Mohamed B est chauffeur dans une agence de voyage à Djerba qui, comme d’habitude, est bien calme. Loin d’être euphorique, il réalise qu’un coup d’accélération est en train de s’opérer dans l’île avec une large opération de nettoyage à l’occasion de la conférence de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) qui s’est tenue du 16 au 18 avril. Depuis la visite du président de la République, Moncef Marzouki à la Ghriba, l’île des Lotophages frétille. Et c’est sans compter la récente visite de Hamadi Jebali. «Mais concrètement, est-ce qu’il y aura plus de touristes», ne peut s’empêcher de se demander le chauffeur du 4×4.
Comme lui, des centaines de milliers de Djerbiens s’inquiètent et perdent patience. Ils vivent du tourisme et souffrent du manque de travail et de visibilité. Le taux d’occupation de l’île est passé de 63% en 2010 à 39,9% en 2011 et a enregistré 20,9% au premier trimestre 2012. Alors qu’ils travaillaient plus de 8 mois sur 12 il y a quelques années, leur activité s’est réduite à 4 mois seulement, et la concurrence entre les 92 agences de voyage et 104 hôtels qui y sont implantés fait rage quand le client se fait rare.
Tous regrettent le temps précieux où l’île se vendait plus cher et s’imposait comme une destination se hissant au top des ventes chez les tours opérateurs. Après quelques crises et une révolution, de nombreux intervenants estiment que la destination aurait pu exploiter un temps précieux pour se mettre à niveau. Pour cela, il aurait fallu une vision, une vraie envie de travailler ensemble et un leadership régional qui n’émerge pas. D’où une impression de gâchis doublé d’un sentiment d’impuissance qu’il faudra vite comprimer afin de ne pas confondre immobilisme, calme et léthargie. Sans quoi, c’est la mort garantie!
Cet état d’esprit, Mohamed, gardien de salle au Musée du patrimoine de Houmet-Essouk, l’explique avec ses mots maladroits et sincères. Récemment inauguré, le musée vaut le détour, pourtant presque personne n’y vient. En titillant le jeune homme, celui-ci livre son savoir des us et coutumes de l’île bien que sa mission consiste à uniquement veiller aux comportements des visiteurs et surtout ne pas intervenir sur les contenus. Il ne s’explique pas que le musée soit boudé par les agences de voyage qui en veulent à l’Autorité de tutelle de l’avoir imposé dans le programme de l’excursion du tour de l’île. Une manne que se partagent les loueurs de voitures, les taxis, les «beznessas» et qui sont à l’origine de nombreux maux et tensions dans l’île.
Au musée, il n’y a ni guide ni audio-guide et même pas un endroit pour se restaurer. La boutique de souvenirs propose quelques cartes postales et livres fanés. Evidemment, on aimerait déjeuner ou se rafraîchir sur le site dont une partie aurait pu être louée à un professionnel avec un cahier de charges rigoureux loin de tout favoritisme. Ce lieu aurait pu être le cadre idéal d’un cocktail original comme celui offert par le tourisme tunisien à l’OMT. Au lieu de quoi, les restrictions administratives et la complexité de l’obtention des autorisations dissuadent les plus inventifs des Destinations Managements Compagnies (Dmc’s) opérant dans le MICE de le suggérer… Et c’est vraiment dommage!
A l’arrivée, le musée reste vide et la majorité des cocktails des principaux événements qui se tiennent à Djerba se suivent et souvent se ressemblent. Si bien que les donneurs d’ordre du MICE optent rarement pour la Tunisie bien que le créneau soit des plus porteurs. Apprécié pour sa forte capacité de création de richesses, le «génie» tunisien a permis de réaliser des opérations appréciables malgré les conditions de travail très peu encourageantes.
A quand un soutien et une nouvelle législation afin de booster le secteur?
Des événements, comme la récente conférence de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) qui a regroupé plus de 400 professionnels venus de toute la Méditerranée, sont aussi des aubaines pour déployer l’inventivité et tirer la destination vers le haut. Au lieu de quoi et sans remettre en cause l’importance et l’impact de cette manifestation ayant abouti à «l’appel de Djerba», nous avons constaté la lenteur des changements espérés autant qu’attendus.
A titre d’exemple, l’issue du cocktail de l’ouverture du congrès aurait pu être plus réussie dans un lieu plus «magique» comme le musée ci-haut mentionné. En lieu et place, c’est un cocktail généreux qui débute avec 1h30 de retard et présentant un spectacle bâclé qui a été offert aux invités de marque du pays. Il n’a pas réussi à convaincre ni à créer de l’émotion.
