Tunisie : La survie des microentreprises à l’épreuve des dynamiques structurelles territoriales… (2)

Par : Autres

II- Caractéristiques des tissus productifs locaux : Un dualisme
horizontal/vertical et des écarts saillants entre deux groupes de gouvernorats

Les trajectoires empruntées par les entreprises au niveau des territoires
d’implantation et leur propension à croître et à créer des emplois, dépendent
pour grande partie du contexte économique local dans lequel elles évoluent. De
même, il convient d’apprécier convenablement l’impact du dispositif
institutionnel d’appui à la création d’entreprises à l’aune de son constat
d’inefficacité que reflètent visiblement des taux de chômage qui continuent de
grimper en dépassant 18% en 2011 au niveau national outre l’enregistrement de
disparités notoires entre les gouvernorats.

Dans ce sillage, la
microentrepise, telle que définie dans le Répertoire
National des Entreprise (INS) comme étant une unité employant moins de 6
salariés, est censée jouer un rôle important dans l’impulsion de l’activité
économique et la création de l’emploi. De même, les microentreprises constituent
l’essentiel des créations d’entreprises et représentent un élément moteur dans
l’aménagement du territoire en contribuant au maintien d’une activité de
proximité.

Le dynamisme économique du territoire d’implantation exerce des effets directs
sur la croissance des microentreprises qui interagissent dans le cadre de leurs
activités avec les autres composantes du tissu productif local, en l’occurrence
les petites, moyennes et grandes entreprises. Certes, des différences de taille
opposent les modes d’organisation et de structuration des microentreprises aux
moyennes et grandes entreprises. Du moins lors des premières années de son
démarrage, une microentrepise obéit à une logique de subsistance alors que les
PMGE obéissent à une logique et des impératifs d’accumulation.

Cela étant, les microentreprises constituent un véritable vivier pour des futurs
champions locaux et nourrissent le secteur des PME par de nouvelles unités
aguerries, compétitives et surtout innovantes. Cette migration de la
microentrepise vers la PME/PMI doit être fortement appuyée et encouragée.

Analyse statistiques des tissus productifs locaux: la mise en relief de deux
dualismes

Dans cette partie, les données du Répertoire National des Entreprises (RNE),
créé et géré par l’INS depuis 1994 et qui constitue la source la plus exhaustive
permettant d’identifier les entreprises dans le pays, nous permettra d’élaborer
un diagnostic du tissu productif dans lequel évoluent les microentreprises au
sein de leurs territoires d’implantation.

Quatre catégories de taille sont donc distinguées dans le cadre du RNE: les
microentreprises (unités employant moins de 6 salariés), les petites entreprises
(unités employant entre 6 et 49 salariés), moyennes entreprises (unités
employant entre 50 et 199 salariés) et grandes entreprises (unités employant
plus que 200 salariés).

En Tunisie, en 2009, sur 568.454 entreprises, 477.696 sont des microentreprises,
ce qui correspond à 96,8% du tissu productif total recensé dans le cadre du RNE:
il s’agit essentiellement de très petites unités industrielles, de commerce, des
services ou de l’artisanat. Les Petites, Moyennes et Grandes Entreprises (PMGE)
représentent respectivement 2,6%, 0,44% et 0,14% du total national.

Le nombre total des entreprises du secteur privé tunisien est passé de 477.696
entreprises en 2005 à 568.454 en 2009, soit un accroissement de 19%. Toutefois,
c’est à partir de l’analyse de l’évolution des entreprises au niveau des
gouvernorats selon la taille et les emplois créés qu’on peut appréhender les
dynamiques territoriales et mettre en évidence les disparités en matière de
concentration d’entreprises industrielles.

Un dualisme inter-gouvernorats au niveau des tissus productifs, corollaire de
l’échec des politiques de développement régional

De la répartition géographique des entreprises du secteur privé recensées dans
le cadre du RNE en 2009 se dégage un constat de dualisme qui marque le tissu
productif en opposant des territoires traditionnellement industrialisés à
d’autres accusant un déficit entrepreneurial élevé et une quasi-absence de
moyennes ou de grandes entreprises structurantes.

