Il n’y a pas une seule vérité, il y en a plusieurs. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, n’a pas du tout apprécié le reportage réalisé par TV5 sur la Tunisie postrévolutionnaire et la décrivant comme un pays vivant dans le chaos absolu. C’était lors d’un entretien qu’il a accordé aux journalistes représentant RFI, TV5 et le journal Le Monde et diffusé sur TV5 dimanche 24 juin.
La Tunisie souffre moins que d’autres pays des conséquences de la révolution, a-t-il tenu à préciser tout comme il n’y a aucune atteinte à la liberté de presse: «Feuilletez les journaux, lisez leurs titres, vous réaliserez que la plupart d’entre eux n’épargnent pas ceux qui gouvernent aujourd’hui, pouvoir de là à parler de censure, c’est trop dire».
Quant à la transition démocratique, elle ne souffre aucune menace. Le modèle social de la Tunisie ne peut tolérer aucune forme d’extrémisme d’où qu’elle vienne. Quant à l’imam qui prêchait à la Mosquée Zitouna, et qui a appelé à l’assassinat des artistes, personne ne le protègera et s’il est convoqué à comparaître devant la justice, il n’y échappera pas comme tous et toutes, a assuré le chef du gouvernement.
Justifiant la montée du salafisme, Hamadi Jebali a indique que c’est un phénomène social qui exprime une tendance idéologique existant sur le terrain, tout comme d’autres courants politiques. «Nous avons appelé les salafistes à s’intégrer dans le processus démocratique dans le respect des régler démocratiques». Les exactions commises par les salafistes doivent être sanctionnées par la loi sans aucune distinction et dans le respect des droits de l’Homme. «Je condamne les actes des salafistes parce qu’ils veulent imposer leurs idées par la violence dans un contexte politique libre».
L’une des plus grandes défaites d’Al Qaïda, laquelle, via Aymen Jawahari, a voulu user de son influence sur les extrémistes tunisiens pour semer le chaos dans le pays, serait la Tunisie, a estimé Hamadi Jebali, «parce que notre pays a prouvé qu’il pouvait y avoir un islam politique modéré. Nous offrons aujourd’hui le modèle idéal pour un changement radical dans une option démocratique».
Définissant le parti Ennahdha, le chef du gouvernement souligné que ce parti «est une expression sociale, populaire d’un peuple ancré dans son identité historique, civilisationnelle, religieuse, mais c’est également la rencontre et le brassage d’une multitude de civilisations dans un pays ouvert par sa géographie avec sa pointe (le Golfe de Tunis) orientée vers l’Europe, ses racines ancrées en Afrique et son étendue sur le monde arabe. Ce sont toutes ces spécificités qui font la Tunisie et le peuple tunisien».
La Tunisie est plurielle, a affirmé Hamadi Jebali: «la démocratie, c’est ma chariaâ, le développement est ma chariaâ, servir l’homme est ma chariaâ, l’amour d’autrui est ma chariaâ. La chariaâ comprend toutes les valeurs universelles de l’Homme». Pour le chef du gouvernement, il s’agit là des fondements mêmes du parti Ennahdha.
Pour le chef du gouvernement, «ans libertés politiques, économiques et sociales, rien ne se fera en Tunisie», a-t-il déclaré aux journalistes. Une affirmation rassurante venant de la part du chef du gouvernement et du secrétaire général du parti Ennahdha, accusé à maintes reprises de laxisme face aux extrémismes religieux.
Jebali a refusé de se prononcer sur l’initiative «Nida Tounes» initié par Béji Caïd Essebsi. «Je suis le chef de gouvernement de tous les Tunisiens, toutes les initiatives sont les bienvenues et c’est au peuple de juger des bienfaits ou des avantages d’un programme politique d’un parti ou d’un autre». Pas de punitions collectives concernant les anciens dirigeants du RCD: «Les sanctions doivent être individuelles et de toutes les manières, la tête du RCD a été décapitée. Les révolutions doivent se défendre dans le respect du droit, de la justice et de l’équité».
«Le capital est lâche»
Certaines questions posées par nos confrères ont frisé le sensationnel tant elles voulaient pousser le chef du gouvernement à se prononcer sur des noms ou sur les soi-disant «partisans» de l’ancien RCD ou des opérateurs économiques, lesquels selon eux seraient encore trop présents. L’énoncé du nom «Kamel Eltaief» a suscité un sourire railleur de la part du chef du gouvernement. Il a presque semoncé le représentant de RFI quant au fait de citer des noms. «On ne peut se permettre de citer des noms, c’est préjudiciable à des personnes qui n’ont même pas comparu ou été condamnées par la justice. Citer des noms porte préjudice aux hommes d’affaires et aux politiciens également, il faut se garder de le faire», a-t-il répliqué.
Le chef du gouvernement a voulu rassurer quant à l’achèvement de la rédaction de la Constitution dans les délais prévus, à savoir au mois d’octobre ainsi que la tenue des élections pour le mois de mars 2013. «Nous avons assez de temps pour honorer nos engagements. Nous avons aujourd’hui l’infrastructure et la logistique nécessaires pour y arriver à temps».
Il n’y aura pas d’épuration, a-t-il promis. «Il faut inciter à la tolérance et au pardon dans le respect de la loi et des droits des uns et des autres pour tourner la page, le contexte économique ne peut plus souffrir ces lenteurs, les investisseurs locaux et étrangers ne peuvent continuer à évoluer dans un contexte qui manque de visibilité». M. Jebali appelle donc les opérateurs économiques à oser investir: «Il faut que nos investisseurs locaux osent investir, qu’attendent-ils pour le faire? Même si, comme nous le savons tous, le capital est lâche. Dans une révolution tout le monde doit jouer le jeu, s’ils ne sont pas actifs, hésitants, s’ils observent une attitude attentiste pour voir qui va gagner et qui va perdre, ils risquent de perdre au change car ils peuvent avoir les résultats qui ne les satisferont pas».
Les journalistes de TV5, RFI et Le Monde ont essayé d’aborder différents thèmes, il aurait cependant été préférable d’éviter des termes comme «épuration». La Tunisie n’est pas l’Allemagne nazi ou la Serbie. Des questions se rapportant aux partisans de l’ancien régime dénotent également d’un manque de maîtrise de l’information crédible en Tunisie et d’une méconnaissance profonde du contexte socio-économique tunisien. Nos confrères français se seraient-ils documentés dans les blogs des apprentis journalistes? Possible.
Quant au chef du gouvernement, nous aurions aimé l’entendre parler dans la langue officielle et maternelle du pays, l’arabe, dans laquelle il s’exprime avec plus d’éloquence et de justesse que dans celle de Voltaire.