Le tout bon ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, Riadh Bettaieb, très rarement dissocié de son sourire angélique, vient d’annoncer l’ouverture prochaine à l’étranger de 5 nouveaux bureaux de recrutement des investissements internationaux qui viennent s’ajouter aux 6 bureaux pilotés par la FIPA. Quelques jours auparavant, le chef du gouvernement annonçait que la Citadelle de l’ex-RCD, ou maison du RCD, sera rebaptisée «Maison de l’investisseur». Bien que faites séparément dans le temps et dans le lieu, les deux annonces ne manquent pas de complicité. D’une part, cinq bureaux pour séduire des nouveaux investisseurs, et, d’autre part, une structure extravagante pour accueillir ces mêmes nouveaux investisseurs. Le lien de causalité semble être bien établi.
Troisième annonce à laquelle on s’attendait serait à venir de la bouche du ministre de Transport pour rendre publique la liste des nouvelles dessertes, aériennes et terrestres, pour transporter les nouveaux investisseurs vers les destinations finales, sauf que ce dernier semble plutôt pris par le remue- ménage au sein de son ministère et ne pas trop croire en une équation mathématique établie à distance.
L’acte d’investir est un acte humain à résonnance économique
Il est peut-être utile de rappeler que M. BETTAIEB, quelles que soient ses qualités personnelles, n’est relié par quelque lien professionnel que ce soit à la fonction de M. IDE, autrement dit, au recrutement des investisseurs internationaux. Parler de premier chasseur des investisseurs en ce qui le concerne est un peu abusif. Pourtant, depuis son arrivée aux commandes de la Place Pasteur, où siège le MICI (ministère de l’Investissement et de la Coopération internationale), il se fait passer pour le messie d’une nouvelle génération d’investissement étranger.
Promesse de campagne tenue: depuis son investiture, les flashs n’ont cessé d’immortaliser les moments forts animés par son stylo qui balançait d’une convention de projet à une autre sans que ces projets ne quittent pour quelque raison que ce soit le strict cadre honorifique des papiers de luxe dans lesquels ils sont collés.
Il faut surtout ne pas en vouloir au ministre «enitien» (c’est-à-dire diplômé de l’ENIT), puisque pour des raisons culturelles, certains projets ne se transformeront jamais en réalité à l’image des projets ayant défrayé les chroniques pour avoir des noms de bien-né: Porte de la Méditerranée, Cité des roses et autres.
Quand on sait que pour accéder à l’ENIT il faut être bon en mathématiques et à la limite moins bon en culture générale, il est bien évident qu’il faut pardonner à un mathématicien de ne pas briller en culture d’affaires. En fait, l’acte d’investir étant par définition un acte humain à résonnance économique, il obéit comme tout autre acte à des règles culturelles soigneusement transmises de génération en génération.
C’est dire que l’implantation de cinq nouveaux bureaux dans cinq différents pays n’aboutira en aucun cas au même résultat. Feu Claude Levi Strauss a beau démontrer que ce qui est en commun entre les peuples doit l’emporter par rapport aux différences qui n’ont qu’à consacrer une hiérarchie qui ne sert pas la cause humaine, sauf qu’en économie la profitabilité ne reconnaît pas d’altruisme sauveteur. Une relation à finition économique est soit rentable, soit à mettre à l’abandon. Ce que le contribuable pourrait reprocher à M. le ministre, c’est qu’il n’a pas eu le temps de comptabiliser la rentabilité des 6 anciens bureaux qui coûtent l’an/bureau autour de 300.000 dollars, prime d’expatriation comprise, qu’il décide de l’ouverture de 5 nouveaux.
Malaisie, pays paradisiaque pour des lunes de miel…
Le contribuable le plus optimiste doit se dire que M. le ministre est soit un bon visionnaire soit un bon limité en culture économique. Sinon comment expliquer les nouvelles cibles: Scandinavie, Amérique du Nord, Malaisie, Turquie, Emirats arabes unis, surtout quand on sait que les deux premières destinations ont été conquises auparavant sous différentes formes (bureau IDE, représentation économique) sans qu’aucun rapport de mesure de performance ne soit mis à jour.
S’agit-il d’un retour de circonstance? Possible, sauf que rien ne le justifie, puisque les mêmes reproches à la base des premières déceptions sont toujours d’actualité: absence d’un cadre juridique de protection des investissements avec l’Amérique du Nord et absence d’échanges économiques avec la Scandinavie, d’où un effort de lancement de l’offre tunisienne qui devrait coûter un budget colossal.
La Malaisie, à 8 heures de décalage horaire de la destination Tunisie et à 8 ans de décalage par rapport à son objectif «la Malaisie 2020», soit la Malaisie industrialisée, suscite plus d’une question quant à la rentabilité d’un bureau IDE alors que l’ambassade de Tunisie sur le même pays est encore en phase de projet. Certes, il s’agit d’un pays paradisiaque pour des lunes de miel inoubliables, mais d’ici là à aller chercher les ingrédients d’un printemps économique tunisien dans un pays en décalage de saisons avec le nôtre, ça revient à remettre au goût du jour toutes les expériences tunisiennes antérieures en matière de diversification de partenaires qui sont restées sans lendemain parce que tout simplement n’obéissant à aucune logique économico-culturelle.
Les émiriens et les Turcs, de leur côté, ont été les premiers à atterrir en terre tunisienne après le 14 janvier, animés par l’idée «premier venu, premier servi». Une chose est claire, personne n’a été les chercher et si on revient à la donne culturelle, il est admis que les capitaux “émiriens“ (superflu de liquidité) et les entrepreneurs turcs (bâtiment et grands travaux) ne se font pas désirer pour partir à l’international. Ce sont des capitaux qui connaissent la porte d’entrée, généralement l’exécutif ou les réseaux d’influence. D’où la question du contribuable: comment M. le ministre, depuis son bureau, vue sur le Belvédère, a-t-il pu anticiper des attitudes humaines pour annoncer un investissement aussi important? M. le ministre a-t-il pu un jour consulté un rapport neutre sur les performances d’un bureau à l’étranger ou tout simplement la relation cause à effet entre les flux entrants et les flux sortants sous forme de représentations et de missions?
D’ici là, l’information largement relatée par la presse tunisienne la semaine dernière reste loin de constituer un cas d’étude pour les jeunes ipsistes puisqu’elle manque au moins trois composantes, à savoir le pourquoi, quand et comment?
Bon, on ne va pas demander à un mathématicien d’être bon en journalisme également, mais au moins nous expliquer comment réussit-on à multiplier les mandats de cinq ans à l’étranger avant et après la révolution? M. le ministre pourrait se faire aider par un ami, si jamais ça coince, sinon il y aura certainement un vieux représentant de FIPA à l’étranger pour lui dévoiler les secrets de la résolution. Les connaisseurs des coulisses des représentations économiques tunisiennes à l’étranger, jusqu’ici épargnées par les coups de balaie, n’hésitent pas d’avancer la thèse selon laquelle un bon mathématicien en pleine connaissance de cause doit revenir sur sa décision et probablement inverser l’équation pour passer de 6+5 à 6-5. En tout cas personne ne doute que M. le ministre est un brillant mathématicien.