«Nous voulons arriver à un consensus avec les représentants des autres partis et ceux de la société civile. Maintenant si nous n’arriverons pas à un accord, nous serons bien obligés de recourir à des moyens que nous considérons comme légaux, c’est-à-dire de désigner un Conseil municipal représentatif des sensibilités politiques au sein de la Constituante», a déclaré mercredi soir sur Nessma TV, Habib Ellouze, membre du bureau exécutif d’Ennahdha. Pour lui, le forcing subi par la délégation de Sfax pour «lever le camp» n’en est pas un. C’est qu’elle n’est pas, à ses yeux, représentative de la «majorité élue» et c’est à lui, en bon nahdhaoui, samaritain démocrate d’y veiller. Habib Ellouze ne nous surprend plus par ses positions «autocratiques» qu’il veut faire passer pour démocratiques. On ne peut plus nous avoir au bluff.
Le schéma proposé aujourd’hui par les partis sortis vainqueurs des urnes pour «envahir» les délégations municipales provisoires dénote d’une voracité inadmissible de la part de personnes sensées vouées à la patrie pour un électorat potentiel dans l’attente des prochaines échéances. Car devons-nous rappeler que le rôle d’une mairie est de satisfaire aux besoins de la population locale, partant de l’état-civil à l’urbanisme et au logement, écoles et équipements, activités culturelles, santé et aide sociale et jusqu’à la police administrative. C’est dire à quel point elle lui est proche dans son quotidien, c’est dire aussi l’importance que lui accordent les passionnés «désintéressés» du pouvoir.
En Tunisie, il est de tradition que les conseils municipaux soient élus indépendamment des législatives et de la présidentielle. S’il en a toujours été ainsi, ce n’est certainement pas sans raisons. Les municipales sont les élections qui ont la capacité de refléter de la meilleure manière le choix des citoyens établis sur leur satisfaction ou par des prestations de leurs mairies respectives.
M. Ellouze devrait se rappeler qu’aux débuts des années 90 en Algérie, le FIS a remporté les élections municipales après des élections démocratiques. Alors pourquoi vouloir accélérer par la force un processus qu’il pourrait peut-être, lui et ses semblables très présents sur le terrain populaire, gagner légalement et légitimement?
Pour l’histoire, voici ce que disait Mustapha Ben Jaafar, allié d’Ennahdha dans un article en 2010 pendant l’ère Ben Ali: «…Les municipalités tunisiennes, contrairement à leur statut légal de “collectivité publique dotée de la personnalité civile et de l’autonomie financière chargée de la gestion des intérêts municipaux“, sont bien loin d’être l’expression de l’autonomie locale. Dans les faits, censées être des structures où s’exerce le pouvoir citoyen local, elles fonctionnent comme de simples rouages administratifs relayant, sous la férule des gouverneurs, les pouvoirs de l’exécutif central. Ainsi, dans un climat dominé par le verrouillage de la vie politique, d’un côté, et l’indifférence de la population, de l’autre, le pays se trouve à la veille d’un scrutin sans véritable enjeu de pouvoir, qui va se dérouler sous le contrôle d’une administration partisane». Eh oui, nous ne sommes pas dans la rupture mais dans la continuité, car après la mainmise sur les gouvernorats et les délégations, les administrations aussi, voici la Troïka, en campagne pour la conquête des municipalités et cette fois-ci… Les leçons du passé ont été bien apprises et malheureusement assimilées dans le sens du prolongement des mauvaises habitudes…
Rien que dans le Grand Tunis, il y a 8 mairies dont 5 délégations spéciales comprenant 24 membres. Ce sont Tunis, Sidi Hassine, Le Bardo, Le Kram et la Marsa. 2 conseils ont seulement 8 membres (Carthage et Sidi Bou Saïd), et enfin une 8ème municipalité dont le conseil se compose de 16 membres, La Goulette. On comprend bien qu’en voulant adopter les mêmes quotas qu’à l’ANC, la Troïka veuille imposer son hégémonie sur les communes grâce à ses députés des régions qui participent aux négociations avec leurs homologues des partis d’opposition et les représentants de la société civile. Pire, au bout de nombre de discussions, la Troïka a tenu à nommer à la tête des délégations spéciales des présidents issus de ses rangs. Ce qui a été refusé net par ses vis-à-vis.
