Tunisie : Lamine Dhaoui de l’ONUDI, «Bientôt un fonds pour contribuer à l’autofinancement des jeunes porteurs de projets démunis»

lamine-dhaoui-onudi-1.jpg

5% uniquement du tissu industriel tunisien est réparti sur les cinq régions de l’intérieur -Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine, Le Kef et Siliana-, soit seulement 283 entreprises. C’est ce qui explique que l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), appuyée par ses bailleurs de fonds et soutenue par les autorités tunisiennes, ait choisi d’y développer non seulement des programmes de formation à l’entrepreneuriat mais également de créer un fonds pour contribuer à l’autofinancement des jeunes en mal de revenus pour lancer leurs projets.

Dans l’entretien ci-après, Mohamed Lamine Dhaoui, directeur au service d’Appui au secteur privé et à la promotion des investissements et de la technologie à Vienne, nous donne idée sur les actions à venir de l’ONUDI en Tunisie.

Entretien

WMC : L’ONUDI, qui travaille depuis des années en Tunisie, a-t-elle réorienté ses programmes en fonction des besoins des régions surtout après ce que nous avons découvert depuis le 14 janvier 2011?

Mohamed Lamine Dhaoui : Consciente de l’importance de l’emploi autant pour le gouvernement que pour le peuple tunisien, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) a renforcé son assistance technique dans le domaine de la création de l’emploi et le développement de l’entrepreneuriat. Notre directeur général a même annoncé, à l’occasion de la réunion générale de l’ONUDI, l’organisation à Tunis d’une conférence régionale sur l’emploi et l’entrepreneuriat. Cette conférence sera financée par l’Union européenne et la BAD (Banque africaine de développement) et devrait avoir lieu à Tunis en septembre prochain.

Nous sommes aujourd’hui en discussion avec les ministères de l’Industrie, de l’Emploi, du Développement régional et de la Coopération internationale à propos des meilleures formules pour le déroulement de cette conférence.

Il y a deux semaines, les secrétaires d’Etat respectifs des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération internationale se sont déplacés au siège de l’ONUDI (Vienne) pour discuter de l’organisation de la conférence citée plus haut. Ce mercredi, la réunion du comité de pilotage de la Conférence se tient à Tunis en présence des représentants des ministères concernés, de la BAD, de l’Union européenne, de l’ONUDI et d’autres partenaires intéressés par la manifestation comme la Banque mondiale et l’AFD (Agence française de développement).

L’ONUDI est très présente en Tunisie, et depuis quelques années, elle a tenu à y renforcer ses activités et son assistance dans le domaine de l’entrepreneuriat et de l’emploi.

Si nous parlons du nombre d’emplois créés, nous devons reconnaître qu’il n’est pas très important, mais notre objectif est en réalité de renforcer les capacités en matière de formation des formateurs et développer de nouvelles approches en matière d’emploi, principalement à l’échelle régionale.

La semaine dernière, nous avons organisé un atelier de formation en direction d’une dizaine d’entrepreneurs qui ont déjà lancé leurs projets. A ce jour, 200 jeunes ont été formés à l’entrepreneuriat par des coachs ONUDI. Et nous continuons sur cette voie.

Nous venons d’obtenir des financements de l’ordre d’un million de dollars de la part de l’Italie, un million et demi de dollars de la part de l’USAID et un montant de cinq cent mille dillars de HPLIFE. Tous ces fonds serviront la cause de l’emploi et de l’entrepreneuriat dans 5 gouvernorats en Tunisie, à savoir Le Kef, Kasserine, Gafsa, Sidi Bouzid et Siliana.

Pourquoi ces gouvernorats plutôt que d’autres?

Pour une raison tout à fait évidente, ils sont défavorisés et ont de grands potentiels en matière de ressources naturelles et de compétences. Nos bailleurs de fonds ainsi que nos vis-à-vis tunisiens ont d’ailleurs exprimé leur plus vif intérêt pour ces régions. Nous allons donc y travailler pour renforcer les capacités en matière d’entrepreneuriat et d’emploi.

Ces fonds seraient utilisés uniquement pour la formation ou leurs prévoyez-vous d’autres engagements ? Car trois millions de dollars, rien que pour la formation, c’est beaucoup, ne croyez-vous pas?

Une partie de ces capitaux servira à la mise en place d’un fonds pour contribuer à l’autofinancement des jeunes entrepreneurs qui trouvent toujours des difficultés à avoir des fonds propres au moment du lancement de leurs projets. Les jeunes butent toujours sur ce problème à chaque fois qu’ils se décident à devenir entrepreneurs. Deux collègues sont venus spécialement de Vienne pour discuter avec les associations de jeunes et les autorités locales du meilleur usage de ce fonds et du nom qu’on devrait lui donner. Le but est d’aider ces jeunes à finaliser leurs projets.

Quels sont vos prochains programmes sur la Tunisie?

Il y a une délégation de l’ONUDI qui est venue, il y a 2 semaines, en Tunisie pour mettre en place un plan d’action pour la valorisation des matières premières et des produits d’origine tunisienne. Cette opération est financée par la Suisse à hauteur de 3 millions de dollars. L’équipe a eu des contacts avec les ministères de l’Industrie, de l’Agriculture et du Commerce. L’équipe a visité la région du Cap Bon, Kasserine, Le Kef pour recenser les produits agroindustriels qui pourraient être exportés sur l’Europe.

