Frileux? Eh oui, nombreux sont nos opérateurs économiques qui n’osent pas affronter les dangers d’une Libye vivant une phase postrévolutionnaire pour aller s’y implanter. Ils ressemblent en cela peu aux Turcs, Egyptiens et autres européens et américains, lesquels, pour leur part, détruisent un pays pour pouvoir le reconstruire…
Trois missions d’affaires? Quatre? En tout cas, elles ne sont pas nombreuses les délégations d’hommes et de femmes d’affaires tunisiens qui ont osé brader la peur et l’insécurité et partir à la conquête d’un marché où tout est à construire.
Le président libyen de l’UCCIL -équivalent de l’UTICA en Tunisie- n’a pas manqué d’exprimer son aversion pour la manière dont les Tunisiens traitent le marché libyen «avec hauteur», nous a-t-il mentionné récemment.
La Libye a changé, et le départ de Kadhafi a laissé un goût amer chez les Libyens qui ont aujourd’hui et plus que jamais besoin de reconnaissance, de respect et de partenariats égalitaristes et équitables avec leurs voisins les plus proches, la Tunisie, l’Algérie, le Soudan et l’Egypte.
Le plus étonnant dans la réaction du patron des patrons libyens est que nos compatriotes opérateurs privés n’ont pas hésité à se déplacer en Libye dans un contexte sécuritaire qui n’était pas des plus rassurants, mais il est d’autant plus vrai que certaines attitudes condescendantes pourraient parfois entraîner le refus de l’autre. Heureusement, le président provisoire tunisien, Moncef Marzouki, a effectué son premier voyage officiel en Libye les 2 et 3 janvier 2012. Il était accompagné d’une forte délégation d’hommes et femmes d’affaires, lesquels, semble-t-il, auraient assuré.
Un marché à plus de 150 milliards de dollars en projets d’infrastructures
Le marché libyen est capital pour la Tunisie, estime Ridha Mahjoub, président du Groupement professionnel des conseillers en exportation: «C’est un marché évalué à plus de 150 milliards de dollars en projets d’infrastructure pour la reconstruction».
En 2011, plus que 70 % des exportations en direction de la Libye étaient constituées de produits agricoles et agroalimentaires dont essentiellement les huiles et graisses végétales, conserves de tomates, pates alimentaires, farine et dérivés, margarine, fromages, produits de la boulangerie, lait et dérivés. Mais durant l’année dernière, il n’y a pas eu vraiment d’importation de la Libye, alors qu’en 2010, la majorité des importations en provenance de ce pays voisin étaient composées de dérivés de pétrole.
Habib Hammami, représentant du Cepex à Benghazi, croit en ce marché et surtout en sa reprise progressive. «Actuellement, nous constatons une reprise notoire de l’activité économique du pays surtout au niveau commercial, manifestée par le volume des importations par voie maritime, et l’activité portuaire intense de Benghazi et Misrata, l’existence de liquidités auprès du système financier en monnaie locale et en devises étrangères, et l’émergence d’un secteur privé ayant pour objectif de participer à la reconstruction du pays».
Le marché libyen est très sensible au service tunisien auquel il est habitué, qui lui est proche culturellement et pour lequel il a accumulé un grand capital sympathie surtout après le soutien des Tunisiens à la révolution libyenne. La Libye offre des opportunités pour le développement d’industries à haute consommation énergétique (aluminium, fonderies, briqueteries, cimenteries) car le coût de l’énergie y est extrêmement bas.
Sur un tout autre volet, le marché libyen, assure Ridha Mahjoub, est une porte d’accès sur l’Afrique grâce aux investissements réalisés par la LAICO, et qui nécessitent plus de déploiement ainsi que la mise en place d’autres projets satellites.
Quant au financement de projets, il y serait de loin plus accessible que sur le marché tunisien car industriellement vierge, puisque tout reposait sur le commerce et principalement dans le secteur des hydrocarbures.
«Si des accords sont mis en place, une grande possibilité d’accéder au pétrole à un prix plus favorable que le taux du marché mondial s’offre à nous Tunisiens. Plus encore, nous aurions des possibilités d’exploitation commune de nouveaux ports en eau profonde pour desservir l’Afrique du Nord et dégager les ports tunisiens; et pour ceux qui s’y implanteront et exporteront leurs produits, l’écoulement de leurs marchandises serait aisé car le pouvoir d’achat est beaucoup plus important que sur le marché tunisien».
Mais hormis le développement des exportations habituelles (agroalimentaire essentiellement) sur le marché libyen, qui représente la 5éme destination de la Tunisie, l’objectif est de se positionner au niveau des exportations des secteurs de services à haute valeur ajoutée, constituées par: les services de la santé, l’ingénierie informatique, la formation et l’éducation, les BTP, les services bancaires, le consulting et bureaux d’études, ainsi que le savoir-faire institutionnel.
Mettre en place une nouvelle approche pour conquérir le marché libyen
Pour promouvoir ces offres, le CEPEX vient d’élaborer une stratégie qui tienne compte des capacités de la Tunisie en termes de services exportables et de la demande spécifique libyenne.
Selon Habib Hammami, la nouvelle approche du marché libyen devrait être différente de celle dont on usait auparavant. La Libye n’est plus ce qu’elle était au temps de Kadhafi, et si nous ne prenons pas en compte les changements structurels aussi bien économiques que politique et même sociaux, nous ne pourrons pas nous adapter au nouveau contexte libyen.
Le marché libyen pourrait être une continuité du marché intérieur tunisien: «Nous n’aurons pas de mal à y placer nos produits du fait de la proximité et la connaissance de part et d’autre du milieu d’affaires, la principale entrave se trouve plutôt au niveau de la législation libyenne qui devrait laisser une marge aux Tunisiens pour entamer certaines activités dont le pays a besoin et dont nous avons une capacité concurrentielle. Pour plus de précision, la loi numéro 5 du Code d’incitation aux investissements prévoit un capital minimum de 1 million de dinars libyens pour constituer une société en Libye, les secteurs d’activité sont délimités. Or, pour des créneaux exportateurs au niveau des services, on n’a pas vraiment besoin de ce capital pour monter une affaire», estime M. Hammami.
Pour ce qui est de la concurrence, la nouvelle politique économique conseillée par les instances internationales prône une ouverture de l’économie libyenne en concomitance avec le développement du secteur privé et une diversification de l’économie. L’interventionnisme de l’Etat va être réduit, de ce fait, le marché ne serait plus comme avant. Ouvert à tous, seule la compétitivité des produits l’emportera. Actuellement, ce sont les Turcs qui s’y imposent avec des prix défiant toute concurrence.