Emportera-t-il le consentement de l’Assemblée Nationale Constituante? Mais au préalable, que va devoir plaider Mustapha Kamel Nabli? Détails.
Des épreuves à répétition l’ont énergiquement préparé à ce rendez-vous. Il faut dire qu’on l’a beaucoup apostrophé sur son bilan. L’ANC a convié ce lundi 18 juin le gouverneur de la BCT, pour une audition. A l’ordre du jour, le déroulé de la politique monétaire depuis l’investiture de Mustapha Kamel Nabli. Petit flash back, toutefois.
Le gouverneur a plaidé becs et ongles l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie auprès de la Constituante. Et, elle a accédé favorablement à sa requête. Le rendez-vous de ce jour est donc dans l’ordre des choses. Cependant, dans l’intervalle, il y a eu nombre de contestations sur la gestion de la politique monétaire dans notre pays. Le gouverneur ne se rend donc pas à une séance ordinaire. Il va devoir plaider. Il l’a fait à plusieurs reprises, et tout récemment encore lors du forum annuel de l’Association des économistes Tunisiens (Asectu).
Cette audition se terminera par un verdict. Le gouverneur sait qu’il met son job en jeu, mais par-delà saura-t-il reconduire l’indépendance de l’institution? C’est ce qui semble être le point focal de son combat. L’argumentaire technique exposé par le gouverneur est cohérent, comme on le verra. Sera-t-il persuasif?
La priorité des priorités: assurer la liquidité
En arrivant à la BCT au cours du premier trimestre 2011, MKN se trouvait dans l’œil du cyclone. Une bourrasque s’est abattue sur le système bancaire et la crise de confiance était à son comble. L’économie dévissait à vue d’œil. La production chutait. L’exportation vrillait. Les IDE étaient aux abonnés absents et les réserves de change rétrécissaient comme peau de chagrin. Dans cette situation caractéristique, il y a toujours, et cela n’a pas manqué, une fuite vers la liquidité. La première des manœuvres était d’éviter la crise de liquidités qui se solde la plupart du temps par un assèchement du crédit, ce que les Américains désignent par la redoutable expression de «credit crunch».
L’économie se retrouve dans ce cas de figure avec un encéphalogramme plat car le système financier aurait suspendu tout concours à l’économie. La parade, juge le gouverneur, a été techniquement en intelligence avec la situation. L’Institut d’émission a injecté, en pompant à fond la caisse, toutes les liquidités pour faire face et empêcher la crise de liquidités. Les réserves obligatoires des banques ont été ramenées de 12,5% du total de leurs dépôts à 2%, soit le minimum minimorum. Le taux d’appel d’offres, dit taux directeur, c’est-à-dire le taux qu’applique la BCT pour prêter aux banques, a été ramené au voisinage de 3%. Le TMM l’a suivi dans cette régression. Près de 700 MDT ont fui le système, et les dépôts à terme ont vertigineusement chuté. Cependant, la médication a fini par prendre et le système a évité la crise de liquidité. Une fois le système rétabli, la Banque centrale a fait remonter le taux d’intérêt.
Quel impact de la politique monétaire sur l’économie réelle?
Malgré toutes ces manœuvres, l’économie n’a pas retrouvé sa tonicité. Est-ce la faute de la politique monétaire, s’interroge le gouverneur? Sa réponse se fait en deux parties. La première est que les deux secteurs essentiels de l’économie réelle étaient hors usage. Le secteur minier s’est mis à l’arrêt et en l’occurrence la politique monétaire reste sans effet sur un corps inanimé. Pareil pour le tourisme.
La seconde est que l’électrochoc budgétaire est resté sans effets. L’Etat a engagé des dépenses mais elles n’ont pas animé le corps économique, elles ont juste servi à maintenir la consommation la tête hors de l’eau. Un taux d’intérêt qu’on aurait maintenu bas aurait-il suffi à lui tout seul à faire repartir le système? Le gouverneur récuse cette assertion appelant l’attention que le maintien d’un taux bas aurait aidé à déclencher une inflation monétaire. Mais l’inflation est déjà là. Quelle part de responsabilité des taux élevés?
L’inflation a un cycle autonome depuis 2001
Le gouverneur montre, graphiques à l’appui, que l’inflation en Tunisie obéit à un cycle propre depuis 2001. Le cycle inflationniste est de deux ans en moyenne et il respecte une itération quasi parfaite. Il se trouve que ce cycle a commencé sa phase ascendante au premier trimestre 2011. La politique monétaire ne pouvait le juguler et encore moins l’accentuer à partir du mois d’août 2011. Les premières injections sur le marché ayant commencé de manière significative en février et mars 2011. Le temps de latence est d’au moins 6 mois. L’usage de la planche à billets n’est donc pas l’élément déclencheur de l’inflation.
L’Etat est représenté au sein du Conseil de la politique monétaire
Le gouverneur a pour lui les repères de la sagesse monétaire. Par ailleurs, il conteste l’accusation des décisions arbitraires. Il a mentionné que plusieurs administrateurs représentant le gouvernement siègent dans le conseil de la Politique monétaire qui n’est pas sous son emprise et qui prend ses décisions de manière collégiale. En neutralisant l’argument des décisions hégémoniques, le gouverneur peut écarter l’accusation sournoise de divergence avec le gouvernement. Les constituants auront à choisir. Apporter leur soutien à une «forte tête» et valider ses états de service ou le disjoncter pour mettre l’institution au pas. Terrible dilemme. Après le coup dur asséné par S&P, la Constituante saura faire le choix fort.