Comment moderniser la fonction et l’administration publique? Une question épineuse à laquelle n’ont cessé d’essayer de répondre ministres et gouvernements successifs en Tunisie. Au fil des années, chaque ministre a tenu à y mettre son grain de sel sans que cela atteigne, en profondeur, l’Administration, ce géant aux pieds d’acier…
Mohamed Abbou, ministre de la Réforme administrative, réussira-t-il en une année ce que n’ont pas réalisé ses prédécesseurs durant plusieurs décennies? Il paraît confiant et déterminé: «La dictature ayant disparu, tout doit aller dans le sens de l’amélioration de la gouvernance administrative dans le pays. Je ne prétends pas pouvoir faire des miracles et je pense que le délai est trop court pour que nous puissions effectuer des réformes profondes, mais nous allons quand même entamer ce chantier, quitte à ce que le prochain gouvernement poursuive notre mission», a-t-il déclaré, mardi 26 juin 2012 à l’occasion du lancement de la conférence nationale sur la modernisation de la fonction publique.
Les chantiers auxquels compte s’attaquer le ministre sont les avancements, les nominations, la formation, les plans de carrières ainsi que l’organisation des filières de la fonction publique. «Nous aurions pu nous limiter à mettre en place une stratégie au niveau du ministère et à la soumettre à la Constituante pour approbation. Nous avons préféré associer tous nos partenaires ainsi que les représentants de la société civile à cette conférence nationale pour un consensus national sur la problématique administrative. Nous comptons examiner les différentes propositions et recommandations qui nous seront soumises par les participants à la conférence et qui représentent l’Administration publique dans sa globalité ainsi que nos partenaires sociaux. Nous vous promettons que nous examinerons vos suggestions avec le sérieux qu’il faut et que nous les prendrons en considération dans notre programme de réforme».
Dans un contexte de révision générale des politiques publiques et face à l’impératif d’améliorer les prestations rendues par les établissements publics, la réévaluation de l’Administration s’impose à travers la modernisation du recrutement: «Qui ne doit plus dépendre du pouvoir discrétionnaire du ministre, ce qui implique des risques pour que le choix porté sur le futur commis de l’Etat dépende d’appartenances partisanes ou de sympathies personnelles. Nous tenons à ce que, désormais, un jury se réunisse pour juger de la compétence et de la capacité du candidat à un poste administratif d’assurer au mieux sa tâche et d’être aussi efficient que possible. D’autre part, nous simplifierons au maximum les procédures de participation aux concours publics en agissant pour que tout se fasse dans la transparence et dans le respect des droits des uns et des autres».
Plaider pour une révolution administrative
La simplification des formalités administratives, surtout pour les investisseurs, l’amélioration des compétences par le biais de la formation et du recyclage des fonctionnaires, l’allègement des mesures de contrôle de l’Administration publique, la gestion de la carrière et la rémunération, ainsi que l’amélioration des conditions de travail des agents publics sont aussi importants que le recrutement pour une administration plus efficiente. Il est nécessaire, estime le ministre de la Réforme administrative, que la Tunisie -qui s’est débarrassée de la dictature- accorde plus d’importance à sa gestion administrative. Auparavant, on souscrivait de larges prérogatives à des compétences relativement limitées, dans le contexte actuel de transition démocratique, c’est le contraire qui s’imposerait. Il est d’ailleurs souhaitable que le renouvellement des conventions des contractuels se fasse au niveau des ministères concernés et ne soit plus soumis à l’approbation du Premier ministère: «4.500 maîtres-assistants se verront renouveler leurs contrats cette année».
Les droits syndicaux seront respectés en tenant compte des spécificités et des contraintes de la fonction publique, a indiqué M. Abbou, s’adressant à Hassine Abassi, secrétaire général de l’UGTT invité à l’ouverture de la conférence. Hassine Abassi, qui n’a pas été tendre dans sa réplique au ministre. «Je voudrais attirer l’attention de Monsieur le ministre que dans la Tunisie d’aujourd’hui, il ne s’agit plus de concevoir des lois et de les soumettre aux députés du peuple sans concertations préalables avec les concernés dans la société civile et avec les partenaires sociaux. L’approche participative que prône le gouvernement et que nous défendons tous nous impose avant d’adopter des décisions qui engagent notre pays d’en débattre ensemble».
M. Abassi a estimé que parler de réformes de l’Administration est prématuré alors que l’on est en train de rédiger la nouvelle Constitution du pays. «Attendons de voir ce que la future Constitution comportera au niveau des droits socioéconomiques pour ensuite procéder à des réformes profondes des législations du travail. J’estime que cette approche est la plus logique». Le secrétaire général de l’UGTT n’a pas manqué de rappeler l’adoption sans réserve par la Tunisie des conventions sectorielles 154, 144, 151. Il a insisté sur le fait que la productivité des agents publics est importante mais doit être accompagnée d’efforts de formation et de recyclage ainsi que de l’amélioration de leurs rétributions afin d’éviter les mauvaises pratiques et la corruption. «L’Administration doit être neutre avec pour seul souci de servir l’intérêt général et ne pas être utilisée pour servir des intérêts partisans ou autres».
Il y a quelques années, le gouvernement tunisien avait appelé, dans le cadre d’une conférence nationale, à la modernisation de la fonction publique. A l’époque, Ahmed Zarrouk, aujourd’hui PDG de l’Imprimerie officielle, était directeur général des services administratifs et de la fonction publique. La réflexion engagée à l’époque n’était pas très différente de celle suscitée aujourd’hui car elle appelait à plus d’efficience, une meilleure gouvernance et de meilleures prestations en direction du citoyen et de ses clients et usagers.
Depuis, rien n’a changé en Tunisie au niveau de l’Administration… ou plutôt si… C’est le régime ou le système qui a changé sans plus… Mohamed Abbou pourra-t-il, avec ses partenaires, réhabiliter les notions de mérite et de compétence, renforcer la neutralité de l’Administration et lier l’avancement dans la carrière à la compétence, la productivité et la formation?
Pour y arriver, il aura besoin de beaucoup plus qu’une année et surtout d’une révolution culturelle au sein de l’Administration à laquelle adhèreront tous les agents publics… en toute confiance.
Le pourra-t-il?