Que retenir du scrutin du 10 mai 2012 en Algérie? La surprise de la victoire passée, il faudra comprendre que les Algériens, qui n’ont que trop souffert du terrorisme intégriste des années 90, ont refusé de suivre la voie empruntée par les révolutions arabes dans la région. Notamment de la Tunisie et de l’Egypte. Le vote FLN aura-t-il été un vote «refuge»? Quoi qu’il en soit, trois hommes sortent renforcés de ce vote.
Mais que s’est-il passé en Algérie, le 10 mai 2012, date des élections législatives? «Tout le monde s’attendait à un séisme, ce fut une grande surprise», commente cet universitaire algérien, originaire de Mostaganem, ville située à quelque 360 kilomètres à l’Ouest d’Alger.
Le fait est là: le Front de Libération Nationale (FLN), qui a perdu, en cette année historique du cinquantième anniversaire de son indépendance (5 juillet 1062), son premier président, sorti des rangs du FLN, Ahmed Ben Bella, a remporté une écrasante victoire: 220 sièges des 462 du Parlement algérien. Et les Islamistes, toutes sensibilités confondues, ont été bien en deçà de leurs espérances, et de ce que nombre d’observateurs attendaient.
La fameuse Alliance Verte pour l’Algérie (AVA), coalition de trois partis islamistes, n’a obtenu que 48 sièges; onze sièges de moins que dans le précédent Parlement. Et le mouvement du très charismatique Abdallah Ben Abdallah, le FJD (Front de la Justice et du Développement) n’a récolté que 7 sièges.
“Globalement satisfaisantes”
Ces élections ont-elles été «trafiquées»? La coalition islamiste a parlé de «résultats qui ne traduisent pas la réalité» et soutenu que «des laboratoires qui travaillent au niveau central ont manipulé les résultats dans différentes wilayas» (dixit Aberrarak Mokri, membre de l’AVA, dans les colonnes de notre confrère Al Wantan, du vendredi 11 mai 2012).
Les observateurs de l’Union africaine (UA), de la Ligue arabe, de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’Union européenne (UE) et d’ONG américaines, présents sur les lieux (500 observateurs étrangers, ont suivi les législatives du 10 mai), n’ont pas dit qu’il y avait manipulation.
Bien au contraire, le chef de la mission d’observation électorale de l’UE, l’Espagnol José Ignacio Salafranca, a affirmé, le 13 mai 2012, à Alger, que malgré «quelques incidents ponctuels», le scrutin s’est déroulé dans des conditions “globalement satisfaisantes». Ce dernier a, par ailleurs, soutenu que “le mécanisme d’attribution des messages gratuits dans les médias publics a été transparent et ceux-ci ont généralement consacré une couverture équitable pour tous les candidats». Même s’il a dit que les autorités auraient pu rendre le scrutin plus transparent, notamment en permettant aux partis politiques d’avoir accès au registre national des électeurs. Une affaire qui a créée une sorte de polémique.
Les prochains jours permettront sans doute de voir plus clair dans cette affaire. “Nous ne reconnaissons pas ces résultats, a déclaré, dimanche 13 mai 2012, le président fondateur du parti radical islamiste Front de la Justice et du Développement (FJD) Abdallah Jaballah, dont le parti n’a obtenu, donc, que 7 des 462 sièges au Parlement. L’Histoire serait, selon des témoins, en train d’être écrite et personne ne peut dire de quoi sera fait demain.
En attendant la confirmation des résultats annoncés, vendredi 11 mai 2012, par le ministre de l’Intérieur, Daho Oud Kablia, par le Conseil constitutionnel, comment analyser ces résultats? Pour nombre d’observateurs, les Algériens auraient trouvé dans le FLN un “vote refuge”.
Le FLN n’est ni le RCD ni le PND
En clair, ils ont voté FLN parce qu’ils n’ont pas voulu voter islamiste. La situation qui prévaut, depuis l’avènement des révolutions arabes, faite de chaos et de gabegie, les ont fait sans doute craindre le pire.
