C’était en mars dernier à Rabat au Maroc et en marge du Forum mondial de la sécurité alimentaire que Miguel Angel Moratinos, ex-chef de la diplomatie espagnole et conseiller diplomatique spécial auprès du gouvernement qatari, a lancé l’idée initiée par le Qatar d’une «Alliance mondiale des pays désertiques pour la sécurité alimentaire» (AMPDSA). Pour une fois, ce ne sont pas les impératifs sécuritaires et politiques «classiques» qui motivent les Qataries mais plutôt une préoccupation plus «terre à terre»: la pérennisation de l’approvisionnement d’un petit Emirat dépourvu de terres agricoles et exportant la majorité de ses produits alimentaires. L’Emirat, riche en ressources naturelles énergétiques, est pratiquement dépendant du reste du monde en eau et nourriture.
L’initiative qatarie a trouvé écho à l’international, et aujourd’hui près de 17 pays sont prêts à y adhérer, parmi eux la Tunisie.
Entretien avec Miguel Angel Moratinos
WMC : La géographie aride du Qatar et des pays du Golfe impose certains défis dont celui de l’autosuffisance alimentaire, c’est ce qui explique que l’Emirat ait mis le pied dans le secteur agricole. Comment est-ce que le Maghreb pourrait en profiter?
Miguel Angel Moratinos : La réponse est évidente, les pays qui ont une grande partie de leur territoire composée de zones désertiques ont été d’accord sur le principe de se préserver d’une détresse alimentaire plus que possible dans les décennies à venir. Ils veulent y œuvrer dans un cadre réfléchi et organisé. En 1945, les USA ont créé l’OTAN pour la sécurité militaire, le nouvel «OTAN» du 21ème siècle doit être une alliance autour du thème «sécurité alimentaire». Ils sont 17 pays qui partagent les mêmes préoccupations à avoir approuvé cette initiative, les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), les pays d’Afrique du Nord, l’Afrique du Sud, la Namibie, le Kazakhstan et le Mexique. Ces pays partagent les mêmes caractéristiques et les mêmes capacités.
Nous sommes chargés, l’ambassadeur de l’initiative diplomatique moi et à savoir consulter les différents pays et les convaincre de participer à cette initiative qui a pour appellation l’«Alliance mondiale des pays désertiques pour la sécurité alimentaire». Le but est d’échanger les expériences au niveau des programmes de sécurité alimentaire de chaque pays, faire une grande mutualisation et renforcement de la capacité de recherche, d’innovation des nouvelles technologies agricoles et eau pour optimiser les ressources et, enfin, mettre en place de concert un mécanisme de prévention des crises.
Pour que des pays comme la Tunisie ou l’Algérie ne soient pas mis dans une situation de détresse alimentaire et pour éviter tout risque de révoltes de la faim. Cette alliance évitera aux pays adhérents le surenchérissement sur les produits alimentaires et permettra aux caisses de compensation dans chaque pays à économiser sur certaines denrées.
Elle plaidera également pour plus de réactivité en situation critique. Dès qu’un pays souffre de la rareté d’un produit alimentaire de base pour des raisons climatiques ou économiques, les autres s’engagent à le secourir et à le fournir et vice et versa.
Quelles sont les personnalités que vous allez voir en Tunisie pour en discuter, et avez-vous eu vent d’échos favorables quant à cette alliance?
Nous avons déjà approché le président de la République tunisienne à Doha, il a très bien réagi. Nous sommes aujourd’hui dans votre pays, pour le voir lui et d’autres responsables comme le ministre de l’Agriculture et celui des Affaires étrangères, car nous estimons ce projet important, d’autant plus que la sécurité alimentaire est fondamentale pour le pays.
Elle n’est pas uniquement fondamentale pour la Tunisie, elle l’est autant pour les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). C’est ce qui explique d’ailleurs qu’ils soient en train d’acheter des terres fertiles en Afrique et en Asie. Quels en sont les intérêts et les enjeux pour les uns et les autres?
L’enjeu est d’abord la garantie d’une sécurité alimentaire à l’échelle régionale. Si vous prenez l’exemple de la Tunisie, vous importez beaucoup de produits céréaliers (notamment du blé et du maïs) et vous exportez les agrumes, les tomates et autres denrées. Les pays du Golfe ont une dépendance quasi-totale en matière de produits alimentaires. Le Qatar importe 90% de ses produits de consommation courante et a seulement 2 jours d’autonomie en eau. Si les stations de désalinisation d’eau de mer tombent en panne, il ne pourra pas approvisionner son marché. Par contre, il a des ressources naturelles en énergies fossiles qui lui permettent d’avoir de grands moyens financiers. Ce qu’il faut, c’est trouver des synergies et partager les mêmes intérêts.
Comment se traduiraient les objectifs de cette alliance sur le terrain, que ce soit pour le développement du secteur agricole ou pour la recherche et l’optimisation des ressources?
Tous les ans, il y aura des révisions des programmes nationaux de sécurité alimentaire pour rectifier le tir. Nous voudrions que, en 2014, nous ayons des garanties pour des prix stables pour les produits alimentaires, il y aurait des révisions faites par des experts en concertation avec les pays membres pour qu’il n’y ait pas de surenchérissement.
Le deuxième point est la recherche qui avance rapidement. Des projets seront approuvés et financés par tous les pays de l’Alliance pour améliorer le traitement de l’eau qui sera fondamental dans les programmes de l’Alliance. Chaque pays devrait établir ses priorités et surtout s’investir sérieusement dans l’optimisation des ressources.
Y a-t-il un budget conséquent pour financer des opérations aussi coûteuses?
La nouveauté de l’Alliance, c’est que nous voulons établir des mécanismes de financement innovants. Au-delà des contributions de pays eux-mêmes, nous voulons inciter les citoyens des pays adhérents à se porter volontaires pour financer une partie des programmes envisagés dans le cadre de l’Alliance à part les fonds volontaires. Comme le fait par exemple d’instaurer une taxe de 5 millimes sur chaque recharge téléphonique ou facture. Ce traité vise à préserver les capacités de ces pays à être plus autonomes sur le plan alimentaire et à préserver les ressources pour les futures générations. Tout le monde est concerné et il faut impliquer tout le monde. Nous associerons également le secteur privé qui bénéficiera de cette initiative.
Avez-vous des garanties concernant la pérennisation de pareil projet? N’y a-t-il pas de risques pour que le prochain gouvernement tunisien abroge l’accord que celui-ci aurait, éventuellement, signé?
Il s’agit là de conventions internationales qui engagent tous les gouvernements, qu’ils soient en place ou qui s’installent dans le pouvoir prochainement. Ce qui est bien dans un projet comme celui de la sécurité alimentaire, c’est que c’est un projet qui soude et qui fédère. Tout le monde tient à assurer la sécurité alimentaire dans son pays.
D’ailleurs, la société civile et les opérateurs privés prendront part au traité. Nous aurons également pour partenaires des organisations internationales.
Quand est-ce qu’aura lieu le démarrage officiel de cette initiative et comment sera composé le Conseil d’administration?
Le siège de l’Alliance sera à Doha au Qatar, le conseil d’administration sera bien sûr composé des pays signataires, des représentants des organismes des Nations unies comme la FAO, le Programme alimentaire mondial (PAM), mais également des représentants de la société civile sur proposition des membres de l’Alliance.