Habib Ammar, DG de l’ONTT, est très optimiste quant aux performances de la saison touristique en cours, ce qui serait inquiétant pour lui n’est pas le fait qu’il y ait des manifestations ou des sit-in. D’ailleurs, quoi de plus normal en démocratie ou dans une phase de transition démocratique? Par contre ce qui l’est, c’est plutôt l’insécurité, et c’est la responsabilité de tous de veiller à ce que toute expression démocratique soit pacifiste, civilisée et non violente.
Entretien
WMC : Les manifestations comme celles organisées à l’Avenue Bourguiba ou les mouvements de protestation ou de contestation peuvent-ils avoir des conséquences négatives sur l’attractivité de la destination Tunisie?
Habib Ammar : Je voudrais m’exprimer non pas en tant que politique mais en tant que haut responsable dans le secteur touristique. Je ne fais pas de politique et je n’en ai pas la prétention. Mais nous avons tendance à oublier que nous sommes dans une phase de transition démocratique, il ne faut donc pas dramatiser. Soyons réalistes, le Portugal, l’Espagne et les pays de l’Est ne sont pas passés de régimes totalitaires à des régimes démocratiques sans avoir eu à gérer des mouvements sociaux ou à tolérer des oppositions incommodes. Le plus important pour nous, c’est de gérer comme il se doit la conjoncture et d’éviter les dérapages. Pour ma part, j’ai confiance dans la sagesse, le civisme et la capacité de mobilisation du peuple tunisien que je découvre avec fierté et qui m’épate. Je sais que nous passerons ce cap sans risques majeurs. Il ne faut pas remettre en cause ce changement à chaque fois que nous rencontrons un obstacle.
Comment faites-vous pour vendre la destination dans des conditions, quoiqu’on en dise, délicates?
En étant tout simplement francs. Les pays européens et nos marchés classiques savent ce que c’est qu’une transition démocratique. Ils sont passés par là, ils se sont soutenus politiquement et financièrement. Il faut apprendre à dénouer les fils tortueux du passage à un autre système politique, plus ouvert et plus égalitaire. Regardez comment sont les Tunisiens, aujourd’hui, ils sont plus réactifs, plus vigilants, plus attentifs et plus conscients. Notre image à l’international ne peut qu’en profiter. Nous sommes plus alarmistes que nos partenaires étrangers habitués aux expressions publiques de protestation et de contestation de l’ordre établi. Regardez ce qui s’était passé à Wall Street, ce qui se passe fréquemment en France et en Grande-Bretagne. Nous voyons les choses positivement, les troubles sociaux ne dérangent pas, c’est l’insécurité qui inquiète.
Par contre, il y aurait des problèmes d’insécurité…
Je ne suis pas d’accord avec vous. Toutes les statistiques qui nous viennent du ministère de l’Intérieur confirment le recul du banditisme ou des actes criminels. La seule différence est qu’aujourd’hui tout est dit et tout est devenu public. Dès qu’il y a une agression, un cambriolage ou un vol à la tire, les médias s’en saisissent, ce qui fait tâche d’huile. Auparavant, du temps de Ben Ali, même les actes criminels relevaient du tabou et les statistiques étaient erronées. Plus de transparence au niveau de la presse a mené à une plus grande dramatisation des faits divers. A ce jour, nous n’avons relevé aucune agression à l’encontre d’un touriste. C’est très important et cela montre à quel point le Tunisien, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, accorde de l’intérêt aux touristes. Notre société vit en symbiose avec le tourisme, elle ne peut plus s’en passer. Car des pans importants de la population vivent de ce secteur et en profitent.
Comment jugez-vous les réalisations du secteur pour cette année?
Nous remarquons une nette amélioration et je vous dis cela sans démagogie aucune. Au niveau des recettes touristiques, nous avons réalisé jusqu’au 10 avril +32,6% par rapport à 2011 et -3,5% par rapport à 2010. En termes de nuitées touristiques, nous avons réalisé +107,8%, relativement à 2011 et près de -20% par rapport à 2010. Pour ce qui est des arrivées aux frontières, nous avons enregistré +57,5% dont une augmentation de 61% des Européens et de 122,3% des Maghrébins. Tout cela dénote d’une reprise de confiance dans la destination Tunisie.
