Dénigrée chez nous, la justice militaire tunisienne est appréciée à l’étranger

justice-militaire-180612.jpgLa justice militaire a fait récemment l’objet d’attaques virulentes de la part des blogueurs, et particulièrement des deux partis pirates de Slim Amamou et de Slaheddine Kchouk, partis qui militent, en principe, pour la transparence totale et pour l’accès libre et égal, pour tous, à l’information.

Globalement, ces derniers, sous prétexte que le procès historique des martyrs et des blessés de la révolution relève de la mémoire nationale et ne peut être du ressort unique des juridictions militaires, ont dénoncé les conditions d’opacité dans lesquelles se déroule le procès des martyrs de Thala, de Kasserine, du Kef et de Kairouan, la partialité des tribunaux militaires en raison de leur dépendance du ministère de la Défense…

Slaheddine Kchouk est allé jusqu’à accuser le général Rachid Ammar de n’avoir toujours rien révélé sur ce qui s’est passé réellement au moment de la révolution et sur les procès des tueurs de martyrs.

Parmi les zones d’ombre signalées également par Slim Amamou, figure l’absence d’une grande partie des enregistrements téléphoniques des communications entre les responsables des ministères de l’Intérieur et de la Défense, durant la période du 14 au 17 janvier 2011.

Point d’orgue de ces attaques contre cette institution: la grève de la faim «hyper médiatisée» de Ramzi Bettaieb, reporter au journal électronique Nawaat.org, à travers laquelle il entendait protester contre la confiscation de sa caméra lors de sa couverture du procès des martyrs.

Le Parti pirate tunisien, qui a soutenu cette grève tout autant que d’autres blogueurs, a proposé «l’interruption immédiate du procès en cours avant qu’aucune décision de justice ne soit rendue et la mise en place d’un tribunal composé de juges irréprochables et réputés pour leur honnêteté au sein de l’opinion publique et l’ouverture du procès aux journalistes et aux familles des martyrs et sa diffusion en direct sur l’une des chaînes de télévision publiques. Plusieurs blogueurs sont entrés en grève de la faim pour le soutenir».

Pour mémoire, l’affaire des martyrs et des blessés de la révolution a été confiée aux tribunaux militaires par l’Assemblée nationale constituante (ANC), laquelle est la seule habilitée à la lui retirer.

La justice militaire, et à travers elle «la grande muette», s’est défendue, dans les règles de l’art, sur tous les espaces où elle était attaquée. Le colonel Mounir Abdennebi, «monsieur communication» de l’institution militaire, a exercé, sur les plateaux de télévision et de radios, le droit de réponse de cette institution et mis en garde contre les conséquences de la remise en cause de la crédibilité de l’institution militaire et s’est interrogé sur les véritables objectifs des parties qui ont décidé de s’attaquer à cette institution «la plus appréciée par le peuple tunisien selon les sondages», et ce à un moment où le procès des martyrs connaît un tournant décisif.

Ce tournant décisif a eu effectivement lieu puisque les tribunaux militaires ont prononcé leur verdict, en dépit des protestations dans l’affaire des martyrs. Voilà pour la petite histoire.

Reste à savoir maintenant qui avait intérêt à provoquer tout ce bruit sur la crédibilité de cette institution. Certains observateurs dont l’institution militaire pointent du doigt, le ministère de la Justice qui n’a engagé, jusqu’ici, aucune réforme substantielle en matière d’indépendance de la justice, des juristes affairistes et les défenseurs de la justice transitionnelle qui veulent récupérer le dossier à des fins politiciennes.

Aujourd’hui, le calme est revenu et la tension est atténuée entre la justice militaire et ses détracteurs. Mais pour rendre à César ce qui lui appartient, il serait malhonnête de s’interdire de rappeler à nos lecteurs que la justice militaire tunisienne, dénigrée à dessein chez nous, est bien vue par des observateurs étrangers de gros calibre. Parmi ceux-ci figurent l’Union européenne et l’Organisation Human Rights Watch.

Dans un rapport publié le 15 mai 2012 sur le thème «Mise en œuvre de la Politique européenne de voisinage en Tunisie: progrès accomplis et actions à mettre en œuvre», l’Union constate que: «dans le domaine de la justice militaire, l’entrée en vigueur (septembre 2011) de deux décrets-lois offre de meilleures garanties aux accusés et aux victimes et renforce l’indépendance des magistrats des tribunaux militaires».

Pour sa part, Human Rights Watch, dans un récent rapport, publié mi-juin 2012 sous forme de questions-réponses, sur le procès de Ben Ali et des autres responsables accusés du meurtre de manifestants, relève que «les juridictions militaires sont légales» en Tunisie.

Selon Mme Amna Galleli (Tunisie), représentante de Human Rights Watch pour la Tunisie et l’Algérie, les aspects positifs de la justice militaire tunisienne résident dans le respect total des droits de la défense et dans le fait que les séances soient ouvertes au public et à la presse.

A propos des restrictions faites aux cameramen et photographes dans les salles de procès, elle a tenu à préciser que cette démarche est en vigueur dans tous les tribunaux du monde et les juridictions tunisiennes ne peuvent pas faire exception.

Au rayon des insuffisances, Mme Amna Gallali, qui était interviewée par Radio Express Fm, a cité la défiance entre les juridictions et la partie civile en raison de l’absence de preuves tangibles impliquant ceux qui ont donné l’ordre de tuer. D’après le rapport, les tribunaux se sont contentés soit de déduire, soit de refuser de fournir à la défense certaines preuves comme les communications téléphoniques entre l’administration centrale et les forces de police sur le terrain à Kasserine et à Thala.

Selon Mme Amna Gallali donc, cette indépendance n’est pas totale en ce sens où le juge militaire demeure soumis à «d’éventuelles instructions», à travers le Conseil supérieur de la justice militaire que préside le ministre de la Défense tandis que les juges civils qui siègent à ces juridictions d’exception, de par leur nomination par décret présidentiel sur recommandation du ministère de la Justice, peuvent être influencés également.

C’est pour dire au final, qu’au regard des progrès réalisés sur la voie de la transition démocratique dans le pays, la justice militaire, en initiant à temps sa propre réforme, contrairement au ministère de la Justice qui n’a rien entrepris en matière d’indépendance de la justice, a franchi d’importants pas sur cette voie et mérite respect et considération en cette période exceptionnelle en dépit des insuffisances.