois discours au même titre que les partis?
Il faut replacer l’intervention de Maya Jeribi dans son contexte. Pour elle et pour les anciens PDP, c’est le premier véritable congrès sans police politique et sans encerclement des forces de l’ordre. Pour elle, c’était un moment solennel, elle était totalement investie de son rôle de SG, son discours était écrit, lu et formel. Elle a voulu exposer l’historique du PDP et faire le point sur le bilan du parti aux militants et adhérents dans un congrès populaire. Dans d’autres meetings, ses discours sonnent moins graves.
Notre approche à nous était de dire que le fait que l’opposition s’oppose, c’est bien mais qu’elle propose, c’est encore mieux. Pour nous, il ne s’agit pas de s’unir pour s’unir, ce qui importe, c’est d’améliorer le quotidien des Tunisiens par des propositions concrètes. Les partis confondent entre leur rôle de partis politiques et celui des associations. Les deux réagissent de la même manière, ou sur-réagissent par rapport à des faits qui ne le méritent pas et des fois, partis et associations ne prennent pas position à l’encontre de pratiques ou de faits exigeant pourtant leur mobilisation. Il est aujourd’hui indispensable de faire la différence entre ces deux composantes de la société civile, les partis politiques sont là pour s’opposer bien sûr mais surtout pour proposer. Sinon quelle alternative offrirons-nous à nos compatriotes et électeurs?
Justement, que comptez-vous offrir aux Tunisiens?
Nous estimons que l’on ne peut donner le change aux Tunisiens et récupérer leur confiance qu’en remplissant 4 conditions: un appareil politique solide, intègre et transparent, un programme cohérent et concret, une vision et des solutions compréhensibles et simples qui changent la vie quotidienne des gens et une présence dans les 264 délégations du pays. Toute alternative doit remplir ces conditions-là.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore devenus l’alternative. En tant que jeunes qui pratiquent la politique, nous voulons amener le politique sur le terrain de la vie quotidienne. Nous sommes encore dans la réaction, nous voulons être dans l’action et dans la proposition. Ce qui revient à dire que nous n’avons pas la main sur la vie politique et sociale dans notre pays.
Comment comptez-vous, en tant que jeune génération, avoir la main et mettre fin à des pratiques politiques révolues, dépassées et inefficientes et à des classes politiques qui revendiquent leur légitimité historique comme un argument qui pourrait justifier toutes leurs actions/réactions même lorsqu’elles ne sont pas justifiées et convaincantes?
Notre argument à nous est le pragmatisme politique. Lorsque nous étions tout comme Afek seuls, on nous narguait en nous disant, “vous n’avez pas la légitimité historique“. Aujourd’hui en fusionnant avec le PDP, nous estimons que nous sommes dans la complémentarité. Nous prenons le tout, histoire, points forts et points faibles, pour construire un parti qui ressemble à la Tunisie. Notre idéologie est le pragmatisme, et notre maître-mot le mérite.
Bâtir un parti sur le mérite, c’est le seul moyen qui permettrait à un militant de passer du statut de simple militant à celui de leader, et pour cela, nous avons négocié avec nos partenaires du PDP un règlement intérieur et une démocratie interne implacable. Nous en avons verrouillé les mécanismes pour éviter toute complicité déplacée ou passe-droit.
Al Hizb Al Jomhouri s’articulera autour de conseils régionaux, autonomes financièrement et administrativement et dans lesquels les décisions seront décentralisées sauf dans les zones prioritaires où la centrale doit s’impliquer et veiller à renforcer ses représentations pour y créer une dynamique.
Comment comptez-vous instaurer de nouvelles traditions en matière de meilleure gouvernance et de transparence financière? Car aujourd’hui, d’où vient l’argent pour le financement des partis et comment il est géré? C’est une question d’intérêt public, elle ne relève plus de la sphère privée des dirigeants des partis qui doivent rendre compte de ce qu’ils font des fonds provenant des adhérents et des donateurs?
Vous avez tout à fait raison, la transparence est indispensable, et je dirais même la traçabilité. Il faut être en mesure de tracer au centime près l’ensemble des dépenses collectées dans le cadre du parti. Cela a figuré parmi les points que nous avons discutés lors des négociations pour la fusion. Nous nous sommes engagés dans cette fusion, et la fusion est comme le mariage, on se marie pour le meilleur et pour le pire.
La situation financière du PDP n’est pas la même que celle de Afek Tounès ou du Parti Républicain, mais quand nous avions décidé l’intégration, nous savions ce qu’il en était exactement du PDP. A partir d’aujourd’hui, nous œuvrerons tous pour plus de clarté et nous plaiderons pour l’accès de nos militants et adhérents à toutes les informations financières du parti.
