Au moment où la
Troïka, piégée par ses nombreuses diversions improductives et
décisions maladroites (provocation de débats stériles sur des questions
d’intérêt secondaire, interdiction des manifestations sur l’avenue Habib
Bourguiba…), ne fait qu’irriter, inlassablement et au fil des jours, les
Tunisiens, partant, et au moment même où l’opposition, à défaut de
professionnalisme politique (incapacité d’organiser avec succès des
manifestations, incapacité d’exploiter les nombreuses erreurs de l’adversaire au
pouvoir…), peine à présenter des alternatives crédibles, des voix indépendantes
commencent à s’élever, ici et là, pour réclamer haut et fort une troisième voie
qui commencerait, d’abord, par la mise en place d’un mouvement de pression, et
par la création, ensuite, d’un véritable grand parti démocratique qui
regrouperait tous les exclus de la scène politique.
Empressons-nous de préciser que l’idée commence tout juste à germer. Deux
figures emblématiques de la Tunisie postrévolutionnaire l’on évoquée,
indépendamment, et en ont balisé les grandes lignes.
Il s’agit de Mohsen Marzouk, secrétaire général de l’Institution arabe de la
démocratie et président de la Commission exécutive de Kawakibi democracy
transition, et Abdelfettah Mourou, figure de proue de la mouvance islamique
modérée en Tunisie.
Quelques heures après la répression sauvage de la manifestation organisée, à
l’occasion de la célébration de la Fête des martyrs, un certain 9 avril 2012, M.
Marzouk a animé, dans un hôtel de la capitale, un débat fort instructif sur
l’enjeu d’unifier, sur de nouvelles bases, le mouvement démocratique en Tunisie.
Le débat a porté, dans une première étape, sur le rendement de la Troïka et de
l’opposition.
S’agissant de la Troïka, et particulièrement de sa composante majoritaire, le
parti
Ennahdha, les intervenants ont été unanimes pour qualifier ce parti de
«stalinien» dans la mesure où il a tendance à envahir toute la scène publique,
et à s’accaparer, de manière ostentatoire, tous les pouvoirs. Pour preuve, il
œuvre à nommer, parmi les siens (nahdhaouis), les 23 gouverneurs, 164 délégués
et 800 omdas que compte le pays.
Face à la propension hégémonique manifeste de ce parti, l’opposition n’a pas
réagi et n’a pas dénoncé avec la fougue, l’intelligence et la force requises la
brutalité de ce «putsch institutionnel», a-t-on martelé au cours de ce débat.
Pis, pour les intervenants, cette même opposition semble avoir annoncé son échec
pour les prochaines échéances électorales en optant par la fusion, selon la
règle des quotas, de leurs partis de cadres, relevant que de cette fusion ne
naîtra qu’une nouvelle version de partis de cadres, des partis élitistes,
toujours déconnectés de la réalité, et surtout du potentiel électoral, jusque-là
marginalisé.
«La règle est simple: un parti de cadres qui s’ajoute à un autre parti de cadres
aboutit, en toute logique, à un grand parti de cadres. Cette tendance à acquérir
la taille critique électorale par le biais des quotas de cadres ne peut être
considérée comme une fin en soi, mais tout juste une étape sur la voie de
l’adhésion à un futur grand parti démocratique qui tire sa légitimité de la plus
large base populaire possible», a-t-il-dit.
Pour revenir sur ce potentiel électoral sous-exploité, Mohsen Marzouk l’assimile
aux communautés exclues du monde rural, des zones urbaines défavorisées
(actuellement fief des
salafistes) et à une grande partie de la classe moyenne.
Pour y arriver, les participants ont été nombreux à penser que les figures
charismatiques qui ont échoué à la tête de leurs partis, lors des élections de
l’Assemblée constituante ont intérêt à comprendre le sens de l’histoire et à
s’effacer simplement pour laisser la place à de jeunes militants efficaces et
compétiteurs.
Autre recommandation: l’opposition a tout intérêt à travailler dur ses discours
(idéologique, électoral, politique et partisan), à développer de nouvelles
stratégies de communication, à les adapter au contexte arabo-musulman tunisien,
et à s’inspirer, à cette fin, du référentiel politique national.
Ainsi, le slogan à connotation religieuse «Al Jihad Al Akbar» (le grand combat)
qu’avait utilisé le leader Bourguiba pour mener la lutte contre la pauvreté,
durant les années 60, est cité comme une belle illustration de ce marketing
politique intelligent et accrocheur.
Quant à la deuxième personnalité qui s’est prononcée pour une troisième voie, en
l’occurrence
Abdelfettah Mourou, ce dernier n’a pas manqué d’exprimer, sur les
ondes d’une radio locale, son exaspération du vide politique qui prévaut dans le
pays.
Il a déclaré en substance qu’en l’absence de véritables débats publics
crédibles, l’actuel paysage politique, y compris sa composante l’Assemblée
nationale constituante (ANC), donne à voir que les Tunisiens ne savent, hélas,
que s’insulter, et a proposé au gouvernement, pour y remédier, de mettre en
place un forum informel favorisant un débat pacifique sur les véritables
préoccupations du pays (déséquilibre régional, emploi, démocratie…).
M. Mourou a ajouté que ce forum consultatif pluriel gagnerait à être animé par
les sages du pays, de la trempe d’Ahmed Ben Salah et Ahmed Mestiri, et que
l’unique engagement à fournir pour y participer est de respecter la différence
de l’autre. «L’objectif majeur recherché est de dégager des points de rencontre
sur des questions d’intérêt national», a-t-il-précisé.
Abstraction faite de ces prises de position sur cet éventuel projet politique,
il faut dire que cette idée de troisième voie fait déjà rêver beaucoup de gens
d’autant plus qu’elle permettrait, une fois réalisée, au Tunisien marginalisé
des décennies durant de contourner l’impossibilité de composer avec le projet de
société «momifiée» d’Ennahdha, l’inutilité de voter utile pour une opposition
obnubilée par les privilèges du pouvoir et le retour des tortionnaires parmi les
anciens destouriens et RCdistes.