Au-delà des différences culturelles, politiques, historiques, etc., la Tunisie post-14 janvier 2011 et la Pologne ont au moins un point commun: les deux pays ont un ministère du Développement régional. Ayant découvert cela, alors que le néo-ministre qu’il était –chargé de ce dossier- en février 2011, Abderrazek Zouari a décidé d’étudier de près l’expérience polonaise dans ce domaine, afin d’en tirer des leçons pour la Tunisie.
Aussitôt installé dans ses fonctions, au sein du gouvernement de Béji Caïd Essebsi, l’universitaire devenu ministre s’est imposé un voyage d’étude d’une semaine au pays de Lech Walesa. Cette expérience a alimenté la réflexion sur une –nouvelle- vision du développement régional dans la Tunisie de l’après-Ben Ali, présentée dans un livre blanc édité par le ministère en charge de ce portefeuille.
A titre d’exemple, M. Zouari pense qu’à l’instar de la Pologne qui, après la révolution, a réduit le nombre de ses régions de 48 à 16, la Tunisie devrait revoir son organisation administrative et territoriale pour passer de 24 gouvernorats à «5 ou 6 régions». Et c’est pour cette raison qu’il a trouvé fort opportune l’invitation en Tunisie de Grzegorz W. Kolodko,
Professeur d’économie et l’architecte de la politique de réformes économiques en Pologne. Auteur d’une quarantaine de livres, ce «penseur et praticien des politiques publiques», comme il se définit, a été invité par l’ATUGE (Association des Tunisiens diplômés des Grandes Ecoles) à parler, sur la base de son dernier livre -«Vérités, erreurs et mensonges, politique et économie dans un monde volatile», un succès de libraire- à expliquer les facteurs qui sont à l’origine de la réussite ou de l’échec de certaines expériences et transitions.
«Pourquoi il y a une success story en Pologne et pas en Ukraine? Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle effondrée? Pourquoi le PIB de l’Union soviétique était, au moment de l’effondrement de cette dernière, 3 fois supérieur à celui de la Chine, et qu’aujourd’hui celle-ci a un PIB cinq fois plus important?», s’interroge le conférencier polonais.
Pour le professeur Grzegorz W. Kolodko, la révolution polonaise a eu lieu parce que les réformes menées dans les années 70 et 80 ayant échoué, les Polonais «sont arrivés à la conclusion que le système est irréformable».
Rappelant le débat, qui s’est étalé sur les 20 dernières années, au sujet du modèle économique à adopter –libéralisme ou économie sociale de marché, «comme dans les pays scandinaves»-, Grzegorz W. Kolodko ne cache pas sa préférence pour ce dernier car il présente deux avantages: d’abord, il génère moins d’injustice sociale, et, ensuite, ne compromet pas la compétitivité des entreprises. L’objectif doit être d’arriver à une «économie solidaire».
Par exemple, à choisir entre accorder d’importants avantages aux investisseurs, ou augmenter le pouvoir d’achat de la population, Grzegorz W. Kolodko choisit sans hésiter la deuxième solution car elle permet de relancer la machine économique.
Convaincu que le fait d’avoir «un modèle économique dès le début aide à la réussite de la transition», l’ancien ministre des Finances reconnaît qu’en démocratie les choses peuvent ne pas aller dans le sens souhaité. Ce qui ne l’empêche pas de mettre en exergue deux facteurs clefs de réussite: il faut «avoir une vision de long terme qui définit les valeurs, les institutions, etc., un leadership et une stratégie pour concrétiser cette vision».
Parmi les erreurs commises par la Pologne, Grzegorz W. Kolodko cite en particulier le fait d’avoir «accepté trop d’investissements étrangers dans le secteur bancaire» et d’avoir «trop privatisé pour un prix très bas».
Affirmant que «les gens intelligents sont ceux qui apprennent des erreurs des autres», le professeur d’économie appelle les Tunisiens à «apprendre de nos erreurs». Mais alors que les organisateurs ont dû écourter un peu sa conférence pour cause de couvre-feu, le conférencier a ce commentaire: «On ne peut pas apprendre quand on est sous la menace d’une nouvelle folie».