C’est du moins ce que laissent entendre, ces jours-ci, les déclarations du promoteur de cette voiture, Ahmed Barkia, spécialiste de l’automobile basé à Paris, depuis que Riadh Bettaieb, ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, a annoncé, un certain 19 mars, à une radio privée, que des pourparlers sont en cours pour persuader un grand constructeur automobile de renommée internationale à développer un grand complexe automobile en Tunisie.
Dans ses déclarations, Ahmed Barkia donne l’impression qu’il craint ce complexe, qu’il n’a pas confiance dans les services du ministère de l’Industrie et qu’il compte sur l’arbitrage de l’opinion publique et du Premier ministre pour faire aboutir son projet. Zoom sur une affaire bizarre.
Pour mieux situer la problématique, rappelons que la promotion d’un mégaprojet d’industrie automobile structurant dans le pays a fait l’objet de moult cogitations, avant et après la révolution du 14 janvier. Elle a été constamment évoquée, par tous les gouvernements qui se sont succédé, comme un choix stratégique. Plusieurs noms de constructeurs ont même été cités pour la réalisation de ce projet.
Du temps du président déchu, on a parlé du constructeur sud-coréen Kia dont le concessionnaire en Tunisie, à l’époque, était la société Ennakl de Sakher El Materi. Après la révolution, d’autres constructeurs sont entrés en lice. Il s’agit principalement de l’allemand Volkswagen et de l’américain Ford.
Il y a près de deux mois, Riadh Bettaieb, ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, a déclaré à une radio privée locale que «le constructeur automobile allemand Volkswagen serait retenu pour développer une industrie automobile en Tunisie» et ajouté que des experts en Investissement direct étranger (IDE) sont actuellement en pourparlers avancés avec le constructeur occidental pour le convaincre des avantages incitatifs que la Tunisie offre à ce type d’investissement.
Le ministre, qui a parlé exclusivement de ce projet, s’est interdit, toutefois, de révéler le nom de la région dans laquelle sera réalisé le projet.
Selon nos investigations et sur la base de déclarations d’hommes d’affaires sfaxiens, la région de Sfax avait manifesté de l’intérêt pour ce projet et fait état de sa disposition à abriter ce grand complexe d’industrie automobile.
Mohamed Frikha (Telnet et Syphax Airlines) et coordinateur de l’initiative «Quel nouvel élan au développement de la région de Sfax dans la Tunisie nouvelle», avait annoncé que la ville de Sfax était candidate pour accueillir le projet.
Conséquence: jusqu’à fin mars 2012, officiels, structures d’appui à l’investissement direct étranger et lobbies sfaxiens ne parlaient que d’un complexe qui serait pris en charge par un constructeur crédible de renommée internationale.
A la mi-avril 2012, survient, pour l’opinion publique, un homme d’affaires sfaxien peu connu, basé à Paris, en l’occurrence, Ahmed Barkia, et annonce, sans crier gare, à la presse, qu’il se propose de construire dans la zone de Dakhan (gouvernorat de Sfax) la première voiture à «100% tunisienne» et donne d’amples éclairages sur ce projet «surprise».
Son usine, totalement exportatrice, sera construite à proximité d’une gare ferroviaire sur un terrain planté d’oliviers, emploiera 1.000 personnes dans une première phase (18 mois), 2.000 dans une seconde (deux ans) et plus de 8.000 dans une troisième (5 ans) en plus de 7.000 emplois qui seront générés par la sous-traitance. Sa production passera, durant les trois phases, de 10.000 à 50.000 et à 100.000 voitures par an. Le prix de la voiture est fixé à 5.500 euros (12.000 dinars).
Selon Ahmed Barkia, le projet dont le coût global est estimé à 1.000 MDT sera financé, en totalité, par un crédit fournisseur de la Banque européenne d’investissement (BEI) et par des investisseurs tunisiens basés en France et par des groupes partenaires technologiques de France, de Belgique et d’Allemagne (garants du financement). Les premières voitures seront exportées vers l’Allemagne avec l’aide du partenaire allemand.
Pour résumer, le projet dont le schéma de financement est bouclé et dont le dossier est remis au ministère de l’Industrie, il y a plus d’un an (selon les dires de Barkia) sera financé totalement de l’étranger et sera destiné à l’exportation. L’avantage de la Tunisie résidera uniquement dans la rente sociale qui sera générée par le projet, à savoir la création de 15.000 emplois directs et indirects. Compte tenu de la vocation totalement exportatrice du projet, le promoteur demande à l’Etat de lui céder, conformément au code d’incitations aux investissements, au dinar symbolique un terrain de 118 hectares localisé à Dakhan et exigé son déclassement avant le démarrage des travaux.
En réponse à sa demande, le ministre de l’Industrie, Mohamed Lamine chakhari, a exigé du promoteur Barkia de lui présenter au préalable ses partenaires technologiques et financiers et de s’assurer en quelque sorte de la viabilité et de la transparence de cette affaire, d’autant plus qu’il s’agit de céder gratis un domaine de l’Etat de 118 hectares d’oliveraies rentables et au moment où d’autres investisseurs étrangers demandent à s’installer en Tunisie et à payer les terrains à leur prix réel.
M. Barkia a, bizarrement, refusé net cette requête et conditionné l’arrivée de ses partenaires en Tunisie à la conclusion au préalable d’un accord de principe sur le déclassement du terrain agricole.
Autre zone d’ombre dans cette affaire, Barkia a demandé l’arbitrage du Premier ministre Hamadi Jebali. Tout indique que Barkia n’a pas confiance en les services du ministère qui ont beaucoup traîné du pied pour lui céder le terrain.
En attendant, Barkia a continué à courtiser la presse, particulièrement les chaînes de télévision, et à hyper-médiatiser sa future voiture en la faisant exposer, en grande pompe, au salon de l’automobile de Sfax (8-12 mai 2012).
Il a été obligé, toutefois, de réviser à la baisse certains chiffres annoncés dans l’euphorie et surtout dans l’intention délibérée de fouetter l’égo des Tunisiens. Ainsi, le taux d’intégration de la voiture ne serait pas au taux de 100% mais seulement de 72% et que cette voiture ne sera pas vendue en Tunisie, comme le laissaient entendre les premières déclarations de Barkia, mais à l’étranger.
Abstraction faite de toutes ces indications, il semble qu’il existe bien un non-dit dans cette affaire et que tout porte à croire qu’il existe un conflit d’intérêt entre les partenaires du futur complexe automobile que la région de Sfax était supposée abriter et le projet d’Ahmed Barkia.
Affaire à suivre.