Pascal Colombani est le président du Conseil d’Administration de Valeo et Senior Advisor pour l’innovation, la haute technologie et l’énergie dans le cabinet de conseil en stratégie A.T. Kearney. En Tunisie pour participer aux journées “Partage du Savoir en Méditerranée“ (du 17 au 20 mai) dans sa septième édition, il a déclaré que «le coût de la production n’est pas le seul facteur déterminant dans le choix d’un site pour y investir; les ressources humaines, les compétences et les qualifications peuvent des fois le supplanter».
Entretien
WMC : Qu’est-ce qui détermine le choix d’un site pour y investir hormis le coût?
Pascal Colombani : Le coût est important mais c’est la taille des marchés, la qualité et les qualifications de la main-d’œuvre et surtout comment elle avance dans le temps. Les pays se développent et avec eux évolue la main-d’œuvre. Nous savons bien que la part du travail dans le prix de revient représentée par la main-d’œuvre doit accompagner la croissance d’un pays, le niveau de l’éducation, l’augmentation du coût de la vie, la montée des exigences des travailleurs ainsi que le coût de nos produits. En même temps, le marché peut se développer, et c’est là que les choses deviennent différentes et en même temps plus intéressantes pour un investisseur, car il va lui falloir plus de qualifications pour des produits plus sophistiqués et à haute valeur ajoutée.
Comment Valeo a traversé la révolution et la postrévolution en Tunisie? Avez-vous vécu des difficultés?
Je ne sais pas si c’est parce que nous avions eu la bonne approche ou parce que nous avons de la chance, mais nous employons 1.000 personnes dans le sud-ouest de Tunis, notre production est exportée pour l’essentiel parce que la Tunisie n’est pas un grand marché pour les constructeurs automobiles. Donc nous l’avons effectivement choisi pour les avantages qu’elle nous offre en matière de coûts, nous exportons nos produits en Europe.
Arrivés en Tunisie pour le coût, au bout de quelques années d’exercice n’avez-vous pas découvert d’autres facteurs qui plaideraient en faveur du site, d’autant plus que la Tunisie se positionne de plus en plus en tant que centre de production des composantes automobiles?
Classiquement, Valeo suit les constructeurs, nous allons là où il y a des industries automobiles sauf dans le cas où il n’y a pas de compétences locales, nous choisissons de nous implanter dans d’autres sites. Si les constructeurs s’implantent en Tunisie, nous suivrons.
Vous avez soulevé dans les discussions des problèmes d’ordre logistique en Tunisie. A quoi faisiez-vous allusion?
C’est ce qu’on me dit, je n’ai pas vérifié par moi-même. Les installations portuaires en Tunisie seraient bonnes mais pourraient être meilleures et les procédures douanières en particulier sont quelquefois lentes. Mais les questions procédurales ne sont pas impossibles à résoudre, nous pourrions les solutionner en bonne entente avec les autorités, ce qui n’est pas le cas pour la qualité des installations portuaires en direction de l’exportation.
La Tunisie est amenée à améliorer ses infrastructures aéroportuaires car elle doit profiter de sa position géographique stratégique, très avantageuse en Méditerranée et proche des marchés européens. Elle a un hinterland qui n’existe pas vraiment mais qui peut toucher tout le Maghreb, de la Libye jusqu’à l’Egypte. Ce sont des opportunités à saisir.
Pensez-vous que le positionnement privilégié de la Tunisie toute proche de la Libye puisse encourager les investisseurs à en user en tant que plateforme pour conquérir ce pays?
Je pense qu’il est trop tôt pour parler de marché libyen, aujourd’hui.
Mais quand on est à la tête d’une firme comme Valeo, on prend des risques, vous ne pensez pas?
Bien sûr que nous pouvons prendre des risques mais nous les prenons de façon consensuelle, car nous sommes plusieurs à décider et particulièrement le directeur général de Valeo auquel il revient de faire les choix finaux. Mais ce qui est déterminant encore une fois, c’est le marché. L’Algérie + le Maroc+ la Tunisie pourraient constituer un marché important pour nous car ce sont des dizaines de millions d’habitants. La Libye est riche en ressources minérales mais il n’est en aucun cas comparable à la Chine en termes d’acquisition de véhicules.
Vous êtes implanté en Egypte, quelle différence avec ce que vous faites en Tunisie?
En Egypte, nous ne fabriquons pas des produits manufacturiers comme en Tunisie, nous concevons des logiciels. Nous avons implanté un centre de développement de logiciels au Caire extrêmement performant. Nous avons choisi l’Egypte parce que nous avons trouvé là-bas toutes les compétences pour mettre en place des systèmes que nous aurions pu faire en France ou aux Etats-Unis.
Vous n’avez pas cherché à savoir si pareils profils existaient ou pas en Tunisie… car les informaticiens tunisiens sont réputés dans le Bassin méditerranéen?
Cela mériterait d’être examiné. Nous ne pouvons pas créer des centres de logiciels partout mais de point de vue compétence, la Tunisie mériterait qu’on l’étudie plus sérieusement. Je pense personnellement qu’il faudrait qu’au Maghreb vous vous posiez la question si vous allez vous suffire de copier ce qui se fait en Europe ou développer une offre compétitive complètement différente dans des domaines où vous n’aurez pas à assumer le choix d’investissements d’héritage (legacy) en matière de composants, logiciels ou matériels informatiques issus de version dépassée et qui sont ajustés, en même temps que de toutes nouvelles technologies.