L’Algérie présente, à ce propos, une situation particulière. Pour au moins deux raisons. La première? Le FLN est resté, malgré les difficultés qu’il connaît depuis l’ouverture initiée après 1989, un parti dominant. Ce parti est demeuré fidèle aux choix fixés depuis le déclenchement de la révolution algérienne en novembre 1954.
Il n’a pas connu de changement au niveau de son fonctionnement (proche du peuple) ou encore au niveau de son appellation, comme en Tunisie où le Néo-Détour, le parti de l’indépendance est devenu le PSD (Parti Socialiste Destourien) et ensuite le RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), sous Ben Ali. Le FLN n’est pas non plus le Parti national démocratique (PND) égyptien de Hosni Moubarak, créé en 1978 par le président Anouar el-Sadate, pour remplacer l’Union socialiste arabe créée par Gamal Abdel Nasser, au sortir de la révolution de 1952.
Deuxième raison? L’Algérie, on ne le dira jamais assez, a connu une expérience de terrorisme dont les acteurs ont été, pour l’essentiel, des courants intégristes mécontents de l’interruption du processus des élections de 1991 gagnées par le FIS (Fonds Islamique du Salut). L’Algérien moyen qui a beaucoup souffert de cette expérience sanguinaire a voulu éloigner toute possibilité à des Islamistes d’arriver au pouvoir, même s’ils se disent modérés.
A l’appui de cette thèse, certains observateurs évoquent les résultats de la Kabylie, cette région pourtant contestataire, a refusé de donner des voix aux Islamistes. La Wilaya de Tizi Ouzou, située au cœur de cette Kabylie, des maquis de laquelle partaient les Islamistes, dans les années 90 pour terroriser la population, a voté FFS (Front des Forces Socialistes), le parti du leader historique kabyle, Hocine Aït Ahmed, et FLN. Ces deux partis ont raflé les 15 sièges en compétition.
La situation au Mali voisin où des Islamistes ont pris, en avril 2012, le pouvoir par la force des armes, menaçant la sécurité dans le sud algérien, a également beaucoup joué.
Abdelaziz Belkhadem, futur Premier ministre?
Cela dit, les résultats qui offrent au FLN et au RND (Rassemblement National Démocratique) du Premier ministre Ahmed Ouyahia, qui constituaient avec le MSP (Mouvement de la Société et de la Paix), qui a préféré rejoindre l’AVA, une coalition, une majorité confortable au Parlement (288 sur les 462) confortent la position de trois hommes qui joueront sans nul doute un rôle central de l’évolution d’une Algérie engagée définitivement sur la voie des réformes.
Il s’agit, d’abord, du président Abdelaziz Bouteflika, qui a mis tout son poids dans la balance pour faire réussir les élections du 10 mai 2012. Le taux de participation, même s’il n’est pas extraordinaire, a été meilleur que celui de l’échéance électorale de 2007: 42,9% contre 35,67%.
Le satisfecit exprimé par le Quai d’Orsay, le ministère des Affaires étrangères français, quant au déroulement de ces élections, est à mettre à son actif. On sait que les relations franco-algériennes sont traversées par des turbulences. Egalement à l’actif du président Bouteflika, militant de l’indépendance, la présence des femmes dans le Parlement. 150 femmes ont été élues. La place de la femme au Parlement passe, à une réforme voulue par le président algérien, de 7% à 31,39%.
Le deuxième homme qui sort renforcé de ces élections est, ensuite, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, longtemps contesté par la base: 200 des membres du Comité central sur les 351 que compté cette instance ont contesté son choix des listes pour les élections du 10 mai 2012. Il sera choisi sans doute par le président Bouteflika pour diriger le futur gouvernement algérien. On veut dire, en outre, qu’il est renforcé dans sa quête de pouvoir succéder au président Bouteflika, en 2014.
Enfin, le troisième homme est Ahmed Ouyahia, qui devient le chef du troisième parti algérien. Compétent, maîtrisant ses dossiers, affable, cet homme, que l’on dit un fidèle du président Bouteflika, est, lui aussi, sur la short liste des Algériens appelés à avoir un véritable destin national.