Notre pays est considéré comme étant un modèle susceptible de réussir son passage à la démocratie. Nous ne savons pas si cela se vérifiera ou non, mais en tout cas, c’est ainsi que nous sommes perçus à l’international et j’espère pour ma part que nous réussirons.
Que des ministres allemands appellent leurs concitoyens à se rendre en Tunisie, ce n’est pas peu, cela prouve que notre pays bénéficie de la confiance de ses partenaires.
Quels sont les marchés prometteurs pour cette année?
Le premier est la Russie sur lequel nous allons faire un boom après y avoir renforcé notre budget promotionnel et les marchés aussi bien allemand que britannique. La France, en période électorale, accuse une baisse notable, ce qui est tout à fait naturel d’après les observateurs, mais nous nous attendons à des réservations tardives, une habitude bien installée dans ce pays depuis quelques années. D’autant plus qu’il y a eu sur-médiatisation de certains événements jusqu’à tomber dans le sensationnel, je me demande d’ailleurs quelle en est la raison… J’estime que sur les 40% que nous avons perdus du marché français, nous pourrons facilement rattraper 30%, ce qui nous donne une baisse de tout juste 10%.
Comment allez-vous gérer le mois de Ramadan et les risques que des extrémistes s’attaquent aux plages? Est-ce que vous avez coordonné avec le ministère concerné pour éviter tout incident de nature à menacer la saison touristique?
Bien évidemment, et cela n’a rien à voir avec le mois de Ramadan. Je voudrais tout d’abord rappeler le discours de M. Hamadi Jebali, Premier ministre, à Djerba qui a déclaré que toutes les conditions de bien-être, de sécurité et de confort seront assurées aux vacanciers. Il a précisé qu’il y a un seul tourisme, que les tenues de bain relèvent de la liberté des individus y compris les deux-pièces… pour ceux qui en doutent…
En ce qui nous concerne, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’Intérieur pour veiller à la sécurité de tous les étrangers sur le sol tunisien. Nous allons entamer une série de réunions et nous veillerons à sécuriser tous les périmètres des zones touristiques.
D’un autre côté, nous comptons nous employer avec le ministère de l’Intérieur à soigner l’environnement naturel et physique de toutes les villes tunisiennes. Car, nous n’avons jamais eu à souffrir autant de négligence pour ce qui est de la propreté des villes, conséquence de l’absence de maires et d’autorités municipales efficientes.
L’ONTT avait un budget pour rattraper les défaillances des municipalités pour ce qui est de la propreté de l’environnement dans les zones touristiques, il a été retiré par le ministère des Finances. Nous avons sollicité de nouveau le ministère pour libérer ce capital pour cette année pour la bonne raison que les collectivités locales ne fonctionnent pas normalement. Nous attendons leur réponse.
Avant chaque saison touristique, vous procédez à des inspections dans les unités hôtelières, avez-vous démarré votre campagne cette année et comptez-vous prendre des mesures pénalisantes?
Nous allons démarrer une série d’inspection dans une semaine. Nous ne sommes pas dans une logique répressive mais plutôt d’assistance et d’encadrement. Le secteur a assez souffert ces deux dernières années et nous ne voulons par mettre la pression sur les professionnels. Nous veillerons toutefois à préserver l’image de marque de la destination et nous comptons sur les professionnels pour bien entretenir leurs unités et offrir le service adéquat, car un touriste ne condamne pas un hôtel, il condamne un pays.
L’Algérie est un marché important pour la Tunisie, la campagne promotionnelle réalisée l’année dernière sur ce pays n’a pas porté ses fruits. Comptez-vous renouveler cette expérience?
Il est vrai que l’impact de la campagne lancée l’année dernière a été plus ou moins décevant, il y a eu beaucoup d’intox par rapport à la destination Tunisie. Nous serons présents à la mi-mai à la foire d’Alger, et nous comptons remettre cela. Le marché algérien est très important pour nous, sur les 1,5 million d’Algériens qui partent à l’étranger, les deux tiers viennent chez nous; c’est une raison plus que suffisante pour que nous nous y investissions.
Par ailleurs, nous comptons coordonner avec le ministère de la Culture afin de sélectionner une série de manifestations touristiques et culturelles, des spectacles, l’animation de rue et les festivals pour créer des événements tout au long de la saison estivale et offrir aux touristes toutes destinations confondues plus que des séjours dans des hôtels.