Au moins quatre cents personnes, de tous âges, se sont rassemblées, mercredi 18 avril, par petits groupes épars, sur l’Avenue Bourguiba pour une après-midi consacrée à la lecture. Quel beau spectacle!
«Le Tunisien ne lit pas, ou pas assez». Que de fois nous avons entendu ce constat qui a valeur de sentence traduisant l’énigmatique aversion du Tunisien pour le livre. Jamais effort, à tous les niveaux, n’a été ménagé en vue d’amener les jeunes, notamment, à prendre conscience de l’importance du livre et de lui accorder tout l’intérêt qu’il requiert; rien n’y a fait. A telle enseigne qu’on a baissé les bras, estimant que la télévision et surtout l’Internet sont pour beaucoup dans ce déficit de lecture. D’autres estiment plutôt que l’absence de stimulation, donc d’émulation –particulièrement de la part des parents– est la raison principale de cette désaffection pour le livre.
Et voilà qu’hier, mercredi 18 avril, agréablement servies par un beau soleil printanier, quelque quatre cents personnes, depuis le Théâtre municipal jusque devant la librairie Al Kitab, ont investi terrasses des cafés et trottoirs pour s’oublier dans la lecture d’un livre. Même ceux et celles qui n’ont pas trouvé de place, avaient plus d’un livre entre les mains, manière de dire qu’ils sont également concernés par le livre. L’appel à cette séance de lecture collective a été lancé par le réseau social Facebook. Un appel auquel ont répondu favorablement jeunes, plus jeunes et adultes. Mieux: la librairie Al Kitab a consenti, à l’occasion, une réduction de 30% sur la majorité écrasante des titres. Soit. Mais comment expliquer que Facebook a réussi là où ont échoué mille et une tentatives de réconcilier le Tunisien avec le livre? Nous n’y voyons que trois explications possibles.
Ce réseau social a déjà réussi par le passé, et à plusieurs reprises, à rassembler beaucoup de citoyens autour d’une cause quelconque, la plus importante ayant été la volonté commune de contribuer au limogeage du président déchu, un certain 14 janvier 2011. Puis, grisés par ce premier succès, les facebookers ont pris l’habitude de se concerter et de se donner rendez-vous via la toile qui en a fait des «amis». Mais maintenant, le réseau semble avoir gagné en maturité: on ne fait plus d’appels pour seulement manifester et crier sa cause, mais, mieux, pour prendre en mains l’éducation du citoyen sur les plans culturel et artistique. Et c’est justement cette émulation qui a fait tout le succès de la journée d’hier. Le spectacle, hier, était d’une beauté rare. On était soudain face à une société mûre, responsable, citoyenne, consciente de tous les défis que va devoir affronter notre jeunesse pour peu qu’elle laisse de côté ou néglige les marches vers la Connaissance. De sorte que cette séance de lecture était en quelque sorte une préparation, voire une bataille contre la passivité née de la consommation abusive des CD-Rom et des programmes TV.
Maintenant, s’il demeure certain que ce réseau social est en mesure de réussir à tous les coups, on souhaiterait d’autres initiatives du genre et tendant à émanciper un peu mieux le Tunisien dans son comportement en société et dans ses rapports avec l’autre.