Faut-il «remercier» le gouverneur de la Banque centrale pour sa divergence avec le gouvernement sur la gestion des taux d’intérêt? L’affaire, politisée à l’extrême, peut donner à craindre sur l’indépendance de l’institution. A suivre!
C’est un imbroglio qui ne trouve pas son dénouement. Partira, partira pas? La controverse nourrie autour de l’hypothétique départ du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie entretient par ailleurs une fâcheuse polémique. Celle-ci finit par éclabousser une institution qui nous a toujours valu respect et considération auprès des institutions internationales.
L’affaire a rebondi après que le jeudi 7 juin au soir le président de la République a annoncé à la télé avoir signé le décret de limogeage du gouverneur de la BCT. Le lendemain vendredi 8, à l’issue d’une participation au congrès annuel de l’Asectu qui se tient à Hammamet, Mustapha Kemal Nabli a donné une conférence de presse pour évoquer la question. Son message était clair. L’autonomie de la Banque Centrale peut conduire à une différence d’option sur la gestion des taux d’intérêt et c’est arrivé. Cela peut-il peser sur la reprise économique? Il le conteste, rajoutant que l’instrument monétaire a ses lois et ses limites. Et, il s’y est conformé au risque de faire dérailler tout le système. La politique monétaire n’est en rien responsable de la mollesse de la croissance. Il est vrai que cet état de fait prive le gouvernement actuel d’un bonus de popularité pour sa gestion économique. Sa position est ferme mais il ne s’agit pas d’un diktat, se défend-il. La situation est inédite chez nous car la BCT a gagné son autonomie depuis le 14 janvier.
Mais c’est une situation courante en UE, par exemple. Nicolas Sarkozy ne décolérait pas contre la Banque centrale européenne (BCE) pour sa gestion rigoriste des taux. L’argument est que de vocation, la Banque Centrale a pour mission première de protéger la valeur de la monnaie, dont acte.
Le gouverneur a dit expressément que la Banque Centrale ne se pose pas en Etat dans l’Etat. Et encore moins qu’elle cherche à torpiller les intérêts de la nation en limitant le recours à la planche à billets. Mais le non-dit est qu’au prix d’un retour au forceps de la croissance doit-on sacrifier l’autonomie de la BCT? Et, plus encore, faut-il que cela se règle dans le sang, à la manière des Républiques non démocratiques?
L’art et la manière ont fait défaut
Le litige n’en est pas un, selon Mustapha Kemal Nabli. L’annonce faite par le président de la République l’a heurté parce qu’elle ne respecte pas les formes. La démocratie naissante a sanctifié l’autonomie de la Banque Centrale. Et la destitution du gouverneur ne peut plus se faire sur simple décision de l’exécutif. Elle doit être prononcée par la Constituante. Et là le gouverneur récupère l’avantage. Il est Gardien du Temple mais aussi défenseur des mœurs démocratiques. L’art et la manière, il est vrai, ont fait défaut.
Par ailleurs, les accusations d’alignement sur les intérêts étrangers dont il est accablé sont à démontrer. Le personnage a pour lui sa rectitude et son expérience. Il ne faut pas non plus lésiner sur les faits d’armes. Ministre du Développement, il a dit non à Ben Ali pour les privatisations douteuses des entreprises publiques. Il n’a pas changé le cours de l’histoire mais il a eu le courage de se dresser contre le tyran faisant valoir les intérêts supérieurs de la nation. Une position de cette nature vous confère, le moins que l’on puisse dire, un crédit de légitimité militante.
La probité de la personne est difficile aussi à mettre en doute. Il semblerait qu’il ne touche pas de salaire. Son bilan est défendable au regard de l’orthodoxie monétaire, soutient-il. Par conséquent, la divergence avec le gouvernement sur la question de la gestion des taux n’a rien de crime d’honneur et ne doit pas être lavée dans le sang. Le gouverneur considère que ses options sont conformes aux canons de la sagesse monétaire. Le gouvernement plaide pour des choix, on ne sait trop s’il faut les qualifier d’accommodants ou de laxistes. La situation commande la rigueur, voilà tout.
Le retour de l’arbitraire
L’argentier national campe sur la position de Gardien du Temple. Il procède à un cadrage espiègle de la situation. Peut-on jouer la croissance contre la valeur de la monnaie? L’interrogation doit donner lieu à un débat et non tourner à la grande lessive sur la place publique. La position devient simple. Faut-il gérer ce conflit ou le trancher? Si l’on opte pour la deuxième solution, ce choix apparaîtra comme un retour de l’arbitraire. En dictature, quand un responsable ne se range pas, on le met au placard. MKN dicte donc le choix des armes. Il ne laisse pas, par conséquent, d’autre choix à ses contradicteurs que la possibilité de gérer la crise et de composer avec lui. Il rappelle que malgré ses demandes répétées, comme le veut l’usage, pour présenter le rapport de la Banque, le président de la République ne l’a pas reçu. Ce n’est pas là qu’une simple entorse au protocole mais une faille démocratique. Il s’expliquera de son bilan. Le gouverneur a-t-il retourné la situation en sa faveur?
Wait and see.