Les investisseurs arabes, privés de technologies, focalisent sur une logique financière. La Tunisie, à la recherche d’un nouveau modèle économique, a pour horizon une dynamique de développement. Peut-on assurer la compatibilité entre les deux orientations?
Notre pays accueille la 15ème édition du Forum des investisseurs arabes. Cette manifestation, à n’en pas douter, doit être perpétuée. Par nécessité, d’abord. Le pays a besoin de diversifier ses axes d’échange et de désenclaver ses aires d’influence et ses autres «droping zones» d’intérêt économique. Cela est de nature à renforcer sa résilience aux chocs externes. Par cohérence, ensuite. L’entourage arabe sur les flancs Est et africain au sud est notre prolongement immédiat, notre «hinterland». La volonté d’exister sur ces espaces mitoyens semble répondre à un besoin conséquent d’extension sur un marché naturel, pour le pays. On ne sait si c’est par défaut de construire une offre suffisamment alléchante ou parce que le marché national reste étriqué l’investissement arabe a toujours eu un effet mirage.
Peut-on infléchir cette tendance, à l’heure actuelle? Quels seraient, en ce cas, les termes d’un nouveau deal à mettre en place?
Mansour Moalla et son initiative «Les investissements arabes dans les pays arabes»
Depuis le début des années 80’, notamment sous l’impulsion énergique du ministre des Finances de l’époque, Mansour Moalla, il y a eu cette volonté d’attirer «les investissements arabes dans les pays arabes». A l’époque, les pétrodollars étaient abondants. Et, les surplus étaient condamnés à l’errance, dans des placements de court terme, par la volonté politique des pays européens et américains. Là-dessus, la Tunisie était parmi les premiers pays arabes, sinon le premier, à ouvrir son espace économique pour les investissements arabes, leur offrant une perspective stable de long terme. L’initiative ne manquait pas de cohérence et semblait tenir la route. On connaît la suite. Des participations dans des banques de développement mixtes ont eu lieu, avec des moyens modestes. Leur bilan ne fut pas des plus encourageants.
L’excès de prudence des investisseurs arabes et leur inclination pour des rapports rapides n’ont permis de structurer une politique d’investissement qui aurait conforté la politique économique du pays. Il faut dire que quelques flops retentissants ont été quelque peu dissuasifs. On citera le complexe mécanique de Mateur qui a fini par être liquidé et la Sakmo dont la trajectoire n’a pas été conforme au business plan.
Massivement orientés vers le tourisme, les engagements de ces banques n’ont pas aidé à la véritable transformation de l’économie. Mais on en redemande encore, surtout en période postrévolutionnaire où nos besoins d’investissement ont explosé.
Des partenaires stratégiques, sans technologies?
Plus tard, avec l’émergence des fonds souverains, on pensait que les investissements arabes seraient plus consistants. Tel ne fut pas le cas. Leurs cibles demeurent, dans la majorité des cas, les services. Or ce secteur n’est pas fortement structurant pour l’économie. Le pays semble avoir davantage besoin de changements profonds dans l’économie réelle, physique, celle de la production de biens.
Cela nous ramène à constater, hélas avec regret, que les investisseurs arabes ne possèdent pas les technologies qui faciliteraient un transfert vers la Tunisie profitant directement à l’intégration de l’économie tunisienne et à la complexification des process de production, en vue d’une plus grande valeur ajoutée.
Les termes d’un «nouveau deal»
La FIPA a toujours œuvré pour une triangulation entre nous, ainsi que l’UE, notre premier partenaire commercial et technologique, de même que les investisseurs arabes. Cette piste semble plus porteuse à l’avenir, que les seuls investissements bilatéraux. Caler l’appel des investissements arabes sur cette perspective de regroupement régional réunit, selon notre point de vue, une plus grande dynamique. Naturellement il faut aussi l’adosser à cet allant créé par le programme du Marché économique arabe.
Souvenons-nous qu’au sommet de Koweït City en décembre 2009, deux dates ont été retenues. D’abord 2015, pour le marché unique, et 2020 pour une intégration économique avancée. Une dynamique arabe collective susciterait davantage d’adhésion. Et par-dessus tout, elle exige une préparation importante.
Voyons comment le Maroc a su instrumentaliser les Accords d’Agadir. Le Maroc, en perspective de cet arrangement, avait calibré bien des projets de développement. A peine l’accord mis en place que le Maroc a annoncé son partenariat avec le constructeur Renault pour une usine qui produirait, en régime de croisière, tenez-vous bien, 400.000 véhicules, c’est-à-dire de quoi inonder le marché arabe. Cette initiative peut servir d’exemple et de précédent.
A l’heure actuelle, la Tunisie s’est dotée de deux véhicules de professionnalisation de l’investissement, à savoir la Caisse des Dépôts et Consignation et le Fonds Ajyal, qu’on attend toujours. Ce sont deux vecteurs à mette en avant, en pareille circonstance.