Au regard des décisions prises, ces jours-ci, la Banque centrale de Tunisie (BCT) et le ministère des Finances semblent manœuvrer à leur guise et ne donner aucun intérêt aux appels lancés par l’opposition et la société civile aux fins de réduire le recours à l’endettement extérieur et de refuser de payer ce qu’ils appellent «la dette odieuse» contractée par le régime déchu pour des objectifs étrangers aux intérêts de la Nation et des citoyens.
Rappelons que, selon le droit international, à la chute de dictatures, les créanciers, pour peu qu’ils disposent d’audits crédibles déterminant l’utilisation abusive de cette dette, ne peuvent exiger des remboursements que du despote déchu. Cette doctrine s’est appliquée à plusieurs reprises de l’Histoire des deux derniers siècles. C’est le cas d’un pays comme l’Equateur qui avait connu une situation similaire à celle de la Tunisie, qui avait refusé de payer ce type de dette et obtenu gain de cause auprès de ses créanciers.
Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, «si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…) Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation: c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir».
Pour revenir à la Tunisie, les locataires de la BCT, comme leurs prédécesseurs, habitués aux solutions de facilité et au report sine die des solutions, n’ont peut-être pas engagé une expertise sur ce dossier. Et si c’était le cas, on pourrait dire qu’ils ont préféré capituler devant les créanciers en assumant les dettes précédentes, pourtant odieuses en grande partie, et se seraient «constitués» prisonniers de remboursements qu’ils auraient pu éviter.
Ces mêmes locataires, confrontés, en ce mois d’avril 2012, à l’urgence d’honorer des engagements pris il y a une dizaine d’années (2002), ils se sont jetés dans les bras de nouveaux créanciers qui prêtent au prix fort.
C’est le cas du prêt qatari, sous forme de placement privé pour un montant de 500 millions de dollars (soit environ 750 millions de dinars tunisiens). Ce crédit sera remboursé en une seule fois, le 18 avril 2017. Son taux d’intérêt est de 2,5%, payable annuellement, soit 62,5 millions de dollars d’intérêt au total.
Pis, ce prêt ne servira même pas à financer un quelconque investissement dans le pays. Pour Moez Labidi, membre du Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT), ce crédit «tombe à point nommé, car il va permettre à la Tunisie de payer un montant de 650 millions de dollars de service de la dette.
M. Labidi, qui était interviewé par une radio locale, a ajouté que bien que ce prêt ait été contracté dans des conditions peu favorables constitue, néanmoins, une bouffée d’oxygène pour atténuer la pression sur les finances de l’Etat.
Certains experts ont, justement, qualifié ces conditions de «draconiennes» et estimé que la Tunisie aurait pu emprunter à de meilleures conditions sur d’autres marchés comme le marché japonais (qui serait de l’ordre de 0,5% selon eux).
Quand on sait que le projet de loi de finances complémentaire prévoit, pour 2012, un montant de 4.089 MDT pour rembourser le service de la dette, on imagine tout l’effort que vont déployer la BCT et les ministères concernés pour mobiliser cette enveloppe.
Moralité: tout indique qu’en raison du climat d’instabilité et d’insécurité qui prévaut actuellement dans le pays, et sa conséquence immédiate, le recul des recettes touristiques et la diminution des exportations du régime général (phosphate et autres…), l’emprunt que la Tunisie compte émettre, en 2012, sur le marché des capitaux américain pour lever 500 à 600 MDT avec la garantie du gouvernement américain et la Banque mondiale, tout autant que les 500 MDT qui seront générés par la privatisation partielle de l’opérateur public Tunisie Télécom et de la vente de la licence 3G ne serviront qu’à rembourser des dettes antérieures.
Cette tendance fâcheuse à contracter une nouvelle dette pour payer une ancienne dette qui pourrait être perçue à la limite comme une forme déguisée de rééchelonnement partiel de la dette, a été le sport favori des responsables de la BCT.
Pour rappeler un cas similaire, au mois d’août 2007, Taoufik Baccar, alors gouverneur de la BCT, avait recouru au marché financier international pour lever, sur le marché japonais, un emprunt de 320 MDT destinés au remboursement d’un crédit contracté à des conditions défavorables (400 MDT) auprès de la Banque africaine de développement.
C’est pour dire que les éternels technocrates de la BCT, du ministère des Finances et de la coopération internationale étaient de tout temps et sont toujours des champions de la procrastination, c’est-à-dire de l’art de tout remettre à plus tard. Leur règle d’or étant «Après moi le déluge».
Est-il besoin de rappeler que le prêt qatari d’avril 2012 sera remboursable totalement et en une seule fois le 18 avril 2017 tandis que l’échéance de l’emprunt contracté du temps de Taoufik Baccar est fixée à 2027.
Espérons que d’ici ces échéances qui compromettent l’avenir des générations, il n’y aura pas de fils spirituels pour contracter une nouvelle dette afin de payer une ancienne.
Quant à nous, nous pensons qu’un débat sur l’endettement du pays et sur la responsabilité et le rendement de ses gestionnaires est de toute urgence.
Et pour reprendre in fine cette déclaration faite au début de la révolution tunisienne par Jean Ziegler, écrivain, professeur à l’Université de Genève et rapporteur du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies: «ce n’est pas au moment où on est écrasé par la dette qu’il faudrait contracter une nouvelle».
Sans commentaire!