Faire pression sur les prix en important des denrées agricoles est une solution à effet immédiat. Mais c’est une riposte provisoire aux problèmes de l’agriculture tunisienne. Quel pourrait être le rôle des petits exploitants agricoles tunisiens, demain?
La boutade “classique’’ des économistes «planificateurs», qui veut que le ministre du Commerce soit le véritable ministre des Affaires sociales, se vérifie encore une fois. Compte tenu de son pouvoir de peser sur les prix, le ministre du Commerce peut agir sur l’inflation et par conséquent sur le pouvoir d’achat. C’est donc lui, in fine qui détermine le coût de la vie et rythme le niveau des salaires.
Hélas, depuis Ahmed Ben Salah à ce jour, les interventions du ministère du Commerce n’ont pas beaucoup changé, dans leur nature, en matière de lutte contre la hausse des prix agricoles. Pour enrayer la récente flambée de ces prix dans le pays, on fait comme dans les années 60, en recourant aux importations. Il est vrai que la solution apporte une accalmie instantanée.
Sur le moment, injecter plus de quantités entraîne les prix à la baisse. Toutefois, cette stratégie soulève deux considérations. La première est d’ordre social. En approvisionnant le marché à des prix «ordinaires», dirons-nous, elle permet aux économiquement faibles de faire leurs emplettes. Mais elle n’apporte pas une solution définitive à la composante économique.
Existe-t-il d’autres moyens pour traiter le phénomène en profondeur? Il s’agit, on l’aura compris, d’éradiquer la pénurie. Et, surtout de maîtriser la hausse des prix agricoles, tout en préservant le revenu des agriculteurs. Ces derniers se plaignent de ce que les prix des produits agricoles n’aient pas augmenté sur la longue période. Et, cela a pour effet de laminer leurs revenus.
Quelle politique agricole pour demain, peut-on s’interroger ?
La carte agricole: insuffisante!
On a presque tout essayé en matière de politique agricole mais on n’est jamais allé jusqu’au bout des réformes. En dehors de l’hydraulique, toutes les réformes de la politique agricole n’ont jamais été poursuivies jusqu’à leur terme. Du temps de la collectivisation, on a bien progressé sur la voie de l’agriculture mutualiste. Les coopératives de service agricole ont bien marché. Elles n’ont plus bénéficié d’accompagnement pour leur développement.
Pour optimiser la production agricole, le pays a tenté la carte agricole nationale. N’étant pas contraignante, au moins au niveau des grandes régions, le résultat est que ce plan a eu un effet moyen.
L’agro-industrie a fait aussi des avancées importantes, mais elle n’a pas totalement transformé la physionomie du secteur. Un simple exemple peut nous éclairer de manière significative. La maltaise de Tunisie n’a pas son équivalent. C’est la variété la plus savoureuse et qui plus est la plus juteuse. Qu’a-ton fait dans la filière jus conditionnés? Pas grand-chose. Pareil pour les capacités de stockage.
Voulant éviter le gâchis des campagnes trop courtes comme pour l’abricot, l’Etat a encouragé la promotion des fameux «frigos», ces chambres froides, à l’effet d’allonger leur durée de distribution. D’un côté, on empêchait la dégringolade des cours, préservant les rentrées des agriculteurs. De l’autre, on apportait plus de choix aux consommateurs. Au final, on peut observer que ces infrastructures ont davantage servi à entretenir une rente que profiter aux producteurs.
Enfin, en matière de réforme agraire, la structure de la propriété agricole n’a pas vu sa physionomie bouleversée. La petite propriété agricole résiste bien. Rappelons que c’est une constante quasi universelle. Dans l’Union soviétique, les 5% de terres privées des exploitants généraient 30% de la production agricole russe. En France, la petite propriété est dominante. Il n’y a que dans l’univers anglo-saxon que les grands propriétaires sont prépondérants.
Remettre en selle les petits exploitants
Importer de l’étranger pour contrecarrer la flambée des prix est une solution momentanée. Que faut-il envisager pour réformer la situation? On sait que si l’on s’en tient, exclusivement, aux grands producteurs, la solution ne sera pas très souple. Nous en voulons pour exemple le marché des œufs et du poulet, tous deux dominés par les grands producteurs. Les pénuries ne sont pas exclues, comme on l’a constaté l’été dernier.
Par ailleurs, les prix ne sont plus bon marché. Cette même remarque vaut pour le lait. Une étude nationale, qui date de quelques années, a montré que nous avons les prix de production les plus élevés de la région méditerranéenne. Le climat et la météo n’expliquent pas tout. Sur les dix dernières années, on a vu les petits exploitants agricoles «expulsés» du marché. Or, cette catégorie de producteurs peut peser de manière significative sur l’équilibre du marché des produits agricoles et de la viande.
Leur éjection est la résultante de plusieurs éléments. Le salariat agricole est trop cher et les salariés peu productifs. Les prix sont souvent rigides alors que les intrants importés souvent de l’étranger sont en augmentation régulière. En bout de course, leurs marges se trouvent prises en effet de ciseaux entre des coûts qui grimpent et des prix de vente qui ne suivent pas. Une partie de la solution consisterait à aider les structures mutualistes à retrouver la santé. La mécanisation contribuerait au rattrapage de productivité et la consolidation des circuits de distribution coopératifs ferait le reste.
On ne sait comment se débrouillent les petits exploitants agricoles mais on sait qu’ils ont une alchimie bienfaisante. En quoi ce serait une hérésie d’envisager de les subventionner, au besoin, pour les faire revenir dans la partie? Les plus grandes économies du monde le font.
En tout cas, nous faisons la conjecture que le retour dans le circuit de cette catégorie de producteurs nous mettrait à l’abri de tous ces hoquets épisodiques du marché des produits agricoles et seraient un stabilisateur de prix autant pour la viande que pour les fruits et légumes… de grande efficacité.