Les protections administratives et procédurières de lutte contre la corruption sont nécessaires. Mais, hélas, insuffisantes. Le problème est de dimension politique et de caractère démocratique.
Au moment où la Tunisie s’attelle à mettre sur pied une justice transitionnelle, la moralisation du climat des affaires et des comportements des personnalités politiques et de tous les hommes de pouvoir, du public et du privé, prend un relief de priorité nationale. La nouvelle République doit démarrer sur des bases saines. L’institutionnalisation de l’éthique, par l’instauration des pratiques et des règles qui instituent la transparence et la lutte contre la corruption s’inscrit dans un champ étendu.
Morale et éthique
Dans un propos récent sur le thème de la diffusion de la culture de la transparence en entreprise et dans l’administration, Abderrahmane Ladgham, ministre délégué auprès du Premier ministre, en charge du lourd dossier de l’implémentation de la transparence et de la lutte contre la corruption, avait rappelé que l’impératif de transparence doit figurer dans le code génétique de la deuxième République. Et, d’ajouter qu’il convient de l’inscrire rapidement dans les faits. La lutte contre la corruption et naturellement l’instauration de la gouvernance sont les deux grands chantiers de la transition démocratique.
Son ministère est sur pied pour mettre en exécution le plan qui consiste à implémenter la charte de l’administration propre et incorruptible, accessible au citoyen et transparente à tous les niveaux.
Au préalable, le ministre est revenu sur le degré d’avancement des actions juridiques intentées contre les membres du clan des BAT (Ben Ali-Trabelsi) et des éventuelles récupérations des avoirs détournés. Avant de mettre de l’ordre dans la nouvelle maison, il faut au préalable apurer le vieux contentieux en la matière. La justice transitionnelle doit faire œuvre de «salubrité publique». Les retards enregistrés par l’administration exaspèrent l’opinion.
Mais d’abord quels résultats probables à toutes ces actions?
Les retards de diligence
Pourquoi Ben Ali n’a pas été épinglé? L’affaire est complexe. Et pourquoi les fonds pillés tardent à revenir dans les caisses de l’Etat? Un défaut d’expérience en matière d’actions juridiques à l’international est à l’origine de ces retards, selon M. Abderrahmane Ladgham. Le droit est un univers procédurier où le formalisme est trop présent. Certaines actions entreprises par la cellule ad-hoc logée au sein de la Banque centrale de Tunisie ont été refusées pour des raisons qui peuvent apparaître futiles. Dans le texte des plaintes, certains détails ont manqué. Un pays a relevé que la récupération des biens de Ben Ali n’avait pas spécifié que cette action s’étend aux biens sis à l’étranger. Quant aux biens dits mal acquis, certains pays ont exigé de préciser de voir si les moyens détournés utilisés étaient répréhensibles selon leurs lois… Cela demande beaucoup d’aller et retour. Et, cela fait perdre du temps.
D’autres gouvernements ont demandé à ce qu’on établisse que les avoirs en question ont été détournés illégalement et il faudrait que les qualifications de détournement soient répréhensibles, chez eux. D’autres fois, c’est les défauts d’exequatur qui ont entravé la poursuite de l’action ou simplement des maladresses de traductions de textes de plaintes émanant de chez nous…
Une résolution du Conseil de Sécurité
Pour plus de coopération dans le travail de traque, le gouvernement tunisien a demandé au G8 à appuyer sa requête auprès du Conseil de Sécurité des Nations unies en vue d’obtenir un projet de résolution qui inciterait tous les Etats concernés à collaborer avec la justice tunisienne. On peut, de la sorte, espérer pouvoir rapidement geler les avoirs des membres du clan à l’international. Ce qui faciliterait leur rapatriement. L’action est à suivre.
La nouvelle loi sur les marchés publics
Outre les nouvelles dispositions à introduire en matière de réforme administrative et sur lesquelles le ministère a bien communiqué auparavant, Abderrahmane Ladgham a évoqué la nouvelle loi sur les marchés publics. Elle serait promulguée au plus tard au mois de juin prochain. Elle va bouleverser les modalités et procédures. Son apport original consiste en un raccourcissement des délais des due diligences dans la passation des marchés publics.
La volonté politique et démocratique
Quand M. Ladgham soutient que la corruption a pris de l’ampleur sous l’ancien régime parce que la volonté politique a fait défaut, nous disons que ce diagnostic est insuffisant. De notre point de vue, ce qui a manqué sous Ben Ali, c’est l’absence des libertés publiques. C’est cela qui a permis l’aliénation de la société civile et l’inféodation de la justice. Les médias étant muselés, il ne pouvait dénoncer. La société civile était sous contrôle, elle ne pouvait monter, agir et mobiliser. Cela a fait que nos citoyens ne pouvaient interpeller les corrupteurs.
Donc, les simples rectifications procédurales que souhaite introduire le ministre ne peuvent pas changer radicalement la société tunisienne. Il est absolument nécessaire de garantir la liberté de la presse dans le texte constitutionnel. Il est absolument nécessaire de garantir l’indépendance des pouvoirs et de préserver l’indépendance de la justice, également dans le texte de la Constitution. Ce sont les principaux garde-fous qui feront que demain le citoyen puisse ester contre l’Etat en toute impunité. Se contenter d’un simple relooking en matière de procédures, c’est ne rien garantir. L’enjeu est d’empêcher, par la bureaucratie, qu’on puisse instrumentaliser l’administration et revenir aux pratiques détournées d’antan.
En la matière l’enjeu n’est pas administratif mais politique et démocratique.