Résultat, un processus erroné a produit des conséquences désastreuses. Car on prive le Tunisien de choisir celui ou celle qui le représente dans sa petite commune, des personnes en lesquelles il a confiance. On tient à éliminer des conseils qui ont bien assuré, sous prétexte que leur mandat est terminé, on perd son énergie et son temps à se bagarrer sur qui occupe la meilleure place, et on se demande après pourquoi la Constitution n’est pas encore écrite!
Qu’en sera-t-il des 8 millions de Tunisiens qui n’ont pas voté la Troïka?
La Tunisie compte 264 communes, réparties sur les quatre coins cardinaux du territoire, si on y applique le principe de la proportionnalité revendiquée par les trois partis coalisés, il ne restera pas beaucoup aux 8 millions autres Tunisiens qui n’ont pas voté pour eux. Ces Tunisiens, qui ont besoin de représentants municipaux neutres, soucieux de leur bien-être, intègres et sans couleurs politiques dans l’exercice de leurs tâches.
Dans une conférence de presse organisée autour de la problématique «délégations spéciales désignées ou choisies légalement», Al Joumhouri a dénoncé le projet de la répartition du nombre des sièges entre la Troïka, sans prendre en compte le potentiel et la volonté des habitants et les résidents de la commune ainsi que des représentants de la société civile pour servir au mieux ses intérêts. Pis encore, à l’instar de ce qui s’est passé devant le siège des télévisions et des radios nationales, c’est le même rituel qui se répète aujourd’hui devant les mairies «rebelles» : “des Tunisiens patriotes (sic) soucieux de la lutte contre la corruption pour le bien du pays, plantent des tentes et commencent à clamer les slogans du «dégage» aux volontaires qui ont assuré des missions jusqu’à aujourd’hui. Cela s’est passé, entre autres, à Sfax, Raoued et à Sidi Bousaïd: «A Sidi Bou Saïd, c’est nous qui les avons acculés à dégager», a déclaré avec délectation Raouf Dakhlaoui, maire de la Commune.
Que penser de pareilles pratiques sinon que ce sont des actes d’intimidation conduits par des mercenaires à la solde de mouvements politiques qui se reconnaîtront! Des mouvements qui devraient pourtant savoir mieux que quiconque que les batailles de l’argent ou pour de l’argent finissent par être systématiquement perdues… Ainsi, les membres des délégations spéciales, pour la plupart volontaires aujourd’hui, qui ont essayé tant bien que mal de gérer la situation de leurs communes dans un contexte postrévolutionnaire caractérisé par l’anarchie, l’indiscipline et le je-m’en-foutisme, sont pénalisés. Et au lieu de leur rendre hommage, on leur brandit l’éternelle rengaine, du reste inappropriée dans le cas de l’espèce de cloner la configuration de la Constituante sur les délégations spéciales. Cauchemardesque!
Les sièges aux conseils municipaux sont particulièrement convoités lorsque l’on veut s’assurer une présence accrue sur terrain et prévenir un futur qui reste pourtant aux mains d’Allah. Et pour ceux qui ont toujours défendu les principes démocratiques, la question est: qu’y a-t-il de démocratique dans les forcings exécutés sur des conseils municipaux qui arrivent à peine à sortir leur tête des eaux troubles de la révolution? Les Comités locaux de sauvegarde de la Révolution, qui avaient autrefois apporté leur soutien et aide aux élus d’aujourd’hui et qui ont même participé à la désignation des conseils municipaux ont été eux-mêmes remerciés.
Pour le parti Al Joumhouri, il est impératif de faire participer la société civile et toutes ses composantes aux conseils municipaux. Il a également appelé à éviter de recourir à la solution miracle de la légitimité électorale du 23 octobre.
Le conseil municipal est par essence apolitique, il doit évoluer dans la transparence et éviter des ambiguïtés qui pourraient mener à des malentendus ou à de mauvaises interprétations de part et d’autre. Il est clair que la course après le pouvoir a déjà commencé. Le Tunisien sera-t-il leurré cette fois-ci?
Il faut espérer que non, car nos concitoyens sont perspicaces et intelligents surtout aujourd’hui, ils sont éveillés à la joute et au jeu politique. Ca ne passera pas, que ceux qui ont déjà tiré leurs épées rangent leurs armes, cette fois-ci au peuple, il faut des réalisations et non des paroles.