Comment peut-on donner une image valorisante de la destination et de la culture de notre pays avec un spectacle sans scénographie et présenté sans le minimum, c’est-à-dire des répétitions? La fraîcheur des jeunes artistes maladroits et mal habillés a légèrement atténué l’impact négatif de la représentation. Ce n’est pas l’homme de théâtre Fethi Haddaoui, qui a veillé sur l’événement, qui le nierait.
Très moyennement satisfait, celui-ci reconnaît pourtant que la Tunisie dispose de toutes les ressources pour créer des événements et des spectacles de haute facture en s’appuyant notamment sur le savoir-faire créé autour de l’industrie de la production cinématographique tunisienne. Au dîner gala du lendemain, la femme d’affaires et chorégraphe, Sihem Belkodja, a présenté un spectacle très médiocre. Elle s’est même permise, par un maladroit excès de zèle, de placer un coussin sur la table d’honneur de la délégation officielle de l’OMT. Bien qu’anecdotique, le détail révèle le mélange des genres et des métiers.
A-t-on seulement touché le fond en faisant dîner des personnalités du monde sous le regard attentif d’un ministre du Tourisme tunisien avec un coussin que l’on pourrait acheter dans n’importe quel Ikea du monde à 10 euros! Les questions tombent alors en cascade: Pourquoi ne se donne-t-on pas les moyens de ses ambitions? L’événement ne justifiait-il pas plus de rigueur? N’est-il pas du ressort du Tourisme tunisien de donner le meilleur? Son rôle n’est-il pas de veiller et contribuer à hisser le niveau des prestataires de services? Quid des répartitions des tâches? Qui était le chef d’orchestre de l’événement…?
Les avis de nombreux participants tunisiens et étrangers ne se sont pas fait attendre et les échos étaient sévères: «Les turcs peuvent dormir tranquille, ce n’est pas demain la veille que la Tunisie deviendra une vraie destination concurrente!», ou encore «Avec l’hommage rendu durant ce spectacle aux danseurs d’El Said égyptien, je serais tenté de prendre un billet pour y aller. Une aberration! Vous croyez qu’en Egypte ils font des clins d’œil et de la promotion à la Tunisie?»
Jalel Bourcicha, président régional de la Fédération de l’hôtellerie, laisse aussi exprimer son agacement: «Toujours ces mêmes tableaux pâles et cette image délavée et usée. Je reviens de la soirée de lancement de la compagnie aérienne Syphax Airlines où un somptueux son et lumières a été offert aux convives. Un vrai enchantement! Il est temps que localement nous gérions nos destinations. Personne ne connaît les possibilités et les moyens dont nous disposons».
Habib Ammar, Directeur général de l’Office national du tourisme tunisien, ne demande pas mieux: «Où sont les spectacles et les produits innovants? Nous faisons au mieux avec ce que nous avons et ce sont les limites de la destination. Ce n’est pas à l’ONTT de concevoir des spectacles. Venez vers nous avec des projets conséquents, nous ne demandons pas mieux!». Avis donc aux professionnels et à l’Administration qui se doit d’être à l’écoute de la créativité qui est en train de se mettre en place dans le pays!
Reste que les invités de l’OMT sont des professionnels avisés. Ils voyagent dans le monde entier et ne peuvent s’empêcher d’être dans la comparaison. A moins que, comme Claude B, un expert belge du tourisme et du Net, ils ne se mettent dans une position qui en dit long sur tout le chemin que la destination doit faire: Ne rien attendre!
C’est malheureusement ce qu’une bonne partie des opérateurs et de gens avertis disent concernant la destination. C’est aussi pour cela que plusieurs segments de clientèle la boudent. Le défi est donc de travailler pour ressusciter les attentes, créer la surprise et communiquer dessus. Un travail de titan en l’occurrence !
Djerba est une île précieuse en Méditerranée et qui, au lendemain de la révolution tunisienne, s’est retrouvée en haut de l’actualité en devenant -le temps d’une guerre en Libye- un camp pour les réfugies. Seulement, l’île a subi les affres d’une crise touristique sans précédent doublée de divers virages qui ont été mal négociés comme ceux de l’Internet, de la diversification, de l’animation touristiques et culturelle, de l’accessibilité aérienne…
Il devient vital de se projeter dans l’avenir. Et cela a commencé depuis le 14 janvier. Tout le monde sait ce qu’il y a faire. Il ne reste qu’à s’y atteler. Djerba pas plus que le tourisme tunisien ne peut se permettre de rater cette énième et peut-être dernière chance!