Les femmes tunisiennes auraient-elles fait marche arrière après la révolution? Devraient-elles être réduites à occuper les second et troisième rôles dans les arcanes de l’administration publique et des institutions étatiques après le 14 janvier?
Il paraît que c’est le cas au ministère de l’Enseignement supérieur, d’après une étude réalisée par Mongia Saïd Zina, directrice générale à l’Institut de recherche et d’analyse physico-chimique (INRAP) de Tunisie et présentée lors de la conférence “Partage du savoir en Méditerranée“ organisée par l’Association suisse «Partager le Savoir» du 17 au 20 mai 2012.
En guise de partage, c’est la désillusion et la déception de voir les avancées de la femme tunisienne qui appelait à la parité avant la «Révolution» reculer que nous partageons aujourd’hui avec autrui. Ainsi, nous avons une seule femme dans le cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur qui compte 8 attachés. Aucune femme présidente d’Université sur les 13 qui existent, 0 femme DG sur les 13 directeurs généraux, 0 directrice d’études technologiques sur les trois, 2 directrices de centres de recherches sur les 10 en fonction, et 0 sur les 3 directeurs généraux des Offices des œuvres universitaires.
Enfin, sur les 220 doyens et directeurs des universités, nous trouvons 23 femmes, soit 10,4% du nombre global. C’est grave, s’agissant de l’enseignement là où les femmes devraient être les mieux pourvues.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à se rendre dans les universités, à acquérir des diplômes et surtout à s’inscrire dans des filières scientifiques, ce qui n’était pas le cas durant les années 70 et 80; par contre, elles ne sont pas bien présentes au niveau des centres de décision. «Laa Khaira fi ommatin tassoussouha imra’atin» (rien de bien ne sort d’une nation conduite par une femme)», c’est ce qu’à dit un confrère à une universitaire qui voulait se présenter aux élections pour le rectorat. C’est dire qu’une misogynie latente a fini par se manifester, encouragée par la prise du pouvoir par un parti religieux qui a pourtant passé toute sa campagne à assurer qu’il n’en était pas un. Il y a quelques mois, Faiza Skandarani, présidente de l’Association «Parité, égalité» déclarait: «Il y a un problème de mentalité. Beaucoup d’hommes politiques ne conçoivent pas la direction au féminin, et la femme n’est pas considérée tout à fait à sa place dans l’espace public». Il a fallu le vivre pour le réaliser. Les femmes tunisiennes sont nombreuses à avoir des qualifications et des compétences, mais leurs compétences sont-elles prises en compte lorsqu’on désigne les responsables aux postes de commandement?
Dans la Constituante, la place et le poids des femmes diffère selon le parti qu’elles représentent. Alors que les députées Ennahdha interviennent peu et lorsqu’elles le font, c’est systématiquement dans le sens de conforter ou de soutenir des positions ou des opinions exprimées par leurs homologues “mâles“ -donnant l’impression d’un suivisme aveugle et de l’absence de positions indépendantes-, d’autres essayent tant bien que mal de crier de plus en plus fort afin de faire parvenir leurs voix. Les plus influentes seraient Maya Jribi, Lobna Jéribi et Maherzia Laabidi. Et encore, leur nombre réduit dans l’opposition les fragilise encore plus, elles sont 58 sur les 217 sièges, soit 26,73 %, avec le plus grand nombre de femmes députées (figurantes?) à Ennahdha, c’est dire que pour défendre les droits, la parité et une plus grande place de la femme dans les affaires publiques, elles sont peu nanties.
Rappelons au passage -même si la situation est un peu exceptionnelle-, que le Rwanda, avec une population équivalente à celle de la Tunisie, peut se targuer d’avoir dans son Parlement la plus forte représentation féminine au monde.
Le nombre des femmes diplômées en chômage plus élevé que celui des hommes
Parmi les chômeurs diplômés qui ont bénéficié du Programme Amal, on retrouve plus de femmes que d’hommes et particulièrement dans les régions de l’intérieur, ce qui prouve que le nombre de chômeurs diplômés femmes est plus élevé que celui des hommes.
D’après une étude faite par Lamia Ben Ayed Kaanich de l’Association Nou-R, 97.962 femmes en ont bénéficié sur un total de 145.437 dans les régions, soit 67% du nombre total de bénéficiaires.
Pourtant, les compétences scientifiques féminines existent, à différents niveaux et dans différents secteurs dans les régions, et elles tiennent surtout à travailler et préfèrent en général rester dans leurs régions. C’est pour cela, estime Mme Ben Ayed, qu’il faut capitaliser sur ces femmes qui cherchent la sédentarité et focaliser sur leurs compétences.
Plusieurs moyens s’offrent pour encourager ces processus dont l’encouragement d’investissements dans les régions du nord-ouest. Telles les plateformes virtuelles de développement informatique, l’orientation et l’encadrement pour le travail à distance à travers des bases de données pour l’Open data, tout comme la création de centres de télé-activité gérés par les femmes informaticiennes pour la traduction à distance, la vente à distance, l’infographie à distance ou l’outsourcing. Nous avons déjà à Gafsa l’exemple d’une jeune femme qui a créé un call-center spécialisé dans les énergies renouvelables et qui emploie aujourd’hui plus de 31 personnes.
D’un autre côté, pour préserver ou conserver les avancées des femmes dans la science et la technologie, il faudrait encourager les femmes à participer aux formations scientifiques et technologiques et au développement de la recherche afin de renforcer leurs capacités… Et loin de focaliser sur la «décadence morale des femmes tunisiennes» dénoncée par des prêcheurs qui veulent décrédibiliser sur les plans de la morale que de la compétence et de la capacité à conduire, guider, manager et éduquer, les autorités devraient leur donner la chance de prouver leurs capacités en leur accordant les positions qu’elles méritent dans les échelles de la fonction publique et des institutions étatiques.
Lors de la dernière rencontre des Chambres arabes de l’industrie et du commerce, aucune femme n’était dans la tribune hormis Wided Bouchamaoui, présidente actuelle de l’UTICA. «C’est cet exemple qu’on veut nous imposer dans notre pays?», a déploré Wafa Makhlouf Sayadi, présidente du CJD, ce sont ces valeurs que les pays arabes veulent nous exporter? A-t-elle demandé? Et elle a bien raison, l’histoire de la Tunisie est jalonnée d’exploits féminins. La femme tunisienne ne sera pas et ne pourra pas être un sujet, c’est une femme qui a fondé Carthage, c’est une femme qui s’est jetée dans les flammes pour défendre sa patrie, c’est une femme qui a imposé une nouvelle vision du mariage et de la séparation dans l’islam, c’est grâce à une femme que chaque famille de Kerkennah possède “une propriété maritime“; d’autres ont fondé des associations caritatives et ont milité par milliers dans le mouvement national.
Pas de harem donc en Tunisie, la femme tunisienne sera comme l’a dit Hirin Ebadi, iranienne et prix Nobel de la Paix, «une bonne musulmane, mais ne voudra pas que la loi fasse des choix à sa place sur la façon de pratiquer la religion». La révolution iranienne a fait, à cause du mélange de la religion et du politique, reculer le droit des femmes de cinq ans, espérons que nos politiques seront plus avisés car faire reculer les droits des femmes, c’est renvoyer la société aux méandres de l’ignorance et les mettre à la merci des rétrogrades.
Peut-être que les puissances qui ont soutenu la victoire des gouvernements religieux à la tête des Etats arabes voulaient justement nous renvoyer au Moyen Age? Qui sait? La question mériterait d’être posée.