L’Association pour la Vigilance et l’Egalité des Chances (AVEC), a invité l’homme de lettres et universitaire Abdelaziz Kacem à donner, au Centre culturel et sportif d’El Menzah 6, une conférence sur le thème «Révolution et éducation». Selon lui, pour réussir, la révolution doit s’employer à la réforme intelligente et courageuse du système éducatif dans son ensemble. Récit.
«Il faudra quelques années pour venir à bout de la corruption et des malversations qui ont sévi pendant les vingt-trois années de pouvoir du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. Mais, il faudra toute une génération pour guérir tout le mal que le régime de Ben Ali a fait subir au système d’éducation tunisien», assure l’homme de lettres, l’universitaire et ancien haut fonctionnaire de l’éducation nationale, Abdelaziz Kacem.
Pour mieux illustrer ses propos, il cite un proverbe chinois qui dit: Si vous souhaitez planter des céréales, il vous faudra un an. Si vous voulez planter un arbre, c’est dix ans qu’il vous faut. Mais si, par contre, il vous vient l’envie de «planter» un homme, c’est un siècle qu’il vous faut.
Ne pas répondre seulement aux attentes du marché
Au cours cette conférence, qui s’est déroulée mercredi 27 juin 2012, Abdelaziz Kacem n’a cessé de défendre une idée: point de révolution si celle-ci ne s’attaque pas à une réforme intelligente et courageuse du système éducatif de l’école primaire à l’université.
En effet, pour notre universitaire, une révolution est le changement d’un ordre ancien par un ordre nouveau qui se doit -et c’est là l’essentiel- d’épouser la modernité et le progrès. «Sinon, nous n’aurons rien fait!», souligne-t-il. Le renversement du général Mohamed Siad Barré en Somalie, en 1991, n’est pas une révolution ayant en définitive abouti à une victoire des Moudjahiddines islamistes dans cette partie du monde qu’est la Corne de l’Afrique. Et Abdelaziz Kacem d’affirmer que le Festival du cinéma de Mogadiscio (la capitale de la Somalie) a longuement concurrencé celui de Carthage.
Comment réformer l’éducation nationale? Pour l’orateur, il faudra d’abord repenser le système éducatif qui ne se doit pas seulement d’être conçu pour répondre aux attentes d’un marché. Certes, il faut penser à l’emploi. Mais, il faut aussi œuvrer à former des têtes bien faites et non pas des têtes bien pleines.
Abdelaziz Kacem estime que l’école a exagéré la spécialisation des apprenants. Cette tendance a donné des femmes et des hommes capables de croire n’importe quoi et n’importe qui. «En fait, commente-t-il, la situation que nous vivons aujourd’hui est bel et bien le fruit de ces vingt-trois années de mauvaise gestion de l’éducation».
Des élèves ne méritaient pas de réussir, ils réussissaient pourtant
Autre ombre au tableau: la politique de passage automatique des classes. Ordonnée sous l’ordre des bailleurs de fonds internationaux, par ce qu’elle n’était pas coûteuse, cette politique a fait trop mal au système éducatif: des élèves ne méritaient pas de réussir, ils réussissaient pourtant.
A ce «dispositif», il faut ajouter deux autres erreurs non moins graves: les changements opérés au niveau des barèmes de notation et des coefficients des matières qui ont favorisé une «plus grande réussite des élèves».
L’orateur s’étonne aujourd’hui que l’on ne se rende pas compte de la nécessité d’engager les réformes nécessaires et que l’on s’attarde, par exemple, à revenir à l’enseignement zeïtounien. Alors que cet enseignement a vécu: les maîtres de cet enseignement comme les cheiks Mohamed Fadel Ben Achour et Mohamed Salah Ben M’rad ont du reste inscrit, avec l’avènement de l’indépendance, leurs enfants à l’école publique de la République.
Le débat qui s’en est suivi est largement revenu sur les malheurs de l’enseignement en Tunisie. En mettant en exergue la disparition de chapitres entiers de l’enseignement de la philosophie et le peu de place accordée aux sciences humaines. Ou encore à l’usage quasi-exclusif de la langue arabe au niveau de tous les cycles de l’enseignement. «Dans de nombreux travaux universitaires, les doctorants ne citent que des ouvrages écrits en langue arabe. Aucune référence n’est faite à des ouvrages essentiels des disciplines, qu’ils soient en langue anglaise ou française», s’insurge un universitaire.
Un autre enseignant s’inquiète du plagiat: sans généraliser, l’heure est, dit-il, au «copier-coller». «Ce qui donne une preuve supplémentaire du fait que l’étudiant n’est plus en mesure de construire un raisonnement comme il n’est pas capable de rédiger correctement. Il est à se demander, dans ces conditions, à quoi sert l’enseignement aujourd’hui», conclut-il.