En dépit de l’accroissement de leur nombre à la faveur du Printemps arabe, les médias dans la zone du Maghreb risquent, au regard de l’évolution de politiques radicalement peu favorables aux libertés, d’être de nouveau muselés par l’émergence de nouvelles dictatures d’obédience islamique (Tunisie & Libye) ou par la reprise en main des choses par celles qui se sont maintenues au pouvoir (Algérie & Maroc).
En Tunisie, pays qui a connu la première révolution arabe, le parti majoritaire Ennahdha, fort du silence, voire de la complicité de ces deux partenaires, les partis Ettakatol et le Congrès pour la République dans le cadre d’une Troïka, s’est employé, depuis son accès au pouvoir, à harceler et à intimider, quotidiennement, les médias publics et privés.
Selon Reporters Sans frontières (RSF), depuis l’avènement de la révolution du 14 janvier 2011, pas moins de 25 journalistes tunisiens et étrangers ont été agressés, lors de l’exercice de leur métier, par les milices de ce parti tandis qu’une douzaine au moins de médias audiovisuels et électroniques ont été soit attaqués soit censurés.
Tentatives de récupération
Point d’orgue de ces actes de violence ordonnés par un ministre de l’Information de fait, Lotfi Zitoun, ministre conseiller auprès du Premier ministre, et consignés dans des vidéos que certaines chaînes font tourner en boucle, figurent les nominations d’anciens symboles du régime déchu à la tête des entreprises de presse publique, l’emprisonnement du directeur du journal «Ettounsia» pour avoir publié une photo d’une femme semi-nue, l’agression perpétrée par des salafistes contre Ziad Krichene, rédacteur en chef du journal «El Maghrib», le sit-in de milices d’Ennahdha, durant plus de cinquante jours, devant la chaîne de télévision publique El Watanya revendiquant sa privatisation, les expéditions punitives contre les radios nationales et régionales de Gafsa et de Sfax, le procès intenté contre la chaîne privée Nessma pour la projection du film iranien «Persipolis», le saccage des locaux de la chaîne privée «El Hiwar»…
Pis, au plan réglementaire, la Troïka s’est abstenue de promulguer les textes d’application des décrets-lois 115 et 116 sur la presse écrite et audiovisuelle promulgués par le gouvernement précédent de Béji Caïd Essebsi et demandé leur refonte totale, s’appuyant encore une fois sur des syndicats jaunes dont les membres sont connus pour avoir collaboré avec l’ancien régime.
Ces agissements ont valu à la Troïka des cartons rouges de la part des partenaires classiques de la Tunisie. L’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, Gordon Gray, s’est déclaré «préoccupé et déçu par la condamnation de la diffusion par la chaîne Nessma d’un film d’animation préalablement approuvé pour distribution par le gouvernement tunisien. Sa condamnation soulève de sérieuses préoccupations au sujet de la tolérance et de la liberté d’expression dans la nouvelle Tunisie».
L’Union européenne (UE), la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont refusé de décaisser des fonds destinés à la promotion des médias (100 millions d’euros pour l’UE et 1.200 millions de dollars pour le BM et la BAD) en signe de protestation contre la non publication des textes d’application des décrets-lois 115 et 116. Aux dernières nouvelles, l’UE a dépêché Bernardino Léon, envoyé spécial pour le sud de la Méditerranée pour renégocier de nouveau ces fonds conditionnés.
En Libye, le Conseil national de transition libyen (CNT) est tenté, à son tour, par le musellement de la presse. Il vient d’annoncer la création d’un Conseil supérieur de la presse, une résurgence du peu glorieux ministère de l’Information, réputé pour être un outil de propagande étatique, avec pour mission de superviser les médias.
Placé sous le contrôle du CNT ou de l’instance qui va le remplacer, ce Conseil est, entre autres, chargé de donner son avis sur tous les sujets relatifs à la presse et l’élaboration de règlements et de projets de lois régissant les médias et les politiques publiques visant la promotion de médias dans le pays. Le Conseil émet le code d’honneur et de déontologie des médias et prend les mesures nécessaires pour fournir une expertise technique. Parmi ses prérogatives, figure l’octroi de licences nécessaires aux différents types de médias.
La presse libyenne, qui a réagi violement à cette initiative, connaît un essor sans précédent, même si ces progrès demeurent «chaotiques, aléatoires et peu professionnels».
D’après le site interactif libyen Mgharabia, «Le paysage médiatique, longtemps dominé par l’Etat au travers de l’Autorité publique de la presse, propose désormais plus de trois cents quotidiens et hebdomadaires. Ces éditions vont de l’analyse politique à la littérature, en passant par les sujets d’ordre général. Benghazi, berceau de la révolution libyenne, compte à elle seule 180 journaux. Leur nombre est plus modeste à Tripoli, qui ne possède que dix journaux».
De nombreux nouveaux projets de médias bénéficient d’un financement de la société civile, des conseils locaux et d’hommes d’affaires. Le Conseil national de transition apporte un soutien aux journalistes sous la forme d’aides à la publication et de retraites aux journalistes autrefois affiliés à l’Autorité publique de la presse.