Financer la dette par l’épargne, une idée séduisante mais complexe

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euros (Photo : Philippe Huguen)

[20/04/2012 15:01:11] PARIS (AFP) Mobiliser l’épargne record des Français pour financer davantage la dette de la France, comme l’envisage François Hollande s’il est élu à l’Elysée, est une vieille idée qui séduit certains experts même si sa mise en oeuvre serait, pour d’autres, coûteuse et risquée.

Juste avant le premier tour, le candidat socialiste, favori de la présidentielle, a attribué jeudi soir à l’épargne des ménages une nouvelle mission: après le financement de l’industrie et du logement, évoqué depuis le début de la campagne, il a ajouté celui de la dette publique.

“Plus on empruntera auprès des Français, moins on empruntera auprès des marchés”, a-t-il expliqué sur Canal+.

Interrogé sur les modalités, François Hollande s’est toutefois montré très prudent. Il a dit “réfléchir” à des “emprunts d’Etat”, “plus systématiques”, auprès des particuliers.

Et si sa décision d’agir est prise, “il faut voir les conditions”, a nuancé le candidat. “Pas la peine de payer plus cher une dette même si elle est souscrite par les Français”, a-t-il assuré.

Le constat est connu. D’une part, les titres de dette de l’Etat français étaient détenus, à la fin 2011, à 65,4% par des “non-résidents”, une des proportions les plus élevées de l’Union européenne. D’autre part, le taux d’épargne des ménages français a atteint l’an dernier, à 16,8%, son plus haut niveau depuis 1983.

L’Etat pourrait donc faire directement appel aux particuliers, une pratique répandue jusque dans les années 1980 et encore en vogue dans certains pays comme la Belgique, ou l’Italie qui a récemment lancé des titres réservés au grand public. Si l’idée avait été caressée par Nicolas Sarkozy en 2009, la dernière opération de ce genre remonte en France à 1993, avec l’emprunt Balladur.

“Ce sont des idées qui tournent en rond”, a réagi la porte-parole du président-candidat, Nathalie Kosciusko-Morizet, “c’est pour fuir manifestement la question de la réduction de la dette”.

En réalité, il n’est pas question dans l’esprit de François Hollande de rééditer un tel dispositif. “Par définition, un grand emprunt populaire est trop coûteux”, lâche l’entourage du candidat, interrogé par l’AFP.

En effet, pour attirer le public sur une émission de dette, l’Etat doit généralement fixer un taux d’intérêt attractif et passer par des campagnes de communication et des procédures dispendieuses, rappelle Gunther Capelle-Blancard, économiste à l’Université Paris 1.

Selon son équipe, le candidat socialiste songe davantage à des incitations pour que les obligations d’Etat françaises soient, par exemple, mieux représentées dans les contrats d’assurance-vie.

Pour le président du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi, cette “re-nationalisation” de la dette va se faire “assez naturellement”, car elle correspond à une tendance européenne.

“Le problème, c’est qu’il est préférable que les ménages aient des portefeuilles diversifiés, c’est pourquoi on exige des banques qu’elles leur proposent des valeurs variées et pas trop risquées”, estime pour sa part Gunther Capelle-Blancard, évoquant une “fausse bonne idée, coûteuse et contre-productive”.

“C’est une vieille et bonne idée mais qui est complexe à mettre en oeuvre car l’état de nos finances publiques nous laisse peu de marge pour des incitations fiscales ou autres”, reconnaît l’entourage de François Hollande.

L’équipe du candidat cite aussi des outils d’épargne plus spécifiquement tournés vers la dette d’Etat, et notamment l’exemple précis des “bons d’épargne” défendus par le fondateur d’Axa Claude Bébéar dans une récente note de l’Institut Montaigne. Il s’agirait de titres “perpétuels” proposés aux seuls particuliers avec “une rémunération égale à celle du Livret A”, qui auraient donc l’intérêt de financer la dette “à très long terme” avec “des taux de court terme”.

“L’idée n’est pas d’engendrer des mouvements massifs mais plutôt d’inverser la tendance”, insiste-t-on dans l’entourage de François Hollande.