Aujourd’hui l’Union européenne (UE) dispose de trois cadres différents qu’elle a, elle-même, proposés, pour organiser la coopération en Méditerranée: le Processus de Barcelone (PB) né en 1995, la politique européenne de voisinage (PEV) née en 2003 et l’Union pour la Méditerranée (UpM) née en 2008.
L’objectif final de ces initiatives est globalement le même, ne serait-ce que par la filiation qui existe entre elles: «transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité» (1). Chacune d’elles est cependant structurellement différente de l’autre. On y trouve respectivement : un partenariat de l’UE avec 14 pays riverains de la Méditerranée, une politique unilatérale de l’UE à l’égard de son voisinage, une organisation intergouvernementale à 43 pays.
Au demeurant, ces trois cadres n’ont pas été en mesure d’atteindre les objectifs fixés et font aujourd’hui l’objet de défiance, au moins de la part des pays du Sud quand ce n’est pas de tous, pour des raisons parfois contradictoires.
Il est certain que l’existence de ces trois cadres crée une certaine confusion, voire même l’impression d’une redondance contreproductive.
En 2011, deux nouveaux paramètres sont intervenus: les conséquences de la crise économique qui imposent à l’UE des économies, mais aussi une plus grande vigilance sur l’emploi des aides qu’elle apporte; l’émergence, au Sud, de gouvernances qui affichent un véritable projet démocratique, conforme aux valeurs défendues par l’UE (2).
Il importe donc aujourd’hui d’articuler ces cadres les uns par rapport aux autres et d’harmoniser la coopération entre l’Union européenne et ses partenaires méditerranéens. La présente démarche s’inscrit ainsi comme une proposition à la suite de la Communication conjointe élaborée par les institutions de l’UE le 26 mai 2012 (3).
Une hétérogénéité des acteurs nécessitant d’adapter les outils aux demandes nouvelles
Il convient cependant, avant toute chose, de souligner deux facteurs déterminants et d’en tirer les conséquences: la grande hétérogénéité des acteurs, accentuée par les révoltes arabes;
la permanence de la question israélo-palestinienne freinant toute tentative de coopération globale en Méditerranée.
Les événements survenus au Sud de la Méditerranée, sous la forme de révoltes qualifiées «d’arabes» (4) ont bouleversé la nature des relations qui présidait à la conduite des initiatives citées.
Aujourd’hui, mi 2012, le paysage méditerranéen se décompose en trois groupes de pays:
– ceux pour lesquels la gouvernance est restée la même,
– ceux qui ont fait le choix d’une nouvelle route,
– ceux qui sont encore soumis à d’importantes violences internes.
Les pays, qui ont fait le choix d’une nouvelle route essayent de mieux prendre en compte les aspirations de leurs peuples en soumettant les décisions gouvernementales à l’appréciation de leurs parlements.
Ils rejettent, par ailleurs, les anciens cadres négociés avec les autorités qu’ils ont écartées et demandent la mise en place de nouveaux instruments mieux adaptés à leurs besoins.
Ils appellent à des relations nouvelles fondées sur la coresponsabilité entre partenaires en lieu et place de la tutelle qui trop souvent prévalait auparavant.
L’Union européenne doit donc tenir compte de cette situation nouvelle.
Soutenir les démarches régionales en tant qu’étapes vers le Processus de Barcelone
Les nouveaux instruments demandés doivent différencier les propositions selon l’état de gouvernance des pays partenaires, sans toutefois créer le sentiment d’une ingérence. Ils doivent s’inscrire dans une démarche établissant une conditionnalité réelle entre le progrès vers ce que l’UE considère comme souhaitable aux regards des valeurs qu’elle défend, mais aussi comme utile à la paix et à la prospérité de son voisinage; et un soutien déterminé au développement du partenaire du Sud.
Cela présuppose la mise en place, en partenariat réel, d’un suivi partagé, transparent, et public à la fois des engagements contractés et des outils d’évaluation. Ce contrôle devra s’exercer sur la réalité et la performance des actions des deux partenaires. A ce prix, il devra être prévu, sous forme d’objectif final, un horizon concret et attractif pour les populations
Les critiques majeures apportées tant au partenariat Euromed qu’à l’UpM visent : l’absence de démarche réellement partenariale (la propension de l’UE au dirigisme est dénoncée) ;
l’insuffisance d’implication de l’UE dans le règlement du conflit israélo-palestinien (un engagement fort de l’UE dans ce dossier est régulièrement demandé en préalable à toutes coopérations intégrant Israël.)
La dégradation de la situation au Proche-Orient, encore renforcée par le soulèvement syrien, impose de rechercher des voies de coopération qui puissent, en attendant des jours meilleurs, se développer en évitant d’impliquer Israël aux côtés de pays arabes.
