Tunisie – Royaume-Uni : Chris O’Connor, «Les défis sont surmontables, si…» (1)

chris-connor-130-1.jpgPlus fortement engagée en Tunisie depuis la chute du régime Ben Ali, la Grande-Bretagne –dont le ministre des Affaires étrangères, William Hague, a été le premier à visiter la Tunisie après le 14 janvier 20111- est active sur les terrains politique, économique, culturel, social, etc. Son ambassadeur à Tunis, Chris O’Connor, se dit optimiste sur l’avenir du pays où il opère depuis trois ans.

WMC: Le Royaume-Uni manifeste à la Tunisie –que William Hague a été le premier ministre des Affaires étrangères à visiter dès février 2011- un intérêt beaucoup plus grand que par le passé. Cela peut-il déboucher sur des relations politiques et économiques plus importantes?

Chris O’Connor: Sous l’ancien régime, le gouvernement britannique a travaillé celui de Tunisie mais nous ne partagions pas beaucoup de valeurs essentielles. Pour cette raison, nous avons maintenu une certaine distance. Nous avons coopéré quand c’était nécessaire, aidé nos sociétés quand elles ont demandé notre aide. Mais la relation n’était pas chaleureuse.

Aujourd’hui c’est tout à fait différent. Depuis la révolution, nous voyons un pays qui partage nos valeurs et qui est en train de se transformer en un système démocratique respectant les libertés personnelles et a eu une très grande influence –à la limite incroyable- dans la région en étant l’inspirateur du Printemps arabe. Développer nos relations est donc pour nous maintenant d’une importance capitale. Aider la Tunisie à atteindre les objectifs de la révolution cela inspirera d’autres pays qui ont peut-être plus de difficultés à progresser sur la même voie.

Durant sa visite en Tunisie, M. Hague avait annoncé la création de l’Arab Partnership Program, en vue d’aider les pays du Printemps arabe. Où en est-on dans ce domaine près d’un an après?

Ce programme était une réponse aux défis et opportunités qu’offrait le Printemps arabe. Au début, c’était un fonds destiné plutôt à la coopération politique, en vue d’aider à construire et à consolider les capacités des instances créées alors -Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC) et des ONG- pour qu’elles jouent leur rôle dans la transition.

Au bout de quelques mois, nous avons élargi le domaine d’intervention de ce fonds pour y intégrer un élément spécifiquement économique. Parce qu’il est évident que la politique et l’économie sont très liées et la réussite de l’un est très difficile sans celle de l’autre. Et c’est la première fois que nous avons vraiment une capacité de coopération avec la Tunisie.

Traditionnellement, la Grande-Bretagne, à la différence des autres pays, n’oriente pas sa politique de coopération internationale en fonction de sa politique étrangère. Nous consacrons notre assistance pour le développement aux pays les plus pauvres du monde. Tous nos efforts et nos budgets vont à eux, en vue de répondre à des besoins très extrêmes.

Par le passé, nous n’avions donc pas de budget de coopération avec la Tunisie. Dans le nouveau contexte, nous avons ajouté une nouvelle capacité pour pouvoir aider sur des questions prioritaires politiques, y compris pour les pays qui ne sont pas parmi les plus pauvres.

Concernant la Tunisie, notre ministère de la Coopération internationale y est actif pour la première fois. Nous avons un programme pour les questions politiques et économiques.

Concrètement, qu’avez-vous fait?

Avant les élections du 23 octobre 2011, nous avons organisé une formation des électeurs via des bus qui ont circulé dans tout le pays pour leur expliquer comment voter, l’importance de cet acte, etc. Nous avons également travaillé avec l’ISIE, que nous avons aidée à se doter de moyens, avec les ONG –Article 19- travaillant sur la liberté d’expression sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie, et l’INRIC que nous avons assistée à acquérir la capacité de travailler sur les deux textes de lois destinées à encadrer des médias libres.

