En application d’un document signé samedi dernier (12 mai 2012) par le ministre
des Affaires religieuses, le ministre de l’Education et de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche scientifique, et le Cheikh de la Grande
Mosquée Zitouna, ce sanctuaire redeviendra donc, comme jusqu’à la fin des années 1950,
un lieu de culte et une Ecole.
Comme tout le monde le sait, c’est Bourguiba qui, début 1962, avait décidé
l’arrêt des cours dans “l’illustre Ecole“. Mais il faut dire aussi qu’avant lui,
Kheireddine, déjà, tenait pour fondamentale la réforme de l’enseignement, ce qui
l’avait amené à créer le Collège Sadiki où il avait exigé l’enseignement des
mathématiques, de la physique, de la chimie, des sciences naturelles, de
l’Histoire, de la géographie, ainsi que des langues italienne, turque et
française, en plus, évidemment, de la théologie et de la linguistique. Dans le
même temps, ou presque, il exigea que la Grande Mosquée dispensât, aussi, des
cours d’Histoire, de géographie, d’initiation artistique, de calcul, de
géométrie, d’astronomie et des sciences de la surface. Rien ne prouve que ces
matières aient été réellement enseignées, car cela n’aurait pas justifié la
décision de Bourguiba mettant fin à l’enseignement zeïtounien. Car
l’enseignement réel à la Grande Mosquée portait plutôt sur: la lecture, la
grammaire, l’étude des grands textes de Khaled Al Az’hari, d’Al Ajarroumia
(précis de grammaire d’Ibnou Ajarroum, grammairien de Fès), d’Ibn Hichem
(philologue égyptien), d’Ibnou Malek, etc.; dans le cycle secondaire, on
étudiait le fik’h à partir d’Al Assimya (juriste andalou, cadi de Grenade au
15ème siècle), la rhétorique et la littérature dont les Sept Muâllaqat.
Dans son livre intitulé «Bourguiba et l’islam», Lotfi Hajji écrivait: «A partir
du moment où les chefs de file du mouvement réformateur musulman côtoyèrent
l’avant-garde de la modernité européenne, ils prirent conscience que les Arabes
avaient quitté l’Histoire par la grande porte et déserté l’arène de la
civilisation en négligeant la recherche scientifique. Ils comprirent que, s’ils
voulaient de nouveau participer à cette civilisation, née en dehors de leur
contexte, ils devraient frapper à cette même porte».
Un constat, d’abord, si amer qu’il paraisse: les Arabes n’ont pas encore renoué
avec l’Histoire (ils n’ont rien inventé –ou très peu de choses). Dans leur
course morbide derrière le pouvoir –et son accaparation le plus longtemps
possible–, ils ont abêti et sclérosé leurs peuples, obstruant devant eux la voie
de la création, l’invention. Ils ont réduit leurs peuples à de simples bouches
consommatrices et des esprits obtus. D’ailleurs, le long des 23 dernières
années, l’on a tellement chambardé, année après année, l’enseignement que nos
enfants sont, aujourd’hui, nuls en arabe, nuls en langues étrangères, et nuls un
peu partout (seuls y ont échappé ceux ayant opté pour de grandes écoles
privées). Puis, une petite consolation: nous autres Arabes de Tunisie, nous
avons tout de même “frappé à la porte de la civilisation européenne“. Certes,
nous sommes restés de simples spectateurs face à la compétition au quotidien que
se livrent Européens et Occidentaux dans la course à la … création et
l’invention, mais nous nous sommes familiarisés autant que faire se peut avec
toutes ces inventions qui nous assaillent jour après jour.
C’est tout de même remarquable à quel point nos enfants de 6-13 ans sont
capables d’assimiler et de manipuler l’ensemble de ces nouveautés
technologiques, allant de l’ordinateur jusqu’à l’iPhone. Si seulement demain on
pouvait leur dispenser un enseignement de haute qualité, et on en ferait de
grands génies. Hélas!
Et donc, dans ce contexte où nous accusons, avec le reste du monde arabe, un
retard d’environ deux siècles, voilà que l’enseignement zeïtounien refait
surface. Pour enseigner quoi au juste? Selon le ministre des Affaires
religieuses, elle (la Grande Mosquée) aura une mission scientifique, éducative
et culturelle, l’objectif étant de «concilier entre modernité et authenticité».
C’est très beau, tout cela. Sauf qu’il y a un problème: ce monde que nous vivons
est un train express qui file à une vitesse hallucinante. Par conséquent, le
véritable défi que nous pose ce train est de savoir si nous pouvons, oui ou non,
le prendre en marche ou si nous allons, chaque année, accuser encore un siècle
de retard. Aujourd’hui, ce n’est ni l’authenticité ni l’identité qui nous feront
avancer; c’est de la poésie tout ça. Et la poésie est morte dans le monde
entier. Tant que nous n’avons pas compris que l’impératif majeur consiste à
dispenser à nos enfants un enseignement de très haute qualité, nous allons
mourir, ensemble, avec notre très chère authenticité.
Or, et jusqu’à preuve du contraire, tout porte à croire que l’ancienne-nouvelle
Ecole Zitouna sera exactement à l’image de la Radio Zitouna: une station
inutile.