Les approches subrégionales répondent à ces conditions sous réserve bien sûr d’y associer l’Union européenne pour ne pas être perçues, par les pays européens non impliqués, comme potentiellement concurrentielles.
Certaines, tel le 5+5, ont su de plus expérimenter des voies de coopération respectueuses de chaque partenaire.
Réorganiser la coopération en Méditerranée
L’Union européenne doit envisager d’accompagner et soutenir des initiatives subrégionales pour favoriser le développement de la coopération en Méditerranée, dans la perspective, à terme, d’un partenariat plus large, tout en laissant les membres de ces initiatives maîtriser leurs actions.
Il est proposé de rassembler les initiatives existantes dans le cadre global d’un «Partenariat de la Méditerranée» et d’y ajouter une démarche nouvelle, appelée «accord de solidarité» qui s’adresserait aux pays ayant changé leur gouvernance. Ainsi ce «Partenariat de la Méditerranée» comprendrait:
– le Partenariat Euromed, ou Processus de Barcelone, tel qu’il existe aujourd’hui. Il témoignerait de l’objectif final à atteindre sous réserve de revenir dans sa définition aux termes de la Déclaration de Barcelone qui prévoyait un partenariat équitable entre tous les membres pour faire de la Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de prospérité;
– la Politique européenne de voisinage. Celle-ci, en bilatéral entre l’UE et les pays ayant conservé leur gouvernance, prévoirait des plans d’action dont l’aboutissement serait l’attribution d’un statut avancé.
– «L’accord de solidarité». Celui-ci également en bilatéral mais cette fois entre l’UE et les pays ayant changé leur gouvernance, serait appuyé sur des conditionnalités de respect des valeurs européennes selon des modalités convenues de façon concertée. Il prévoirait un fort soutien européen, conditionné et individualisé à chaque pays candidat, privilégiant la création d’emplois, la sécurité alimentaire et la suffisance de la ressource en eau, puis l’accès aux autres biens essentiels (la santé, l’assainissement, l’éducation, le logement, l’énergie etc.), selon un échelonnement qui réponde aux urgences définies par les nouveaux pouvoirs élus et aux exigences imposées par la dégradation des situations économiques dans des pays fragilisés par la crise mondiale. Il proposerait un objectif ou un horizon réellement séduisant qui puisse mobiliser non seulement les décideurs mais aussi les populations. Celui-ci pourrait sans doute s’inspirer du statut d’associé tel qu’il est accordé par l’Union Européenne à la Norvège ou à la Suisse;
– l’Union pour la Méditerranée. Structure intergouvernementale, ouverte à tous les pays volontaires, elle accueillerait les projets pratiques sur lesquels des gouvernements s’engageraient à coopérer, en veillant cependant à ne plus faire double-emploi avec les coopérations thématiques engagées au titre du volet horizontal du Processus de Barcelone;
– les structures subrégionales, tel le 5+5, réuniraient des pays souhaitant renforcer leur coopération mutuelle en partenariat réel, dans des espaces géographiques choisis. L’Union européenne y serait présente, selon des modalités inspirées de celles en vigueur au sein du Conseil de la Mer Baltique, pour pouvoir soutenir ces initiatives, véritables laboratoires du Partenariat Euromed, mais n’interviendrait pas dans les choix et orientations des actions de coopération effectués par les membres.
Arrêter le rôle du secrétariat général de l’UpM
Ainsi l’Union européenne disposerait, au sein du «Partenariat de la Méditerranée», de deux types de cadres partenariaux: le Partenariat Euromed et les partenariats subrégionaux, ces derniers constituant des étapes vers le premier; un cadre intergouvernemental appliqué à des projets: l’UpM; un cadre de coopération de l’UE en bilatéral avec les partenaires ayant conservé leur gouvernance: la PEV; un cadre de coopération de l’UE en bilatéral avec les partenaires ayant changé leur gouvernance et acceptant le principe d’une conditionnalité réciproque contrôlée ensemble: l’«accord de solidarité».
En conclusion, la réorganisation proposée vise à réunir, sous l’appellation de «Partenariat de la Méditerranée», les cadres existants de Partenariat Euromed, PEV, UpM et de coopération régionale (type 5+5) ainsi qu’un cadre nouveau destiné aux pays ayant changé de gouvernance, l’«accord de solidarité», afin de fixer les champs d’application de ces initiatives et de les coordonner.
Cette proposition de réorganisation nécessiterait d’adapter les structures institutionnelles existantes et notamment d’arrêter le rôle du secrétariat général de l’UpM.
En tout état de cause, il convient d’éviter de créer de nouvelles structures. Les initiatives régionales doivent se garder de développer des institutions. L’accord de solidarité doit pouvoir être suivi par les mêmes instances que la PEV.