Tunisie – Enseignement supérieur et employabilité : Synthèse d’une étude sur un drame annoncé (Première partie)

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En 2009, 50% des bacheliers tunisiens ont réussi sans avoir la moyenne. En réalité, le nombre de bacheliers qui passaient à l’université sans avoir la moyenne et niveau requis augmentaient d’une année à l’autre. Beaucoup d’entre eux sont envoyés dans les universités de l’intérieur de la République où le taux d’encadrement est de seulement 2% contre 45% dans les grandes villes du pays! Leurs diplômes en main, ils veulent travailler, ils estiment qu’ils ont les qualifications requises, le marché de l’emploi ne les intègre pas parce que leurs profils ne correspondent pas à ses attentes.

Ces jeunes sont doublement victimes d’un système d’enseignement inadéquat qui leur a fait croire qu’ils étaient dotés de qualifications qu’ils ne possèdent pas réellement, d’une discrimination délibérée des pouvoirs publics qui se débarrassent d’eux pour ne pas avoir à gérer ses propres échecs et ses mauvais choix.

D’après une étude réalisée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, les difficultés d’insertion des diplômés ont commencé à se faire sentir épisodiquement depuis le milieu des années 1980. Mais, ces difficultés étaient dans des proportions considérées gérables et marginales. On arrivait à y remédier par des actions de placements volontaristes. C’est devenu plus difficile dans les années 90, et la succession d’ajustements de l’offre de formation, de cycles longs vers les cycles courts, des filières générales et en sciences humaines, vers les filières scientifiques et techniques, n’y a rien apporté, car il fallait oser faire des ajustements structurels, ce qui ne fut pas le cas malheureusement.

Le début du troisième millénaire a confirmé que nos universités étaient vouées à la production de diplômés qui ont plus de probabilité de se retrouver en chômage que d’obtenir un emploi après tant d’années de formation. Le taux de chômage des diplômés était, début 2000, autour de 8%, alors que le taux de chômage des non qualifiés dans l’économie dépassait les 20%. A la fin de la décennie, les deux taux se sont pratiquement inversés.

Ni l’économie ni le système d’enseignement n’ont pu arrêter le processus, souvent chacun voyait davantage la plus grande responsabilité chez l’autre. Au sein du système d’enseignement supérieur, il n’y avait même pas de moyens pour avoir une idée précise sur la situation et ses perspectives. Par exemple, peu d’informations fiables sur l’insertion professionnelle étaient disponibles. Très peu d’établissements d’enseignement supérieur avaient une idée claire du placement de leurs diplômés. Les études se succèdent pourtant. Mais la diffusion et le partage avec les acteurs sont limités et l’exploitation de leurs résultats est insignifiante.

Une commission pour établir un diagnostic

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, probablement pour remédier à ce manque de visibilité, a mis en place une équipe de travail indépendante au sein même du ministère pour étudier l’employabilité des formations offertes. La commission qui devait, au départ, identifier les filières de formation qui devaient être développées et celles qui devaient être fermées, en tenant compte des besoins de l’économie, a vite fait d’élargir sa mission à l’analyse, selon les principes des systèmes de qualité totale, de tout le processus de l’enseignement supérieur, articulé en composantes, pour diagnostiquer les lieux et la nature des dysfonctionnements qui sont à la base de la non-qualité des produits de ce système.

Parmi ses principaux constats:

L’employabilité :

Les diplômés sont-ils formés pour être embauchés par un marché demandeur ou tout justes bons à avoir un diplôme?

La commission a réalisé que le facteur employabilité n’était pas saisi, au moment de ses travaux, au cours de la deuxième moitié de 2010, dans sa véritable dimension quantitative malgré la disponibilité des données statistiques. Aujourd’hui, après le 14 janvier, la prise de conscience est plus évidente. Mais en juin 2010, par exemple, peu avaient conscience que le nombre de chômeurs de l’enseignement supérieur s’élevait déjà, selon les statistiques les plus récentes de l’INS, à près de 120.000. En se référant aux données de l’ATI, un peu plus de 50.000 diplômés des deux dernières promotions de l’enseignement supérieur sont déjà inscrits, à la même période, en tant que demandeurs d’emploi.

Près de la moitié des diplômés de 2009 sont encore, au mois de juillet 2010, en difficultés d’emploi. Le chômage touche toutes les filières, avec des différences entre les spécialités et les régions. Des filières similaires appartenant à des établissements différents sont touchées différemment selon les établissements.

Près de la moitié des bacheliers de 2009, qui vont entamer les études supérieures en 2009-2010, n’ont pas eu la moyenne pour les examens du baccalauréat. A l’exception de quelques filières, telle que la médecine, quelques écoles préparatoires, par exemple, qui n’accueillent qu’environ 5% des bacheliers, toutes autres filières vont devoir assurer un enseignement uniforme pour des étudiants qui, en bonne partie, n’ont pas les pré-requis nécessaires.

Il n’y a pas de données disponibles sur la proportion des étudiants qui ont validé toutes les unités d’enseignement à l’issue de leur formation et de leur sortie avec un diplôme.

Le corps enseignant, composé de près de 20.000 enseignants, comporte seulement 10% de corps A. La moitié du corps A est dans les filières médicales.

Les cellules d’insertion professionnelle des établissements et les observatoires des universités sont dans la majorité des cas non dotées encore, en décembre 2010, de ressources humaines, de plan de travail, ni de données pour assurer le suivi de l’insertion.

Des fonctions essentielles à l’employabilité ne sont pas assurées au niveau des établissements et des universités. La fonction amélioration de l’employabilité n’est pas assurée en général au niveau des établissements de l’enseignement supérieur. La gestion des établissements et des universités est focalisé sur l’aspect gestion des cours et de l’administration avec pratiquement aucune communication avec l’extérieur. C’est un peu comme une entreprise qui n’assure pas la fonction marketing et commercialisation.

L’ingénierie pédagogique est assurée au niveau central sur la base des propositions des départements, sans s’assurer de manière systématique et méthodique de l’employabilité, des compétences requises par l’environnement, sans intervention des spécialistes de l’ingénierie pédagogique et souvent en tenant compte de la capacité de formation et non pas des besoins du marché du travail.

Les employeurs potentiels ne sont pas satisfaits du niveau des compétences de base (communication, aptitude à l’insertion dans les équipes de travail, etc.) des diplômés. Les employeurs arrivent mal également à avoir une visibilité des compétences acquises par les diplômés et leurs qualifications à partir des intitulés des diplômes.

La gouvernance des établissements est caractérisée par le manque d’autonomie et la centralisation, les contrôles multiples de procédures, sans redevabilité en termes de résultats relativement à l’employabilité. Il s’en suit, entre autres, que les réformes sont engagées sans attention suffisantes à la mise en œuvre, ni aux priorités ou au dimensionnement approprié, à l’évaluation indépendante et sereine. Il en est ainsi de la mise en place du LMD, de la contractualisation, etc.

A.B.A, d’après l’étude de la commission du MES sur l’employabilité.