Si tout le monde parle de e-government, ce n’est certainement pas pour que nous, nous ne donnions pas l’exemple en matière d’accès à l’information et transparence des comptes. Cela peut même être une variante du choix électoral. Il y a des électeurs qui voudraient savoir d’où arrive l’argent qui va dans les caisses de leur parti, ils peuvent avoir des positions de principes par rapport à certains financements, et c’est leur droit le plus absolu.
Comment comptez-vous y réussir?
C’est très simple, nous comptons mettre en place une équipe structurée et salariée. La finance ne s’invente pas, il faut des experts et le nouveau parti aura son administration dédiée et complètement déconnectée de la politique. Le bureau politique peut changer, l’administration reste. Il faut tout mettre en œuvre, la communication doit être développée à l’intérieur du parti beaucoup plus qu’à l’extérieur. Les militants doivent être au courant de tous les détails et en temps réel.
Comment vous voyez-vous vous positionner en tant que jeunes leaders politiques au sein de ce nouveau parti au delà de la «légitimité historique» de vos ainés et surtout au niveau de la communication externe au nom du parti?
Il y a eu consensus au niveau du Al Hizb Al Jomhouri, pour éviter toute défaillance de la communication, afin qu’il y ait des preneurs de paroles attitrés. Ces personnes doivent être en mesure de porter le message du parti, ils font tous partie du bureau exécutif formé de 17 membres et dont 7 sont des nouveaux. Saïd El Aydi, Riadh Mouakhar, Selim Azzabi, Wissem Essghaeir, Yassine Ibrahim et d’autres. Et puis il y a les cadres du parti qui pourront chacun s’exprimer dans sa discipline. Il s’agit de donner l’image d’une équipe pluridisciplinaire dont les profils et les compétences sont différents et qui militent tous pour la même cause.
Il ne s’agit pas du tout d’avoir tous le même avis, les dissensions peuvent exister à l’intérieur d’une même entité. Il faut que cela se règle démocratiquement et par des arguments convaincants. Nous voulons offrir à la Tunisie une image collégiale d’équipe.
Les cadres régionaux ont le droit de s’exprimer dans le respect de la charte. Pour prévenir toute tension issue de la différence de points de vue -car il faut du temps pour que les fusions s’intègrent réellement-, nous avons mis en place une instance de médiation. Cette instance doit pouvoir anticiper et prévenir toutes les dissensions. Il y a également une instance disciplinaire pour prendre les décisions adéquates dès lors qu’il y a défaillance de la part de l’un des membres, tout cela pour éviter le copinage et le laxisme.
Pensez-vous que vous pourriez imposer ces nouvelles règles?
Personnellement, j’y veillerais. La volonté politique y est et l’autocritique a été faite. En ce qui nous concerne, nous qui sommes dans la politique depuis une année et demi et malgré notre peu d’expérience relatif, nous avons vécu les 15 mois précédents de manière très intense, comme s’ils étaient 15 ans en France. Nous sommes plus conscients de nos défauts et nous veillerons à y remédier et surtout à préserver les compétences.
Comment comptez-vous conquérir le terrain?
En matière de légitimité, il ne s’agit pas que de celle historique uniquement, il faut que nous réussissions celle du terrain pour avoir de la crédibilité. Il faut réussir l’alliance de l’expérience et celle des compétences. Aujourd’hui, le terrain, c’est une question de moyens, moins de communication et plus de financements pour les instances du parti, plus d’argent dans les bureaux locaux des régions. Nous ne sommes pas présents sur une grande partie du territoire du pays là où nos adversaires y sont. Il faut que nous créions physiquement des liens entre la centrale et l’arrière-pays, et il faut aussi des programmes concrets. Si aujourd’hui, nous n’avons pas 2, 3, 4 propositions concrètes à soumettre aux Tunisiens, personne ne se fiera à nous. Nous avons mis en marche un plan de développement quinquennal du parti, une feuille de route pour avoir de la visibilité et proposer une vision. Ceux qui nous aident ne le feront que dès lors qu’ils savent sur quoi ils parient et où ils vont.
Les gens peuvent nous accompagner par du temps, par de l’expertise et par de l’argent, pour cela, il faut que nous gagnions leur confiance. En politique, il n’y a pas plus important que la confiance. Il faut redonner de l’espoir et proposer un avenir à ceux qui désespéraient d’en avoir. Si nous sommes incapables d’articuler cela autour d’actions concrètes, nous échouerons. Nous serons, je l’espère, toujours capables de répondre aux questions «Que va-t-on faire, comment, où et d’où viennent les financements», pour restaurer la confiance des électeurs et convaincre ceux qui se sont abstenus de le faire.