Tunisie – Journée internationale de la liberté de la presse : Beaucoup reste à faire

mass_media-1.jpgLes avancées sont certes là. La presse n’est plus muselée. Mais les menaces existent et fusent de partout. Des journalistes subissent encore des violences verbales et physiques.

La Tunisie fête cette année, à l’instar du monde entier, en ce 3 mai 2012, la Journée internationale de la liberté de la presse. La célébration de cet événement connaît sans doute cette année, comme en 2011, un charme particulier. Car les célébrations antérieures avaient un goût amer.

Tant les nombreuses manifestations et communiqués n’étaient, par le passé, capables de rendre compte d’un climat de liberté. Mais d’un climat d’asservissement au service d’une parole muselée grâce à un système verrouillé.

Le ministère de la Communication, qui n’en était pas un, contrôlait tout ce qui s’écrivait et les faits et gestes des journalistes. Sa Direction Générale de l’Information, omniprésente malgré la disparition du ministère de l’Information et son remplacement par le ministère de la Communication, faisait la pluie et le beau temps du paysage médiatique national.

Le logiciel de la DGI

La moindre ligne dans un journal, aussi bien tunisien qu’étranger, était épiée. Idem souvent pour la publicité et autres communiqués et avis. L’audiovisuel devait, à son tour, respecter le moule établi par le logiciel de la DGI. Un ensemble d’employés préparaient des revues de presse pour attirer l’attention sur les images peu amènes et les invités «encombrants» qui ne diffusaient pas la bonne parole.

Et gare à celui qui s’égare des lignes tracées. La réaction se faisait généralement crescendo. On attirait l’attention, on grondait, on insultait, on menaçait. Et puis, on passait aux actes. Le «pestiféré» n’était plus invité aux conférences de presse, aux colloques et autres rencontres organisés par les structures de l’Etat.

Il n’obtenait pas le moindre encart publicitaire de la part d’une ATCE (Agence Tunisienne de la Communication Extérieure) qui veillait, à son tour, au grain. Il arrivait également souvent que les livraisons des journaux soient «perturbées»; une expression utilisée pour dire que les points de ventes étaient vidés des exemplaires distribués. Il arrivait souvent que les journalistes soient insultés, violentés, arrêtés, voire emprisonnés.

La presse étrangère n’était pas mieux traitée. Chaque fois qu’un article avait le malheur de déplaire, tout le journal était censuré. Souvent toute la livraison reprenait le même avion par lequel elle arrivait à Tunis. Pour faire mal, à quelques «récalcitrants» ou «récidivistes», les exemplaires étaient, par ailleurs, et quelquefois, autorisés deux à trois jours voire quatre après la date de mise en vente. Certains journaux étrangers distribués en Tunisie avaient fini par comprendre le message. Ils avaient cessé d’«alimenter» le marché tunisien.

Le sésame du «récépissé» a vécu

Et lorsqu’ils tenaient bon en continuant à informer de la réalité tunisienne, certains journaux voyaient leurs journalistes refoulés dès leur arrivée. Ou encre épiés et empêchés de rencontrer ceux et celles qu’ils veulent rencontrer.

La situation est évidement bien meilleure depuis le 14 janvier 2011. Le ministère de la Communication n’existe plus. Les services d’information du Premier ministère remplissent des fonctions nouvelles de soutien aux médias et non plus de contrôle. L’ATCE a également vécu. Et avec elle le Code de la presse de 1975. Remplacé par un texte libéral publié en novembre 2011. Un texte qui a notamment remplacé le système d’autorisation qui ne permettait pas de lancer une publication en l’absence du Sésame du «récépissé», qui devait être au départ automatique, par une simple déclaration.

Ce qui a permis d’«autoriser», depuis janvier 2011, quelque 230 publications. Dans l’audiovisuel, un cadre juridique transparent a remplacé le «clientélisme» d’avant le 14 janvier 2011. On sait que la fameuse «ouverture du champ de l’audiovisuel à l’initiative privée» a surtout profité aux «copains et aux coquins» pour une reprendre une formule venue d’ailleurs. On y retrouvait parmi les «autorisés» des membres de la famille régnante des Ben Ali-Trabelsi et des amis et proches. Qui avaient investi également le monde des médias.

Depuis le 14 janvier 2011, 6 télévisions et 12 radios ont obtenu une recommandation pour pouvoir émettre. Sur la base de dossiers examinés par l’INRIC (Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication), une instance créée au lendemain de la Révolution pour apporter des propositions capables d’améliorer le vécu des médias. Celle-ci a rendu le lundi 30 avril ses recommandations. Elle a joué un rôle central dans la publication du décret-loi du 2 novembre 2011 qui a réformé l’audiovisuel en créant notamment une autorité de régulation, la HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle).

Envisager aides et encouragements

Mais nous sommes à l’heure d’aujourd’hui, et malgré les avancées décrites plus haut, à mi-chemin de la réforme. La HAICA n’a pas encore démarré et le marché des médias n’a pas encore été totalement structuré. A commencer par la mise en place d’un statut de la presse en ligne (ou électronique) que l’on dit constituer l’avenir. Celle-ci devra bénéficier d’un ensemble d’aides et d’encouragement et mérite d’être traitée d’égal à égal avec ses consœurs afin qu’elle puisse jouer un rôle édifiant dans un régime démocratique qui s’appuie sur la pluralité des opinions.

Quid d’une restructuration du champ de la mesure d’audience qui souffre encore d’un certain amateurisme et dont les résultats continuent à être contestés? Quid de la mise en place d’un BVA (Bureau de Vérification de la Publicité) pour réguler la déontologie dans ce domaine? Quid de la mise en place également d’un OJD (Office de Justification de la Division) qui donne pour la presse papier et la presse en ligne des chiffres exacts sur les audiences réelles?

Et puis reste le dossier de l’audiovisuel public qui se doit être restructuré. Doit-on continuer à financer cet audiovisuel par la redevance Radio-Tv? Celle-ci doit-elle être augmentée pour devenir la principale source de financement? Quand est-ce que l’audiovisuel doit-il épouser les normes internationales en mettant en place, par exemple, un médiateur? Ces questions n’ont pas encore été posées.

«Instrumentaliser» les journalistes

Et quid de la formation? Certes les médias vivent, sur ce terrain, à l’heure d’une accélération. Mais a-t-on établi les bons constats? Et a-t-on proposé les bonnes thématiques. De quel journalisme a-t-on vraiment besoin? Nos pratiques journalistiques sont-elles bonnes? S’approchent-elles du nec plus ultra mondial?

Mais, il y a plus important? Des velléités se font jour, ici et là, pour museler la presse ou du moins de l’empêcher de faire correctement son travail. Des menaces se font jour avec les annonces de privatisation des médias publics, avec les sit-in organisés devant le bâtiment de la télévision publique et les violences verbales et physiques subies par les gens de la presse. Menaces également lorsqu’on entend, ici et là, que les forces de l’argent sont en train d’«instrumentaliser» les journalistes.

Gageons que ces questions ne manqueront pas d’être évoquées dans les nombreuses rencontres organisées, en ce 3 mai 2012, en Tunisie, sur la liberté de la presse.

Deviendront-elles récurrentes?