Standard & Poor’s n’y est pas allée de main morte avec la Tunisie. Notre déclassement vaut relégation. Elle nous a disqualifiés de la catégorie «Investment grade» pour nous jeter dans le tout venant. La cour des grands, c’est terminé, pour un moment. On peut tenter de décrédibiliser cette «sanction». Mais ce sera peine perdue, on n’empêchera pas la caravane de passer. Il faut faire avec.
D’un autre côté, on peut chercher à exploiter cet épisode contrariant. A quelque chose malheur est bon!, dit la morale populaire. L’affaire, dit-on, a fait jaser sur certaines places de la finance internationale. C’était perçu comme une manière de torpiller le Printemps arabe. La pénalisation financière ne nous a pas causé de discrédit. Elle nous a même procuré une notoriété.
Dans la foulée de la polémique sur la Grèce provoquée par les propos du DG du FMI, l’opinion internationale semble compatir avec les peuples, qui ont été abusés par leurs dirigeants. A bien prendre la vague, il semble assez probant de susciter une ola de sympathie en vue de remettre sur le tapis la question de la dette odieuse, et advienne que pourra. Comment rendre l’affaire recevable, dès lors, au moins au plan de la démarche intellectuelle?
Le risque de défaut, parlons-en!
Nos déficits jumeaux sont bien là, on ne va pas contester la situation. Leur concomitance nous expose, en permanence, au risque de défaut. Cela dit, nous n’y étions pas. L’agence a dégainé beaucoup trop vite. L’Amérique et le Qatar nous ont aidés à faire la soudure de trésorerie pour payer nos deux crédits sans transiter par le marché. Nous avons été pris par surprise. S&P aurait tempéré, un tant soit peu, qu’elle n’aurait pas pu nous rétrograder. A présent le coup est parti, il faut faire face à la situation. Et c’est peut-être ce qui va nous servir pour exploiter l’événement.
Notre difficulté de remboursement nous vient de loin. La récession post révolution n’est pas ce qui pouvait nous arriver de meilleur, on en convient. Mais la tare des déficits jumeaux est un legs de Ben Ali et de ses détournements pharaoniques. Ses rétrocessions se chiffrent à près de 10 milliards de dinars tunisiens, c’est bien ce qui a saigné l’économie. Cet argent aurait été injecté dans le système, le pays n’en serait pas là, à l’heure actuelle.
Un bilan sommaire de ses réalisations improprement dénommées «grands chantiers» prouvent bien que nous sommes loin du compte et que la dette est allée droit dans ses poches que dans l’économie. L’autoroute de Bizerte, qui a coûté 150 millions de dinars, n’a été financée qu’à hauteur de 70 millions de dinars par des apports tunisiens. Le reste avait été financé par des fonds d’ailleurs dont une participation importante du FADES. L’aéroport d’Enfidha a été construit en BOT, une concession sans engagement de fonds de la part de la Tunisie. Le pont de La Goulette a bénéficié d’un panachage pour son schéma de financement, ce qui a allégé la facture pour le pays. Cet audit a été escamoté par la promptitude avec laquelle Standard & Poor’s nous a foudroyés.
Reprendre la main
Archimède disait «Donnez-moi un point de levier et je soulèverai le monde». Nous y voilà. Il ne nous paraît pas particulièrement indécent de remettre tous les attendus frauduleux pour prouver que la dette a été goulument engloutie par l’ancien dictateur et que si la Tunisie n’est pas au meilleur de sa forme, ce n’est pas faute de performance économique, mais bien des suites d’un pillage systématique et organisé de manière criminelle. Aujourd’hui, le pays est pris dans un étau. En son état actuel, le pays ne peut dégager d’excédent financier. Et cela le fragilise.
Pour se remettre à flots, la Tunisie manquera de sang neuf, parce qu’on nous a coupé les crédits. Pays laborieux, la Tunisie ne faisait pas la chasse à l’aide internationale. Christine Lagarde était parmi nous au mois de février et nous a proposé ouvertement les concours du FMI. Le pays a refusé parce que la Tunisie refuse de faire la manche et pensait pouvoir retrousser les manches et se remettre au travail et vivre de la sueur de son front. L’histoire s’est écrite autrement. Huit cent mille chômeurs sont dans le désarroi le plus total, à l’heure actuelle. Un félon impitoyable les a escroqués de leur avenir.
L’annulation de la dette, de ce fait, n’apparaîtrait pas comme une solution pour blouser nos créanciers. Bien des pays nous demandent de recycle leur dette en investissant dans l’écologie. L’annulation de la dette odieuse apparaîtrait, sous cet angle, comme un investissement dans la démocratie. Les jeunes sans emploi peuvent très bien faire cette requête à l’adresse de l’opinion internationale. Ils ont marché de leur région sur la capitale à la date du 9 avril pour populariser leur revendication pour l’emploi. Il serait tout à fait envisageable qu’ils marchent sur Oslo ou Londres pour populariser la bonne cause. Même s’il faut traverser la Méditerranée et la Manche!