Après le jasmin pour les “meet & greet“ aux aéroports de Tunisie, nous voilà passés en mode nettement plus spectaculaire. Les appels au meurtre des juifs le jour de l’arrivée de Hanniyeh et de Wajdi Ghoneim ont laissé place à un accueil plus virulent, notamment à l’aéroport international de Tunis-Carthage où un scenario digne d’un film d’épouvante a intimidé voire paniqué les voyageurs arrivés de diverses provenances.
L’image du déploiement musclé et provocateur de centaines de militants “religieux“ qui contestaient contre l’interdiction d’entrée de deux djihadistes marocains a fait le tour des médias étrangers. Si on voulait marquer les esprits et tenir le haut de l’actualité, on n’aurait pu mieux faire. L’aéroport international de Tunis-Carthage a vécu un jour sombre et a été enveloppé, le temps d’un soir, de drapeaux noirs. Plusieurs centaines d’hommes engagés scandaient du “tekbiir“ et portaient des tenues exigées: barbe, “qamis“, tenue afghane ou militaire.
A l’heure où se clôt le “Salon des investisseurs arabes“ et commence le “Forum des investissements“, quelle image donne le pays? Des investisseurs arabes ont exprimé leur étonnement face à pareils débordements. La Tunisie est-elle en train de donner une image radicalement islamiste et obscurantiste au point de choquer, même ceux qui en seraient originaires?
Si le tourisme tunisien a longtemps souffert des 3S (Sea, Sun & Sex), le voici maintenant flanqué d’un quatrième S… pour “Salafisme“. Celui-ci risque de coûter de plus en plus cher à l’économie tunisienne. Plus encore, à l’heure où certains estiment que le salafisme est marginal, d’autres considèrent qu’il constitue une menace et un vrai danger pour le modèle tunisien dans un contexte marqué par une confusion dans les rapports qui le lie au parti Ennahdha.
Hamadi Jebali affirmait il y a quelques jours qu’il serait ferme contre tout groupe enfreignant la loi, mais sous-entendait-il que les salafistes (sans les nommer) étaient «des citoyens comme les autres» et qu’ils «ne seront pas jetés en prison»? Qu’à cela ne tienne! L’action qui s’inscrit dans cette logique est la reconnaissance du premier parti salafiste de Tunisie, le “Front Islah“, autorisé le 11 mai et dont les leaders s’engagent à changer la perception erronée que l’on se fait des salafistes en Tunisie.
Ces derniers ”sont la cible d’une campagne de dénigrement orchestrée par les laïcs“, a déclaré le chef du parti, Mohamed Khouja, dans un entretien téléphonique à la chaîne Bloomberg. A ce jour, aucun parti d’obédience salafiste ne s’est exprimé sur les incidents de l’aéroport. Ridha Belhadj, chef du parti “Ettharir Tounes“, a déclaré au cours d’une récente conférence de presse à Sfax ne pas avoir besoin de légalisation de son parti. Il considère que les autorités actuelles “sont des adversaires pour le pouvoir“ et estime que les 100 autorisations accordées aux partis politiques sont des pots-de-vin pour acheter leur silence. Il conclut en affirmant que le salafisme est le plus actif sur le terrain. On en a la confirmation tous les jours.
Entre temps, ce sont les investisseurs étrangers qui quittent le pays, les touristes qui ont de plus en plus peur de venir et qui, s’ils y viennent, ont des consignes claires de ne pas sortir de leurs hôtels. La Tunisie, “Mecque des prédicateurs du monde entier“ va-t-elle devenir une destination de choix pour prêcher la haine et l’intolérance? Certainement pas, puisque les “djihadistes“ en question ont été expulsés du territoire tunisien et que leur série de prêches tombe à l’eau. Par contre et pour le moment, c’est le changement radical de l’image de la Tunisie à l’étranger qui plombe toutes les perspectives. Cette image-là fait peur aux Tunisiens eux-mêmes qui, avec humour, observent le salafisme avancer à grands pas en s’appropriant les rues et les quartiers, les écoles coraniques et les mosquées…
En face, le gouvernement peine. Il semble de plus en plus paralysé bien qu’il multiplie les initiatives. Celles-ci se fracassent contre l’engrenage infernal de régressions, entre autres conséquences des errements d’une nouvelle équipe dirigeante plus soucieuse de s’assurer le pouvoir que d’en stopper les dérives. Désormais, cette équipe est la seule à avoir le pouvoir de les faire cesser. Si le temps joue contre elle, il serait suicidaire, voire criminel pour le pays, d’éviter d’assumer ses responsabilités pour des contingences électorales ou électoralistes.
Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, estime que le rythme d’investissement en Tunisie “a repris son allure malgré une baisse enregistrée l’an dernier et un déséquilibre observé en 2012 alternant entre stagnation et relance”, mais l’affluence des investisseurs durant cette année ne peut que “confirmer la confiance renouvelée en la destination Tunisie“. Y croit seulement? Ne sait-il pas qu’un peuple qui a faim et qui perd patience se retourne contre ceux pour qui il a voté au risque de plonger à nouveau le pays dans la violence qui plomberait à nouveau tous les efforts de relance économique?
Face à l’inconnu et au danger que représente le salafisme, la légitimité des urnes peut voler en éclats. Les Tunisiens perdent patience et ont besoin que se traduisent en actions les promesses liées à une vie meilleure, hélas trop nombreuses pour être honorées. Les Tunisiens ne redoutent-ils pas de plus en plus l’endoctrinement de leurs enfants que l’absence d’horizons?
Pour en revenir à l’épisode de l’aéroport de Tunis-Carthage, le pays résistera-t-il longtemps à de pareils incidents? La saison touristique qui semble repartir en sera-t-elle impactée? Les touristes venant de l’Algérie voisine (plus d’un million), qui se sont exprimés par les urnes face à l’islamisme politique, viendront-ils après ces images qui leur rappellent trop de mauvais souvenirs?
A l’heure où les opérateurs touristiques retiennent leur souffle, les observateurs avertis sont surpris ou confus par le flottement et les errements de cette Tunisie qui se construit. Si le gouvernement actuel n’est plus que l’ombre de lui-même, l’opposition, elle, se débat dans ses contradictions et petits calculs politiciens, ne parvenant toujours pas à être ni crédible ni audible. Incapable de se réunifier, l’opposition a pourtant une responsabilité énorme à un moment aussi historique. La démocratie n’existe que s’il y a une perspective effective d’alternance. Actuellement, l’opposition ne parvient pas à défendre l’essentiel et apparaît bien éthérée. Loin de se dresser comme une force de propositions, sera-t-elle prête au bon moment à entamer une vraie compétition politique contre le camp d’en face?
Pour le moment, le seul remède contre les dangers du salafisme est d’appliquer la loi contre ceux qui l’enfreignent. Toute les personnes qui prêchent la haine ou la violence sur des bases religieuses ou autres tombent sous le coup de la loi dont l’application stricte dans tous les domaines de la vie publique reste tributaire et en premier lieu de la volonté politique. C’est le respect de la loi qui est le garant du développement économique, du retour des investissements et de la stabilisation de la situation sociale et politique. Reste que parallèlement il faut œuvrer au changement des mentalités et à la prise de conscience des citoyens. Et cela, c’est toute une autre histoire!