L’hôtel Smithus a été incendié par ce qu’il convient d’appeler des salafistes qui ont saccagé dans le week-end passé un premier bien touristique tunisien. Petit 2 étoiles, l’établissement servait d’hôtel de passage pour les circuits touristiques aux clients particulièrement férus d’archéologie. Il est aussi un passage obligé pour les individuels qui partent en découverte privée avec un guide routard à la main.
Cet hôtel est aussi et surtout un bar. Une version améliorée d’une «tbarna» où les «notables» de la ville se retrouvent pour quelques bières. Un lieu comme on en retrouve dans presque toutes les villes du pays car les bars sont rares, les licences d’alcool étant très difficiles à obtenir. Il fut un temps où Ben Ali lui-même se réservait le droit de les octroyer à qui lui faisait allégeance.
Cet incident n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une campagne de violence orchestrée qui a balayé sur son passage les artistes, les commerces de boissons alcooliques, les sièges de la police… Le tout mené tambour battant par ce qu’il convient d’appeler des salafistes. Un mélange qui se compose de délinquants, d’intégristes, de repris de justice, des caciques du système déchu, des barbouzes du RCD… Une secte qui présente désormais sa propre vision du tourisme et sème par la terreur sa conception d’un certain islam en Tunisie. Une minorité bruyante qui cherche à imposer sa façon de vivre et contre laquelle se dressent les Tunisiens. La société civile, les partis politiques et les populations se mobilisent et décrient ces actes de dévastation. Ils refusent l’anarchie qui s’empare de leur quotidien.
S’attaquer à un hôtel n’est pas dénué de portée. Les salafistes qui, jusqu’à il y a quelques semaines, se targuaient de n’avoir commis aucun acte nuisant à l’ensemble de l’industrie touristique du pays, passent désormais un message différent. Un avertissement autrement plus musclé et terrifiant.
Jusqu’ici, les impératifs économiques obligeaient la famille islamiste à mettre de l’eau dans son vin. Si Ennahdha polissait son discours en glissant sur les sujets qui fâchent comme l’alcool, il s’avère que cela n’est plus négociable chez les plus radicaux. Désormais, les carottes sont cuites et certains produits liés, entre autres, au tourisme sont en train de faire éclater la «grande famille politico-religieuse» tunisienne. L’épreuve de la bière est en train d’opposer les radicaux islamistes aux populations. Elle est aussi en train d’opposer les partis islamistes entre eux.
Dans ce face à face, une partie est outillée par la légitimité des urnes, gère les structures de l’Etat et réfléchit en termes d’enjeux nationaux et internationaux, économiques et sociaux, et électoraux. L’autre ne jure plus que par la violence et se tiraille à tenter de refuser de vivre dans la modernité avec des dogmes qui datent de quelques siècles sans efforts d’évolution.
Face à cette guerre qui ne dit pas son nom, les “autres“ Tunisiens ont de plus en plus peur. Ils voient leur pays sombrer dans l’anarchie dans un contexte économique difficile, une dégradation de la note de la Tunisie par S&P, un gouvernement qui manque d’expériences et de solutions, une opposition qui peine à se construire, une Constitution qui tarde à s’écrire…
Pourtant, la Tunisie n’a jamais cessé de danser, chanter, boire… Sur plus de 800 hôtels et des dizaines de milliers de points de vente de boissons alcoolisées, seuls quelques points de ventes éparses et un hôtel ont été incendiés et saccagés. La consommation de la bière a même fait un bond à la hausse, les restaurants et autres cabarets font le plein avec l’attirail habituel de danseurs, de clients et de prostituées. Sur les plages, les hommes et les femmes, touristes ou pas, prennent du bon temps. Tout le monde profite des premiers bains en attendant -avec un été dont on prépare le programme des soirées endiablées avec des Dj venus des quatre coins du monde- on met les dernières couches de peinture aux «beach bar» branchés où les estivants dansent jusqu’au matin, on peaufine le programme des festivals avec leurs lots de vedettes internationales…
Mais il y a un hic: que se passe-t-il au niveau sécuritaire? Les Tunisiens regardent du côté de leurs dirigeants avec un index pointé vers le ministère de l’Intérieure où des forces de l’ordre. Dans un récent communiqué, ils appellent le gouvernement à prendre les décisions qu’il faut afin de leur permettre de faire leur travail. Dans l’attente d’instructions qui ne viennent pas, ils se font attirer toutes les foudres d’une population avec qui ils n’arrivent toujours pas à stabiliser leurs rapports. Quand cette déferlante de violences qui terrorise le pays, hypothèque la saison touristique et porte atteinte à l’image du pays va-t-elle être stoppée?
Du côté du gouvernement, on assure veiller au grain. Les actes de violence du week-end dernier sont les répliques à une série d’arrestations dans les milieux salafistes, apprend-t on. Le ministère de l’Intérieur se dit en train de faire au mieux son travail dans le respect de la loi et de la démocratie. Au vu des résultats, il ne remplit pas sa mission. L’ordre public et la sécurité de ces citoyens ainsi que de leurs biens sont sous sa responsabilité.
Une chose est sûre: ce genre de situations porte un coup fatal à la saison touristique et à un secteur qui constitue l’un des piliers de l’économie tunisienne déjà branlante. Qu’est-ce que ces actes livrent comme message dans un pays traditionnellement touristique? Quelle est la prochaine étape de l’offensive salafiste à l’orée de la saison touristique? Qui payera la facture des titres de la presse européenne, vivier de plus de 3 millions de touristes pour le pays, quand ils affichent des titres mêlant et associant la Tunisie à la violence, au terrorisme, à l’intégrisme, à l’homophobie.