L’International Crisis Group, ONG multinationale qui a pour mission de prévenir et de résoudre les conflits meurtriers grâce à une analyse de la situation sur le terrain et la suggestion d’issues pour éviter le pire, fait état dans son dernier rapport sur la Tunisie de problèmes socioéconomiques inquiétants mais non alarmistes et des défis que la Troïka doit relever, «avec autorité», pour maintenir sa légitimité.
Zoom sur une recette mi-musclée mi-développementale.
Globalement, ce rapport relève qu’en dépit du chemin parcouru par le pays sur la voie de la transition démocratique, des défis économiques et sociaux menacent d’entraver ce processus et risque même de le compromettre si rien n’est fait pour maîtriser la situation.
Au nombre de ceux-ci, le rapport, élaboré sur le thème «Tunisie, relever les défis économiques et sociaux», cite la montée du chômage, les profondes inégalités régionales, la contrebande, la corruption et en filigrane le corporatisme. «Les Tunisiens, toutes conditions sociales confondues, expriment un ressentiment croissant qui pourrait dégénérer en un chacun-pour-soi destructeur», note le rapport.
Crisis Group, think tank de la diplomatie internationale, avance que le mauvais rendement du pouvoir en place est à l’origine de la dégradation de la situation. Il estime que «le gouvernement est pour l’instant incapable de juguler la corruption et d’étouffer les violences liées à la reconfiguration des rapports de forces locaux et à la prolifération des réseaux de contrebande qui participent à l’augmentation du coût de la vie. Sa marge de manœuvre est restreinte, limitée par l’inertie bureaucratique, la multiplication des sit-in et autres mouvements de contestation, les critiques politiques qui remettent en cause sa légitimité et une conjoncture internationale morose».
Dans cette même optique, William Lawrence, directeur du projet Afrique du Nord de Crisis, fait remarquer que «sous une quasi-normalité apparente, les contestations de nature économique couvent», et d’ajouter: «les problèmes économiques et sociaux qui ont contribué au déclenchement du soulèvement ne sont pas abordés de manière adéquate et pourraient à nouveau causer des débordements».
Le rapport conclut son diagnostic en indiquant que «l’insécurité et l’instabilité socioéconomique risquent de saper la légitimité gouvernementale et porter atteinte au caractère largement pacifique de la transition».
Les solutions pourraient être ….
Quant aux issues à explorer pour éviter ce scénario, le rapport recommande au gouvernement d’être «plus énergique» et «plus autoritaire» dans le traitement des revendications, et ce en pratiquant sur «le terrain» (entendez tout le territoire du pays) deux stratégies concomitantes: le maintien de l’ordre et l’enclenchement d’une dynamique de développement devant satisfaire les besoins urgents des protestataires.
Pour Crisis Group, l’enjeu est de reconquérir, en toute urgence, «la confiance des populations locales qui mesurent les progrès accomplis à l’aune de l’amélioration de leurs conditions matérielles».
Concrètement, le rapport propose plusieurs solutions dont la première serait à même de calmer les tensions. Elle consisterait en «la formation de groupes d’action et d’investigation constitués de forces sécuritaires (armée, police et garde nationale) et de représentants locaux (chefs de clans, notables) en coordination avec le gouvernement afin de répondre aux crises les plus urgentes. Ceux-ci pourraient être expérimentés en premier lieu dans les régions les plus tendues de l’intérieur du pays, notamment dans le Bassin minier ainsi qu’aux frontières tuniso-libyenne et tuniso-algérienne.
De tels groupes pourraient se concentrer, toujours selon le rapport, sur deux problèmes majeurs: la gestion des crises violentes, d’une part, et les activités de contrebande et de commerce informel, de l’autre, avec comme objectif dans le second cas de quantifier ces activités, d’en identifier les causes et de préparer une réponse politique adéquate.
La deuxième solution serait de contourner les obstacles administratifs freinant les projets relatifs à l’emploi des jeunes diplômés et au développement régional, en mettant en place une commission de crise bénéficiant de l’autorité nécessaire pour débloquer ces projets dans les plus brefs délais.
Il s’agit également de recenser avec précision les diplômés-chômeurs et de définir avec leur concours des critères clairs et objectifs pour leur recrutement dans les administrations et les entreprises privées et publiques.
Autres recommandations. Le rapport met l’accent sur l’intérêt qu’il y a à créer de nouveaux mécanismes de consultation au niveau local, à faciliter la transition de l’économie informelle au secteur formel, en simplifiant les procédures et à mettre sur l’agenda constitutionnel la question de la décentralisation politique et économique (redécoupage régional, création de collectivités régionales et élection de leurs représentants, mise en place de budgets autonomes importants pour les régions).
Au plan international, Crisis Group demande aux partenaires de la Tunisie de l’aider à conférer plus d’efficience aux règlement de conflits sociaux (message adressé à la Confédération syndicale internationale “CSI“), de soutenir financièrement les associations de développement régional et local, le développement des entreprises locales, y compris à travers l’assistance technique aux start-ups locales et la fourniture de microcrédit (recommandation à l’intention des agences spécialisées des Nations unies).
En conclusion, le rapport se veut rassurant et optimiste. «il serait exagéré d’évoquer le spectre d’une seconde insurrection», lit-on dans le rapport avant d’en énumérer les indices: «Les principales organisations de masse, que sont l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le parti Ennahdha, ne sont pas stationnées dans un face-à-face menaçant; les partis semblent accepter les règles de l’alternance et tentent de se repositionner dans le jeu politique en préparation des prochaines élections. Reste que, inextricablement liées dans ce contexte postrévolutionnaire, crise socioéconomique et crise politique courent le risque de se nourrir mutuellement et de remettre en cause la légitimité du gouvernement élu».
Dont acte!