«Quoique tu rêves d’entreprendre, commence-le, l’audace a du génie, du pouvoir et de la magie», une citation du philosophe allemand Goethe cité par Hassan Zargouni, PDG de Sigma Conseil dans son intervention lors d’une conférence sur l’employabilité et l’emploi organisée par l’Association Nou-R.
Encore faut-il que l’audace soit accompagnée par les idées, le savoir et les bases d’un enseignement bien réfléchi et bien assuré. Ce qui n’a pas été le cas en Tunisie, surtout au cours des deux dernières décennies, et qui a eu pour conséquence le lourd héritage de 800.000 chômeurs dont près de 20% sont diplômés de l’enseignement supérieur.
Les études effectuées jusqu’ici montrent que l’écart entre la demande et l’offre des diplômés du supérieur est de 30.000. Diplômés qui n’osent s’aventurer dans le travail indépendant qu’à hauteur de 4,8% alors que 19% des non diplômés «osent».
Mais tous ces jeunes qui ont cru, auxquels on a fait croire qu’ils étaient compétents, sont-ils coupables de ne pas oser? Car le plus grand crime commis en Tunisie sous Ben Ali est bien celui d’avoir encouragé la naissance d’un enseignement à 2 vitesses, celle “des nantis et moins nantis“ et celle “des grandes villes aux dépends des régions“.
Personne n’a jamais abordé les pratiques de corruption et de malversations perpétrées dans les milieux de l’enseignement. Partant du primaire et jusqu’à l’université, on a instauré une discrimination de fait entre ceux qui peuvent offrir à leur progéniture des cours particuliers et les inscrire dans des établissements privés et ceux condamnés par la justesse de leurs moyens au public. Un secteur qui se vide de plus en plus de sa consistance et de ses meilleurs éléments, lesquels, fatigués de se battre avec un système qui ne leur donne ni les moyens matériels ni pédagogiques pour mener au mieux leur mission, vont ailleurs ou tout simplement tombent dans l’attentisme et l’indifférence.
Or, la qualité des études auxquelles on peut accéder détermine en grande partie le devenir de l’étudiant, et en particulier ses chances d’accéder à un emploi, comme l’indique Ahmed Zaeim, universitaire.
Les établissements universitaires souffrent pour leur part, d’après les experts, d’introversion, d’absence d’autonomie, de lourdeur de la gestion et d’un faible pilotage selon les besoins de l’économie et de l’employabilité. Aucun cadre juridique valable n’existe pour gérer au mieux le partenariat public-privé, sans parler des lourdeurs administratives qui empêchent toute initiative facilitant le recours à des profils adaptés aux besoins de l’heure, tels les coach, les experts ou les professionnels. La conséquence est que nombreuses sont les solutions et les mesures vouées à l’échec, non pas par ce qu’elles ne sont pas pertinentes, mais parce qu’elles ne sont pas mises en œuvre dans les bonnes conditions.
L’université vit aujourd’hui dans une quasi ignorance du monde de l’entreprise, conjuguée à une paresse intellectuelle de la part de certains formateurs et de nombre d’étudiants lesquels formulent des souhaits peu réalistes relativement à leur niveau de formation et montrent dans leurs exigences une véritable mentalité d’assistés.
A l’expert qui a procédé à l’étude commanditée par l’Association Nou-R sur la perception de l’environnement, un professionnel rétorqua: «comment voulez-vous que je place une jeune diplômée en droit à qui je remets un petit texte, sur le droit de la famille, à traduire du français à l’arabe et qui me demande le sens du mot “divorce”?». Un autre relevait que certaines branches sont demandeuses de recrues mais ne peuvent accueillir des jeunes non opérationnels: les cabinets de radiologie, par exemple, refusent de prendre des jeunes qui ne connaissent pas les appareils et machines et qui, de plus, ne sont pas capables de comprendre leur mode d’emploi à cause de leur faible maîtrise des langues.
En réponse à toutes les insuffisances citées plus haut et au diagnostic négatif effectué par les experts, des recommandations ont été proposées aux autorités concernées qui, nous l’espérons cesseront de médire et de critiquer les réalisations ou les échecs de leurs prédécesseurs et s’attelleront à la refonte du système de l’enseignement pour de meilleurs résultats sur le terrain.
Pour ce, il va falloir revoir les cursus universitaire pour que nos étudiants soient aux standards étrangers, qu’il y ait une meilleure exploitation des TIC, qu’il y ait au sein des universités des structures de recherche effectives et non de la poudre aux yeux. Il est urgent d’établir des budgets recherche pour des programmes précis et assurer le suivi avec garantie de résultats en créant des centres de recherche qui doivent être le pont qui relie entre le public et le privé en essayant de résoudre les problèmes de l’entrepreneur par des moyens scientifiques efficaces.
L’enseignement en général et le supérieur en particulier doit vivre sa propre révolution, car pour former des esprits critiques et entreprenants, il va falloir en premier lieu restructurer fondamentalement, en passant par le changement des mentalités des enseignants eux-mêmes, en améliorant les outils pédagogiques et en promouvant des spécialités dont la formation est plutôt appliquée.
Mais à la base de toute réforme, c’est la gouvernance qui prime et à tous les niveaux, qu’elle touche aux dirigeants dans les universités, à la gestion des départements ou à l’élection des conseils scientifiques qui doivent échapper à tout dirigisme ou velléité de supervision de la part des autorités de tutelle. Car c’est avec de meilleures pratiques surtout celles liées au recrutement des enseignants qui doivent être basées sur la compétence et non les pistons que nous pouvons, dans un premier temps, assurer aux étudiants la meilleure des formations et leur assurer un meilleur accès au marché de l’emploi.