Pour cela, il va falloir les labelliser. On parle du fromage français et du vin français, une grande partie de la marge bénéficiaire est due à l’origine des produits en question. L’huile d’olive tunisienne en bouteille est bradée et se vends à 2,5 € alors qu’elle se vend sous une appellation italienne à 7 ou 8 €, soit 3 fois le prix tunisien. Ceci est dû au fait qu’elle n’est pas labellisée.

La labellisation des produits tunisiens surtout dans l’agroalimentaire a toujours posé problème. Y a-t-il moyen de soutenir les producteurs locaux?

Il y a beaucoup de travail à faire en matière de formation et d’image. Les produits tunisiens ne s’imposent pas comme ils devraient. Nos produits phares comme l’huile d’olive doivent être mieux valorisés. Et là je parle en tant que Tunisien et non en tant que représentant de l’ONUDI, nous devons reconnaître les défaillances de la coordination entre les ministères de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie. Les productions sont relativement abondantes par rapport à d’autres pays. Les tomates marocaines se vendent sur le marché espagnol, les produits égyptiens également. En Tunisie, il y a des problèmes de commercialisation et de distribution. Lorsqu’on écoule les produits uniquement sur le marché local, les prix ne peuvent pas grimper au-delà d’une moyenne tout à fait logique et acceptable; ne parlons pas de l’année en cours qui est assez exceptionnelle. Les Tunisiens ne maîtrisent pas les circuits de distribution et de commercialisation à l’échelle européenne. Pour réussir la commercialisation et la distribution des produits agroalimentaires tunisiens à l’international, il va falloir en maîtriser les circuits et surtout améliorer la logistique du transport des produits frais. Même si Tunisair accorde des prix préférentiels pour le transport de ces produits, le fret reste assez coûteux pour les producteurs locaux, sans oublier la nécessité de maîtriser les technologies de conditionnement des produits frais.

Comment est-ce que l’ONUDI compte développer la culture de l’industrie verte en Tunisie?

Il est vrai qu’on parle souvent d’industrie verte et d’emplois verts. Nous avons, il y a des années, organisé une conférence internationale sur les industries vertes. Au Brésil à Rio au mois de juin prochain, une conférence traitera de ce thème. En Tunisie, nous pouvons aborder cette question de deux manières. Comment rendre les industries existantes plus vertes, car cela nécessite de nouveaux coûts et l’Etat doit intervenir à ce niveau. Pour les nouvelles industries, il faut qu’il y ait plus d’encouragements afin que les industriels se dirigent vers ces nouveaux débouchés plus soucieux de la préservation des ressources naturelles et la protection de la nature. Le CITET assiste les entreprises pour produire plus propre.

Vos rapports avec l’Administration tunisienne sont-ils concluants? Nos administrations sont-elles assez réactives par rapports à vos programmes et à vos actions?

Nos relations sont très constructives, et là je parle à la fois en tant que Tunisien et en tant que responsable à l’ONUDI. Tous les ministères avec lesquels nous traitons, à commencer par celui de l’Industrie, sont coopératifs. Nous avons d’ailleurs amené une délégation de hauts responsables irakiens qui viennent des secteurs privés et publics pour apprendre de l’expérience tunisienne en matière de développement industriel. Ils sont tous admiratifs par rapport à nos administrations et nos structures d’appui comme l’API. Ceci malgré les problèmes dont souffre la Tunisie dans ce contexte postrévolutionnaire et qui se rapporte à la relance économique et au chômage.

L’expérience tunisienne en matière de développement industriel est admiré et nous l’avons d’ailleurs exportée dans plusieurs pays -j’en ai été moi-même l’artisan au Sénégal- dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, en Algérie, en Egypte et en Syrie. Nous avons aujourd’hui des experts tunisiens au Burkina Faso, au Cameroun et en Côte d’Ivoire. La Tunisie est d’ailleurs le seul pays arabe qui reçoit la visite d’éminentes personnalités irakiennes évoluant dans le domaine industriel.

Le Bahreïn est bien positionné dans le monde arabe pour ce qui est des pépinières, qu’est-ce qui empêche la Tunisie d’être aussi performante?

La Tunisie a de grandes possibilités en matière de pépinières. D’ailleurs, nous en avons 24 sur tout le territoire national. Le problème ne se situe pas au niveau des pépinières en elles-mêmes mais plutôt au niveau de la concrétisation des projets qui y naissent. Donc, le premier pas est de pouvoir disposer de l’autofinancement, un problème qui ne se pose pas au Bahreïn où les fonds d’investissement sont beaucoup moins exigeants que ceux de la Tunisie. Et puis dans ce Royaume, il y a toujours moyen d’avoir des capitaux que ce soit grâce à l’héritage ou à l’aide des familles qui ont des moyens. Ca n’est pas le cas en Tunisie où il faut que les organismes de financement fournissent plus d’efforts et soient plus coopératifs et que les jeunes entrepreneurs soient mieux accompagnés et mieux coachés.

Avec la délégation irakienne, j’ai visité deux pépinières qui travaillent à pratiquement 100% de leurs possibilités.

En Tunisie, il y a toujours des séminaires, des formations et des fonds, pourquoi avons-nous l’impression que les résultats ne suivent pas?

Les cinq premières années sont déterminantes pour la survie d’une entreprise. A l’ONUDI, nous encadrions les jeunes entrepreneurs avant le lancement de leurs projets mais nous comptons dans nos prochains programmes de formation poursuivre le coaching après la création et la mise en marche du projet jusqu’à garantir son succès et le sécuriser.