L’évocation de la région du Jérid, dans le sud-ouest tunisien renvoie très vite dans l’imaginaire des Tunisiens à un cliché de zone aride, et où les hommes sont souvent érudits, maîtrisant l’exégèse religieuse et aimant la poésie, ayant un humour corrosif et peu portés sur le travail acharné. Comme dans tout cliché, il y a du vrai mais il y a surtout des lieux communs, une forme de paresse mentale qui empêche de voir d’une manière objective et approfondie la situation.
Le Jérid c’est bien plus que ça, heureusement pour ses habitants, et pour la Tunisie. Quelles sont les véritables potentialités de cette région de seulement 120.000 habitants environ? Quelles sont les contraintes économiques et institutionnelles actuelles? Comment faire émerger le Jérid et l’inscrire sur la carte du développement durable et dans la modernité? Un inventaire réaliste et quelques pistes…
D’abord, l’agriculture … Un potentiel immense !
Le Jérid est gorgé d’eau, le Jérid n’est pas cette zone aride qu’on croit. Les eaux souterraines disponibles sont en très grandes quantités. Le palmier dattier est l’un des arbres fruitiers qui consomment le plus d’eau sur terre. L’oasis est le fruit de l’eau, une eau qui coule inlassablement nuit et jour pour offrir la vie, les fameux trois étages, le dattier, l’arbre fruitier et le maraichage.
Le Jérid, c’est près de 2 millions de palmiers dattiers, des centaines d’entrepôts frigorifiques et unités de conditionnement et valorisation des dattes; c’est aussi 30 mille tonnes de dattes exportées par an en moyenne pour un montant global estimé à 120 millions de dinars. Malgré cela, l’optimisation des méthodes d’irrigation, la modernisation de la production, les techniques de protection des dattiers des différentes maladies, de préservation des espèces végétales en plus du règlement rapide des litiges fonciers et la diversification du produit agricole avec l’usage des serres pour le maraichage des primeurs et l’usage de la géothermie, laissent penser que le potentiel en matière d’agriculture est utilisé à moins de 50% de son optimum.
L’enjeu est de développer une agriculture et une industrie de transformation à valeur ajoutée et dont les revenus reviennent substantiellement aux habitants de la région pour améliorer leur qualité de vie et leur pouvoir d’achat.
Un sous-sol très largement sous-exploité
Le sous-sol du Jérid est riche en minéraux et produits valorisables à souhait. En effet, avec son argile si adaptée pour la fabrication dans des conditions respectueuses de l’environnement des briques pleines donnant un cachet architectural si particulier à toute la région, avec son sable dont la granularité est parfaite pour en faire un matériau indispensable pour filtrer et drainer l’eau dans les équipements miniers et les grands bassins aquatiques, avec son phosphate en quantités gigantesques et dont la production nécessite toutes les précautions pour préserver un écosystème qui risque d’être fragilisé, avec son chott regorgeant de potassium et de minéraux très appréciés dans les grandes industries au travers le monde, ce Jérid géologique n’est exploité à ce jour que très faiblement. Certaines industries minières et extractives sont capitalistiques par nature. Les investissements nationaux ou internationaux doivent intégrer des retombées pour la région grâce à des mécanismes à imaginer (pourcentage sur les chiffres d’affaires…). Pour les minéraux nécessitant un faible investissement, il y a lieu à encourager les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur de la région à créer leurs entreprises et de faciliter les procédures d’exploitation des carrières dans le respect strict de la loi.
Un tourisme sous-exploité, à diversifier…
Le schéma emprunté au tourisme balnéaire dans les années 90 a montré très vite ses limites dans la région du Jérid. Le tourisme oasien et saharien qui puiserait dans les caractéristiques intrinsèques de la région, entre spiritualité, sérénité, profondeur, dépouillement,… des valeurs empruntées à l’esprit de la région et très en vogue chez une certaine clientèle à travers le monde et en Tunisie. Les tourismes culturel, environnemental ou sportif, voire de shopping international n’ont pas été explorés dans la région d’une manière stratégique. Le transport aérien, véritable plaie du secteur dans la région, n’a pas été développé. L’Open Sky fera certainement beaucoup de bien à l’aéroport international Tozeur-Nefta. Un nouveau tourisme dans la région du Jérid est à réinventer, loin des sentiers battus, il serait intéressant de multiplier les niches, à l’aide des moyens technologiques et Internet, en explorant les valeurs et les propriétés de la région.
Il s’agit là d’un potentiel à étudier, à envisager sérieusement afin de s’affranchir de la mainmise du tourisme de la facilité, celui des TO et leur tourisme balnéaire finissant. L’industrie culturelle, cinématographique, les arts vivants, les festivals de musiques spirituelles, ethniques… sont les concepts de demain pour la région du Jérid. Une animation permanente, une vie culturelle et artistique bouillonnante, c’est l’avenir de la région.
Il est en outre à promouvoir les résidences médicalisées pour séniors européens dont le pouvoir d’achat, les conditions de vie après la retraite leur permettent de passer au moins un semestre sous le doux soleil hivernal du Jérid dans d’excellentes conditions d’accueil sur le plan médical, touristique, voire culturel et sportif.
Les énergies renouvelables formeront l’avenir de la région
Dans cette région du Jérid, on compte 3.000 heures d’ensoleillement par an, près 340 jours ensoleillés. Or les technologies pour capter directement une partie de cette énergie venant du soleil sont disponibles et sont constamment améliorées. On peut distinguer notamment le solaire photovoltaïque et le solaire thermique, permettant de convertir le rayonnement solaire en énergie électrique. Le Jérid se situe dans une zone désertique où la nébulosité est faible et à une latitude favorable à d’excellent rendement en matière d’énergie solaire. L’implantation de fermes solaires dans la région permettra de produire des énergies renouvelables, propres, durables et exportables à d’autres régions voire à l’étranger, ce qui permettra en plus de générer des crédits carbones selon les accords internationaux.
L’avenir est aux énergies renouvelables avec la hausse des prix des hydrocarbures et leur rareté. Il s’agit d’une chance pour la région, il faut la saisir et se donner les moyens intellectuels, techniques et financiers pour transformer cette vision en un secteur stratégique générateur d’emplois de qualité pour de centaines voire de milliers de techniciens et d’ingénieurs.
Pour conclure…
Le développement et la promotion de l’agriculture, l’industrie agroalimentaire, l’industrie extractive et minière, l’industrie des matériaux de construction, les énergies renouvelables, le tourisme oasien et saharien, l’économie de la culture et bien d’autres branches de l’activité économiques sont aujourd’hui en berne dans la région du Jérid. Une région à faible pression démographique et dont les problèmes somme toute sont à dimension humaine, mais une région qui a un potentiel extraordinaire dans les activités citées. Un potentiel qui lui permet de rayonner sur le pays et constituer une zone de croissance à renommée nationale, voire internationale. Il est urgent que la nouvelle “géo-gouvernance“ s’installe en Tunisie dans toutes les régions du pays pour que leurs habitants soient les premiers bénéficiaires des effort de développement et de croissance et que l’état d’esprit local change radicalement vers une économie de la prospérité et non de l’assistance et l’attente d’un Etat providentiel, qui n’existe plus.