édition du Los Angeles Times du 18 avril 2012 (Photo : Joe Klamar) |
[19/04/2012 16:46:49] WASHINGTON (AFP) Des soldats se photographiant avec des prisonniers ou des ennemis morts, le phénomène n’a rien de nouveau. Mais les nouvelles technologies donnent aujourd’hui à ces clichés et à la vision gênante de la guerre qu’ils colportent un immense écho, selon des experts.
La photographie numérique, en permettant la diffusion large –même si elle n’est pas volontaire– d’images comme celles révélées mercredi par le Los Angeles Times de soldats américains prenant la pose avec des cadavres d’insurgés afghans, révèle la face sombre des conflits, un choc pour les civils, mais une réalité familière pour les soldats.
“Il y avait déjà de telles photos lors de la guerre des Boers”, à la fin du XIXe siècle en Afrique du Sud, souligne Anne Wilkes Tucker, commissaire d’une exposition à venir à Houston, au Texas (sud), sur la guerre et la photographie.
“J’ai vu des clichés allemands d’exécutions datant de la Première et de la Deuxième Guerres mondiales”, poursuit Mme Tucker lors d’un entretien téléphonique avec l’AFP. “Ce sont des photos de soldats dont on peut penser qu’elles étaient destinées à être rapportées à la maison”, avance-t-elle.
Mais de telles images, prises sur des pellicules qui devaient ensuite être développées et imprimées, étaient généralement partagées avec le cercle des intimes. En dehors de ce cercle, personne ne les voyait avant des années –si jamais quelqu’un d’autre les voyait un jour.
Aujourd’hui, n’importe quel soldat, avec un petit appareil numérique ou même son téléphone, peut prendre une photo et l’envoyer par courriel à ses proches et sa famille –et potentiellement, s’il n’y prend pas garde, la voir passer très vite dans le domaine public.
“La diffusion, c’est ce qui a changé aujourd’hui”, souligne Mme Tucker.
“La plupart des soldats ont accès à internet à un endroit ou un autre”, ce qui leur permet de faire partager en un clic leur vision unique du champ de bataille, abonde Matthew Seelinger, historien à la Fondation historique de l’armée, une institution indépendante basée près de Washington.
La Maison Blanche et l’Otan ont condamné mercredi les clichés révélés par le Los Angeles Times, qui dit avoir en sa possession 18 photos montrant des soldats américains posant avec des restes de kamikazes afghans.
La diffusion de ces images en rappelle bien d’autres. En janvier, une vidéo avait montré des Marines urinant sur des cadavres de talibans. En mars 2011, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel publiait des photos sur lesquelles on voyait deux soldats américains se tenant à côté d’un cadavre qui serait celui d’un civil assassiné délibérément par leur unité. En 2004, c’est la photo d’une jeune femme, souriant devant un prisonnier irakien de la prison d’Abou Ghraib, nu et tenu en laisse, qui avait fait le tour du monde.
Egalement en 2004, un groupe de soldats israéliens avait soulevé une vague d’indignation avec des clichés troublants de la seconde intifada.
“Tout comme vous prenez des photos de votre vie, nous avons pris des photos de notre vie”, a affirmé à l’AFP un de ces soldats israéliens, Yehuda Shaul, cofondateur de l’ONG Breaking the Silence (Briser le silence) qui recueille depuis 2004 les témoignages de soldats envoyés dans les Territoires occupés.
“Si vous êtes un alpiniste et que vous atteignez la cime de l’Evrest, vous prenez une photo”, a-t-il indiqué par téléphone depuis Israël. “Lorsque vous recevez un entraînement de combattant, on vous entraîne à tuer votre ennemi et lorsque vous faites cela, ne vous attendez pas à ce que je ne ramène pas un souvenir”, a-t-il assuré.
“C’est leur vie à un moment donné”, a jugé Anne Wilkes Tucker. “Avec de telles images, nous ne devons pas oublier que nous les avons envoyés là-bas pour faire cela”.