Les actes de violence qu’a connus le Palais El Abdellia à La Marsa en raison d’une exposition de peinture jugée, à tort, offensante pour l’Islam, ont montré, de la plus belle manière, que le parti Ennahdha au pouvoir et «ses filleuls», les salafistes -des excroissances d’autres temps- obéissent à la même stratégie de déstabilisation du pays avec comme ultime objectif l’instauration à long terme de la chariaâ (loi islamique). Seuls leurs rôles diffèrent dans cette mission «jihadiste».
Ainsi, si les salafistes sont chargés des missions de sacrifice et des sales besognes (affrontements avec la police et leurs conséquences), les nahdhaouis au pouvoir, de par leur mainmise sur la justice et la police, ont pour mission soit de fermer les yeux, soit de gommer les traces des délits, soit de les banaliser. Mais la stratégie est la même.
A court, moyen et long termes, l’objectif est le même. Celui d’instaurer la Chariaâ dans le pays. L’affaire du Palais Abdellia a eu tout juste le mérite de les mettre à nu et de les faire apparaître sous leur véritable visage.
Pour preuve, alors que le peuple était traumatisé que le pays saignait, à la suite des saccages des tribunaux, des postes de police, des lieux publics par des salafistes qui doivent au peuple leur libération du joug du dictateur Ben Ali, leurs leaders, Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha, Mokhtar Jebali, président du Front des associations islamiques en Tunisie (FTAI), les émirs salafistes jihadistes (Abou Ayoub, Abou Iadh et Abou…), ont lancé, en chœur, et sans avoir pris la peine de vérifier la véracité des faits, des appels incendiaires pour l’organisation dans tout le pays de manifestations pour protester contre ces œuvres d’art prétendus «blasphématoires».
Pis, des prédicateurs salafistes, dont Houcine Laabidi de la mosquée Zitouna à Tunis, ont appelé au meurtre des artistes qui ont exposé au Palais Abdellia.
Même le sage, Cheikh Othman Battikh, mufti de la République, s’est fait piégé par les fausses images sur Facebook (signe de sous-information criarde pour un si haut cadre du pays) et a condamné l’atteinte au sacré provoquée par cette exposition qu’il a qualifiée de “provocation sous couvert de liberté d’expression”.
Heureusement, le pire a été évité: le ministère de l’Intérieur a pris la sage décision d’interdire ces manifestations. Certains l’attribuent à l’armée.
La Tunisie est passée tout près du scénario qu’avait connu un pays comme l’ex-Yougoslavie (guerre civile et émiettement du pays). Reste maintenant les enseignements à tirer de ces évènements douloureux.
Empressons-nous de signaler tout de suite que ceux qui seraient tentés de voir dans cette affaire une défaite des nahdhaouis et salafistes se trompent beaucoup. Bien au contraire, en dépit des dommages occasionnés au pays par les actes de vandalisme (incendie des lieux publics) et par la parole (appel à la manifestation et au meurtre), les religieux vont exploiter ces incidents, avec la complicité de ministres de la Troïka (cas du ministre de la Culture, Mabrouk Mehdi) et sur la base de rapports –pas très fiables- fournis par le ministère de l’Intérieur (cas du Palais Abdellia), pour mettre la pression sur l’Assemblée nationale constituante afin de l’amener, à court terme, à inscrire au plus vite, dans la future Constitution, «la criminalisation de l’atteinte au sacré».
Et pour terroriser tout le monde, ils brandissent l’alternative de se faire justice eux-mêmes, pour peu que des lois ne soient pas adoptées pour sanctionner tout acte estimé blasphématoire. C’est toute une politique bien huilée qui est mise en place, à cette fin.
Ce n’est par hasard d’ailleurs, lorsque le débat faisait rage sur l’article 1 de la Constitution, il y a à peine quelques mois, que Mokhtar Jebali avait déclaré en substance, à une radio locale, que «le fait qu’Ennahdha n’ait pas validé l’application de la Chariaâ dans la prochaine Constitution ne peut être considéré comme une décision définitive». Entendez: ce n’est que partie remise.
Tout récemment, lors d’un entretien sur la chaîne de télévision privée “Ettounisia“, Slah Bouazizi, porte-parole du parti salafiste du Front de la réforme (Jabhat al Islah), a annoncé que son parti va demander à l’ANC la légalisation de juridictions islamiques parallèles aux tribunaux républicains en place. Il a même ajouté qu’il est certain que ces juridictions verront le jour. M. Bouazizi, qui a insinué que des assurances lui auraient été fournies à cet effet par les hommes actuellement au pouvoir, a indiqué que l’appel au meurtre des artistes est justifié unanimement par tous les quatre principaux imams de l’Islam, y compris l’imam Maliki dont se réclame la majorité des Tunisiens.
Moralité: l’heure est grave. Il existe hélas bien une stratégie pour changer le mode de société tunisienne et pour appliquer, un jour ou l’autre, la fameuse chariaâ avec comme conséquence la perte de tous les acquis accomplis, durant plus de cinquante ans de sacrifices.
Les récentes descentes de police et les arrestations de salafistes dans les villes du pays ne sont qu’un pétard mouillé, un trompe-l’œil pour calmer les esprits.
Par delà toutes ces stratégies et tactiques, les nahdhaouis et dérivés, qui ont récupéré une révolution à laquelle ils n’ont guère contribué et hérité un pays viable et relativement bien organisé, doivent comprendre que le vote identitaire en leur faveur un certain 23 octobre 2011 ne les habilite pas à s’aventurer, outre mesure, et que les soi-disant sacrifices qu’ils avaient consentis dans les prisons et dans l’exil n’étaient pas consentis pour servir une quelconque cause du peuple tunisien mais des ambitions personnelles visant la conquête du pouvoir, et uniquement le pouvoir et ses privilèges.
Conséquence: Il me semble qu’il est temps pour le peuple tunisien d’évaluer leurs politiques en fonction de ce qu’ils ont donné et de ce qu’ils donnent au pays.
Dans le cas d’espèce, le nombre des problèmes que le pays a connus durant leur mandat sont de loin plus nombreux que les projets et sources de revenus créés.
Ils ont passé au pouvoir il y a maintenant plus de six mois sans créer le moindre emploi ou très peu en tout cas. C’est pour dire que leurs objectifs sont ailleurs.