Après les élections, nous avons coopéré avec des membres de l’Assemblée Nationale Constituante pour instaurer des échanges avec des parlementaires britanniques sur le rôle d’une opposition, les défis d’une coalition, de la formation d’un comité dans une Assemblée au sein desquels des personnalités de divers bords politiques doivent travailler ensemble, etc.

Sur toutes ces questions, nous avons essayé de présenter les réponses qu’on y a apportées dans le contexte britannique.

En outre, nous avons travaillé, à travers le British Council, avec les ministères de l’Education, de l’Enseignement supérieur et celui de l’Emploi et de la Formation professionnelle, sur l’enseignement de l’anglais qui est un élément clef pour le développement de l’économie et ouvrir les portes du marché mondial à la jeunesse tunisienne.

Enfin, dans le domaine économique, nous avons entamé une coopération sur les microcrédits et nous aurons plus de moyens au cours de l’année prochaine pour entreprendre davantage de projets économiques.

Que projetez-vous de faire dans ce domaine à l’avenir?

Nous voulons travailler très étroitement avec les instances financières internationales –BAD, Banque mondiale, BERD, et BEI- pour identifier les priorités et assurer que nos actions soient complémentaires. Les discussions se poursuivent. Et j’imagine que nous allons pouvoir jouer un rôle utile dans la réforme du secteur financier où nous avons beaucoup d’expérience et que, si j’ai bien compris, le gouvernement voudrait réformer. Mais il y a beaucoup d’autres sujets sur lesquels il y aura un besoin de prendre connaissance de plusieurs expériences. Nous sommes en train de développer ces idées pour les insérer et les concrétiser dans un programme spécifique.

Les avis divergent aujourd’hui en Tunisie sur l’évaluation de la situation actuelle et de l’avenir du pays. Pour certains, on est sur la bonne voie et l’avenir est prometteur, malgré les difficultés; pour d’autres, on a commencé à déraper et cela s’annonce très mal pour l’avenir. Comment voyez-vous le présent et l’avenir du pays?

Moi je suis optimiste. Car si on regarde ce que la Tunisie a réussi au cours d’une année et demie passée et on le compare avec tous les scénarios possibles qu’on aurait pu imaginer, il est difficile de conclure qu’on n’est pas dans un bon scénario.

C’est-à-dire…

On aurait pu imaginer un désaccord total sur la scène politique à cause duquel on serait encore dans l’attente de la tenue des premières élections. On aurait pu imaginer un accord sur l’importance des élections et désaccord sur qui va les contrôler. Sur le plan de la sécurité, on aurait pu imaginer le chaos qui s’instaure après une révolution dans laquelle le peuple a montré son pouvoir total et que certains éléments se rebelleraient contre l’autorité de l’Etat pour se livrer à la violence, au vol, assassinats, etc. à un niveau incontrôlable. On n’a pas vu cela.

Economiquement, on aurait pu voir aussi des scénarios catastrophiques avec l’abandon des investisseurs nationaux et étrangers. On n’a pas vu cela.

Qu’est-ce qu’on a vu? On a vu de très grands défis économiques, mais dans un cadre où la vie continue. On a vu aussi des défis sécuritaires, mais là aussi dans un cadre où la vie normale continue. On a vu un vrai changement, radical, en matière de liberté d’expression. On aurait du mal à imaginer une interview comme cela publiée, avant la révolution, dans un site web tunisien sans la moindre censure. Le fait d’avoir eu des élections libres, d’avoir un gouvernement de coalition, avec l’appui de la majorité des Tunisiens, et une opposition vocale, énergique, est également très encourageant.

Ce que la Tunisie a réussi jusqu’ici est impressionnant et vis-à-vis de tous les défis très difficiles de l’avenir. S’il y a la même compétence, le même sentiment de détermination, de détermination, qu’on a vu pendant ces derniers mois, les défis sont surmontables.