Cette répartition duale du tissu productif met en relief deux ensembles
pertinents de gouvernorats qui se différencient sur la base d’une combinaison
d’indicateurs et particulièrement la part d’entreprises implantées dans un
gouvernorat par rapport au total national et pareillement pour les moyennes et
les grandes entreprises.

Le premier ensemble pertinent est constitué des gouvernorats composant les deux
métropoles industrielles, à savoir le Grand Tunis (Tunis, Ariana, La Manouba et
Ben Arous) et l’axe Sousse-Monastir qui affichent une part moyenne de 55,8% du
tissu productif total et 72,3% des grandes entreprises dont la taille dépasse
200 salariés. Pour la suite des analyses et afin de relativiser certaines
conclusions, il y a lieu de mentionner que le nombre d’entreprises au
gouvernorat de Tunis serait surestimé car la localisation des entreprises au
sein du répertoire se base fondamentalement sur l’emplacement du siège social.
Sachant qu’un nombre assez important de grandes entreprises dont l’activité de
production s’effectue hors du gouvernorat de Tunis ont choisi d’installer leurs
sièges sociaux dans la capitale accentuant, du moins en apparence, sa
macrocéphalie.

Le deuxième ensemble de gouvernorats (Le Kef, Siliana, Sidi Bouzid, Kasserine,
Tataouine, Gafsa, Tozeur et Kébili) renvoie par la très faible concentration de
son tissu productif à un des aspects les plus marquants du déséquilibre régional
en Tunisie. Ces huit gouvernorats représentent seulement 12,6% du tissu
productif national et 1,5% du nombre total des grandes entreprises. Même en se
référant à ses seuls indicateurs, des enseignements majeurs pourraient être
tirés quant au dynamisme économique des territoires en question et son impact
sur la démographie des jeunes entreprises et leur propension à créer des emplois
décents.

D’ailleurs, la taille moyenne des entreprises varie considérablement entre les
gouvernorats appartenant (groupe 1) aux métropoles industrielles traditionnelles
et les gouvernorats à faible concentration industrielle (groupe 2) décris
précédemment. A titre d’exemple, l’écart entre la taille moyenne la plus élevée,
observée au gouvernorat de Monastir soit 2,8 salariés et la taille la plus
faible au Kef se situant aux alentours de 0,2, est tellement frappant et
saisissant (14 fois) qu’une attention particulière gagnerait à être accordée aux
causes présidant à l’insuffisance du tissu productif et son incapacité avéré à
atténuer les pressions sur le marché du travail dans les gouvernorats où les
taux de chômage ont atteint des niveaux excessivement élevés.

A ce niveau d’analyse, les grandes entreprises structurantes pourraient être
considérées comme étant de véritables vecteurs de dynamisation des tissus
productifs locaux et d’émergence de nouvelles opportunités d’investissement pour
les entrepreneurs locaux. Effectivement, le graphique suivant démontre que la
taille des entreprises exprimée en effectifs salariés observés dans les
gouvernorats tunisiens est une fonction croissante de la part des grandes
entreprises rapportée au nombre total au niveau national:

tableau-280211254.jpg

Une analyse horizontale de la structuration des tissus productifs locaux au
niveau des gouvernorats est très utile afin de pouvoir discerner les
interdépendances et les interactions entre les différentes catégories
d’entreprises qu’elles soient micro, petites, moyennes ou grandes, en relation
avec la dynamique territoriale, de création d’établissements et d’emplois. Le
diagnostic établi repose sur deux variables explicatives : le premier se
rapporte à la part de la catégorie d’entreprises concernée par rapport au stock
total au niveau du gouvernorat alors que la deuxième s’intéresse à sa
contribution respective dans l’emploi local.

(A suivre : Un dualisme intra-tissu productif local ou le poids surdimensionné
et anomalique des microentreprises dans les gouvernorats du groupe 2.)