Pourquoi a-t-il fallu attendre le ministre malaisien des Finances, Ahmed Husni Datou Siri, pour qu’il nous fasse prendre conscience de l’ampleur du marché halal (2,3 trillions de dollars de chiffre d’affaires) pour l’exploitation duquel moult pays industrialisés, dont le Canada, champion du halal, ont développé, des décennies durant, des stratégies marketing conquérantes et en ont récolté les fruits au triple plan de l’investissement, de l’emploi et des recettes en devises?
Pour mémoire, le marché «halal», dédié au monde islamique, ne vend que ce qui est permis ou autorisé pour le pratiquant et couvre toute une gamme de produits agroalimentaires, cosmétiques, logistiques et pharmaceutiques. C’est-à-dire toute une industrie que nos industriels n’ont pas su, hélas, développer malgré l’existence d’un marché géant, plus d’un milliard de musulmans dans le monde et la disponibilité de mécanismes incitatifs: des initiatives de la Banque islamique de développement (BID) et le Programme de renforcement des capacités commerciales des pays arabes «Enhancing Arab Capacity for Trade» (Enact), programme initié par l’organisme onusien, l’International Trade Center (ITC) et financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI).
Pour comprendre ce retard, la question mérite d’être posée aux responsables des structures d’appui, particulièrement à la diplomatie économique, au Centre de promotion des exportations (Cepex), à l’Agence de promotions des investissements extérieurs (FIPA), à l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII) et à l’Agence de promotion des investissements agricoles (APIA), entre autres. Ces mêmes responsables, qu’on peut qualifier de “nouveaux Ibn Batouta“, passent leur temps entre deux avions soit à faire leurs courses, soit à participer, stérilement, à tous les salons halal, et ce sans créer, un jour, de la valeur pour le pays et sans lui apporter quoi que ce soit de significatif.
Une idée sur le retard qu’accuse la Tunisie en la matière. Abdelkader Boudriga (Tunisie), facilitateur du programme Enact, a annoncé, dans une récente interview à la presse, que «les structures d’appui à l’export comptent (entendez bien “comptent“) élaborer une étude sur l’offre de la production halal en Tunisie». En plus clair encore: nous sommes carrément encore au début.
Moralité: l’efficacité de ses structures pléthoriques, de véritables gouffres d’argent pour le contribuable, gagnerait, après la révolution, à être évaluée et auditée, en toute urgence, d’autant plus que notre prise de conscience des enjeux de ce marché arrive très en retard en ce sens où ses détracteurs commencent à marquer des points et en rétrécir l’espace.
Faut-il rappeler à ce sujet que le marché halal a été au centre de la récente campagne présidentielle française. Alertée par un reportage du magazine télévisé “Envoyé Spécial“ diffusé sur France 2 qui a démontré que de plus en plus, en France, de bêtes sont abattues conscientes (exigence absolue pour le musulman) et non plus endormies (exigence absolue pour le catholique et autres chrétiens), la candidate du Front National, Marie le Pen, a axé sa campagne xénophobe sur ce marché et en a fait assumer la responsabilité au gouvernement sortant. «C’est une manière de montrer aux Français qu’ils sont méprisés dans leur propre pays». Pour elle, «le fait que tout le monde soit obligé de se soumettre à une exigence alimentaire issue d’une religion, c’est quelque chose qui est profondément inadmissible et scandaleux».
Résultat: tout indique qu’elle a fait mouche puisqu’elle a obtenu plus de 18% des voix, hissant son parti au rang de troisième force politique de la France. C’est dire tous les enjeux que présente le marché halal.
Il faut dire, toutefois, qu’en dépit du retard que les Tunisiens accusent, il existe encore une marge de manœuvre. Pour preuve, le marché halal en France n’est qu’une infime partie du marché des communautés musulmanes dans le monde.
Selon Torek Farhadi (Afghanistan), coordinateur du programme Enact, 70% de ces communautés musulmanes, c’est-à-dire les clientèles du marché Halal, vivent au sud-est asiatique, en Afrique et dans le monde arabe, des zones émergentes à forte croissance.
Il estime que les Tunisiens, pour peu qu’ils soient agressifs, peuvent exploiter à bon escient l’hypermédiatisation de leur révolution et l’accès du parti d’obédience islamique Ennahdha au pouvoir, peuvent vendre à ces communautés tous les produits Halal et bio (dattes, cosmétique, confiserie…).
Mieux, ces produits ne sont pas prisés seulement par les musulmans. Dans le monde, 17% des consommateurs en sont férus.
Pour y parvenir, des experts en marché halal proposent deux pistes. La première consiste à développer une expertise nationale en certification «halal». Et c’est là que la proposition du ministre malaisien des Finances trouve sa pleine signification. Les Malaisiens, qui réalisent, chaque année, un chiffre d’affaires à l’export de produits halal de 11,2 milliards de dollars, ont fait état de leur disposition à faire bénéficier la Tunisie de leur expertise, particulièrement en matière de certification des produits halal.
La certification halal étant un processus qui garantit la conformité d’un produit ou d’un service vis-à-vis d’un cahier des charges préalablement adopté et répondant aux principes et règles de consommation prescrits en Islam. La certification halal d’un produit ou d’un service concerne ses caractéristiques intrinsèques, sa production, sa transformation, son conditionnement et ses procédures de transport et de commercialisation. L’ensemble de ces opérations doivent être licites du point de vue de la jurisprudence islamique.
La deuxième piste consiste en l’intensification de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour développer ce marché. Il s’agit, à cet effet, d’exploiter à bon escient et dans une première étape le savoir-faire acquis par une trentaine de conseillers rattachés au Centre de promotion des exportations (Cepex) et formés, à cette fin, dans le cadre du programme CTAP (Certified Trade Advisors Programme) initié par le programme Enact.
C’est pour dire, in fine, que le marché halal est toujours à notre portée pour peu qu’on s’y mette.