La Bourse de Madrid (Photo : Cristina Quicler) |
[03/06/2012 06:12:22] PARIS (AFP) Confrontés à l’aggravation de la crise en zone euro, de plus en plus d’investisseurs, en quête de sécurité, choisissent d’acheter de la dette allemande ou suisse, qui ne rapporte rien, quitte à perdre de l’argent, et ce phénomène semble amené à se poursuivre.
La semaine dernière, l’Allemagne a emprunté plus de 4,5 milliards d’euros à deux ans, sans offrir d’intérêt, une première pour une émission de ce type. Et depuis jeudi, Berlin s’offre même le luxe d’afficher des rendements négatifs (-0,02%) pour ses emprunts à deux ans (“Schatz”) sur le marché obligataire secondaire, là où s’échangent les titres de dette déjà émis par les Etats.
Dans la mesure où les rendements évoluent à l’inverse des cours, cette faiblesse des taux signifie que jamais le prix des obligations n’a été aussi élevé. Autrement dit, la demande bat des records.
En ces temps de turbulences financières, l’Allemagne fait figure de havre de paix pour les investisseurs.
“Observer des taux négatifs sur le marché secondaire est un phénomène rare”, souligne René Defossez, stratégiste obligataire chez Natixis.
Actuellement en Europe, seuls l’Allemagne, la Suisse et le Danemark bénéficient d’un tel privilège.
“Les investisseurs ne cherchent plus la rentabilité, mais la sécurité. Ils sont prêts à payer une sorte d’assurance pour éviter d’essuyer de trop grosses pertes en cas de crise systémique”, c’est-à-dire d’éclatement de la zone euro, explique Alexandre Herez, responsable de la gestion chez Convictions AM.
La crainte d’une sortie de la Grèce de la monnaie unique et d’une exacerbation de la crise bancaire espagnole, qui provoqueraient une onde de choc sur l’ensemble du système financier de l’union monétaire, affole les marchés depuis plusieurs semaines.
“Une partie de l’épargne allemande, auparavant investie en Espagne ou en Italie, est rapatriée outre-Rhin, ce qui explique le net recul des rendements”, relève M. Defossez.
-Vues à court terme –
D’autant que sur le plan économique, l’Allemagne s’en sort beaucoup mieux que ses partenaires. Elle a enregistré une croissance de 0,5% au premier trimestre, dépassant toutes les attentes. Au même moment, la France stagnait et l’Italie s’enfonçait dans la récession (-0,8%).
Pour Frédérik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole CIB, “l’abondance des liquidités”, liée aux deux opérations de refinancement à long terme des établissements financiers menées par la Banque centrale européenne (BCE), peut aussi expliquer l’apparition de taux négatifs.
D’un point de vue réglementaire, les investisseurs professionnels (fonds de pension, investisseurs institutionnels…) sont en effet obligés de détenir dans leur portefeuille des actifs notés “triple A”, comme les obligations allemandes. Or ce type de placement n’est plus si commun sur les marchés.
Certains opérateurs ont aussi des vues à plus court terme: ils espèrent que le prix de l’obligation monte encore plus (et donc que le taux baisse) pour pouvoir revendre le titre avec une plus-value, ce qui se passera si la demande reste très soutenue.
De l’avis des analystes, certains rendements sont amenés à rester négatifs à moyen terme.
“La BCE n’est pas prête de relever son taux directeur et devrait même l’abaisser prochainement”, ce qui va avoir un impact immédiat sur les taux allemands à échéance court terme notamment, commente M. Herez.
La France, qui avait brièvement bénéficié de taux négatifs fin décembre sur des échéances très courtes (3 mois), se rapproche de nouveau de cette situation.
“Paris n’apporte tout de même pas les mêmes garanties que Berlin. N’oublions pas que nous tablons sur un déficit de 0,9% en Allemagne cette année contre 4,5% en France”, souligne M. Defossez.