Un point de presse pour défendre la décision du gouvernement tunisien d’extrader Baghdadi Mahmoudi, ancien Premier ministre de Kadhafi, sans… l’aval du président de la République Moncef Marzouki. Celui-ci qui déclare, à travers son porte-parole, n’avoir été informé de cette décision qu’après son application, c’est-à-dire durant l’après-midi du dimanche 24 juin 2012. M. Mahmoudi a été délivré aux autorités libyennes la matinée du même jour. Une extradition en catimini, disent certains, qui a l’air de provoquer une crise au sommet de l’Etat, entre la présidence du gouvernement et la présidence de la République.
Le porte-parole a condamné, dans un communiqué, cette décision «illégitime» qui «a été prise unilatéralement, sans consultation du président de la République». Il a aussi indiqué qu’il s’agit d’«une violation des engagements internationaux de la Tunisie, surtout que l’Agence des Nations unies pour les réfugiés avait demandé à la Tunisie de ne pas extrader Mahmoudi avant de trancher sur sa demande d’asile, suivant la convention de Genève de 1951». Il estime que «cette décision d’extradition nuit au principe de consensus, mis en place par la loi provisoire d’organisation des pouvoirs publics».
Sans prérogatives…
Mais ceci n’est pas l’avis du gouvernement. «Selon la loi provisoire d’organisation des pouvoirs publics, c’est le président du gouvernement qui est habilité à signer la décision d’extradition, et non pas le président de la République», affirme Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle. Selon cette même loi, dans son article 11, indique Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, la signature de ce genre de décisions relève des prérogatives du Premier ministre. «Il n’est pas des prérogatives du président de la République de prendre ou de signer ce genre de décisions», précise-t-il.
Les déclarations du porte-parole de la présidence de la République n’a semble-t-il pas plu au gouvernement. «Nous n’avons pas l’habitude de traiter avec des communiqués des porte-parole et des conseillers. Nous ne voulons pas entrer dans des débats de ce genre. Ce qui nous importe, ce sont les faits et le respect de la loi», indique M. Dilou.
Un président de la République sans prérogatives, donc, qui n’est même pas habilité à trancher sur une question aussi importante concernant la politique étrangère du pays. «Donc, vous confirmez que le président n’a pas été consulté sur cette question?», s’est interrogée une journaliste. «Il n’a pas été informé!», répond le ministre des Droits de l’Homme. Il n’a pas été consulté, entend-on dire.
Selon lui, cette décision a été prise depuis le gouvernement Essebsi. L’actuel gouvernement a procédé à un examen «suffisant» des conditions de détention de Mahmoudi en Libye et aussi du climat sécuritaire et de la compétence de la justice libyenne. «Une justice qui a prouvé son intégrité même au temps de Kadhafi!», affirme Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, en ajoutant aussi que «les conditions de détention de Mahmoudi seront meilleures que celles en Tunisie», lance-t-il.
Un deal?
Une délégation tunisienne a déjà effectué une visite en Libye. Son rapport a été publié, le 1er juin 2012. «Toutes les informations sont justes et exactes. Nous n’aurions pas décidé d’extrader Mahmoudi si les autorités libyennes ne nous avaient pas garanti son intégrité physique et un procès équitable», lance M. Dilou.
Selon M. Bhiri, la décision s’est appuyée sur le code des procédures pénales, qui autorise les opérations d’extradition qui n’ont pas de suspicion politique. «La question qui devrait être posée est: pourquoi nous n’avons pas extradé Baghdadi Mahmoudi plus tôt? Plusieurs plaintes pénales sont déposées contre lui. Il est accusé d’avoir ordonné des opérations de viols, d’avoir incité à la violence, etc. La décision de l’extrader est une décision de principe. Nous ne pouvons pas abriter des criminels. Si nous faisons cela, nous encourageons à l’impunité», estime M. Bhiri.
Il ajoute que la Tunisie a respecté les conventions régionales et internationales pour ce genre d’opérations, mais aussi des conventions bilatérales entre les deux pays. «Selon les conventions internationales, on ne peut interdire les opérations d’extradition que dans le cas où il n’a pas droit à l’intégrité physique et à un procès équitable», explique-t-il.
Pas question, donc, d’un deal entre le gouvernement tunisien et le gouvernement libyen, selon M. Bhiri. Certains parlent d’un deal concernant l’octroi de plus d’un million de barils de pétrole à la Tunisie de la part des autorités libyennes et aussi d’un crédit à long terme sans intérêt d’une valeur de 100 million de dollars.
Selon le site français Mediapart, Baghdadi Mahmoudi aurait pris contact via son avocat, le 22 juin 2012, avec le juge de l’affaire Takieddine*. Son avocat aurait révélé à Mediapart que Mahmoudi était amené à parler des financements des campagnes électorales et des questions d’enrichissement personnel. A suivre…