Nous ne savons pas si le président Marzouki est mal conseillé ou si ses conseillers sont incapables de lui faire entendre raison au risque de mettre les hauts intérêts du pays en péril. Alors que l’agence de notation Moody’s s’apprête à venir en Tunisie, que le gouverneur étudie avec les membres du Conseil d’administration le lancement des réformes du système bancaire et qu’un accord entre la Tunisie et le FMI doit être signé, Monsieur Marzouki a voulu user de ses prérogatives présidentielles.
Bravo Monsieur le président, nous réalisons tout d’un coup que vous êtes un grand homme d’Etat et que vous êtes très doué pour choisir ainsi que vos conseillers le timing des grandes décisions engageant le pays!
D’ailleurs, le président est allé jusqu’à refuser de signer deux projets de loi, relatifs à l’amendement de l’accord de création du FMI (Fonds monétaire international) et à l’autorisation de l’augmentation de la part de la République tunisienne dans ce Fonds. Il aurait demandé «le report de la signature de ces projets jusqu’à l’examen du projet de loi présenté par un groupe de constituants, sur l’organisation d’une opération d’audit des dettes de la Tunisie, contractées avec les institutions internationales de crédits et des pays étrangers, étant donné que ces deux questions sont liées».
Magnifique, de mieux en mieux! Maintenant nous allons nous mettre le FMI sur le dos. Monsieur Marzouki ne porte pas M. Nabli dans son cœur, donc pas de signature.
Officiellement, il explique sa position par le fait que «c’est rendre justice à la révolution tunisienne que de mener aujourd’hui un audit des dettes pour vérifier si ces dernières sont légalement à la charge de l’Etat tunisien ou de l’ancien régime, lequel a obtenu ces crédits ou une partie d’entre eux, non pour servir l’intérêt du peuple et du pays mais pour s’assurer les instruments de la dictature et de la répression et pour servir les personnes influentes financièrement et les cercles de la corruption».
De grâce Monsieur le président, arrêtez d’user du terme «Révolution» à chaque fois que vous voulez faire avaler une pilule amère à vos compatriotes, à fortes doses, il risquerait d’avoir l’effet contraire, même le populisme a ses limites…
L’ANC, elle, avait adopté, le 13 juin, les deux projets de lois relatifs à l’autorisation de l’augmentation de la part de la Tunisie au FMI et l’amendement de l’accord de création du FMI.
Mais le président de la République n’aime pas le gouverneur, alors la Tunisie doit trinquer…
Pourtant, tout le monde a bien cru le chapitre révocation de MKN clos juste après la polémique suscitée par la possibilité de sa révocation, il y a près d’un mois. Moncef Marzouki avait alors déclaré sur une chaîne de télévision «ana ra’iss eddaoula…ey bech ntardou» (Je suis le président de la République et je vais le congédier…). Soit dit en passant, en s’exprimant ainsi, le président ne porte pas atteinte à la personne du gouverneur de la Banque centrale mais à l’image de l’Etat d’autant plus qu’il n’avait pas hésité à assurer qu’il avait pris la décision depuis six mois. Pourquoi? Sur quelles bases? En «économiste averti», il devrait peut-être nous éclairer… Dans l’attente, l’usage veut que les hauts fonctionnaires de l’Etat ne soient pas congédiés mais appelés à d’autres fonctions…
Le limogeage de Mustapha Kamel Nabli, jusqu’à aujourd’hui non entériné et officialisé par les élus du peuple pour entrer définitivement en vigueur, est pour le moins surprenant. La décision de mettre fin aux fonctions du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie n’est pas une réaction à l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, avait affirmé le porte-parole de la présidence de la République, Adnane Manser. Alors pourquoi maintenant? Où en était l’urgence? Marzouki serait parti au fin fond du désert tunisien et on a livré le Premier ministre libyen aux autorités de son pays, Jebali part en France et on destitue le gouverneur de la BCT.
Et qui paye les pots cassés de ces anicroches inter-présidentielles? La Bourse de Tunis, qui a terminé à la baisse hier? Les investisseurs?
Car rien ne va plus dans le pays des Jasmins et toutes les promesses du gouvernement Jebali pour rassurer investisseurs, opérateurs privés et peuple semblent insuffisantes devant les réalités socio-économiques et politiques du terrain. Devant les faits et les agissements, les paroles ne riment plus à rien.
Nous tenons à notre autonomie mais aussi à rendre compte de nos décisions.
Pourtant, le 19 juin dernier, Mustapha Kamel Nabli s’était présenté devant des membres de la Constituante pour 4 heures de discussions houleuses à propos des réalisations de la BCT depuis le 14 janvier, et à ce jour, la politique monétaire et le rôle de la BCT dans l’amélioration du système bancaire national. M. Nabli avait applaudi l’initiative prise par la Constituante car, a-t-il déclaré, «nous tenons à l’indépendance de la BCT mais aussi à ce qu’elle rende compte de ses réalisations. L’exercice de la démocratie est ainsi: indépendance et questionnements».
Le gouverneur avait alors expliqué que l’une des missions à laquelle il s’est attelé depuis sa désignation à la tête de la Banque centrale était l’amélioration de la politique monétaire de la Tunisie, l’assainissement du secteur bancaire et financier de la corruption et également l’épuration des billets de banques des symboles de l’ancien régime. Ainsi, il a été décidé la mise circulation de deux nouveaux billets de banque de 5 et 10 dinars d’ici fin 2012.
Le gouverneur avait expliqué à l’occasion les dangers de l’interventionnisme de l’Etat dans la gestion de la politique monétaire. «Car, pour que le rôle de la BCT soit efficient dans la mise en place de la politique générale de développement du pays, il faut qu’elle puisse être autonome dans la prise des décisions qui y correspondent le mieux et le plus dans l’intérêt du pays».
Le risque est que l’on use de la politique monétaire à des fins politiciennes de courts termes qui pourraient menacer les équilibres financiers du pays. L’autonomie de la Banque centrale n’est pas absolue, elle doit être accompagnée de réalisations par objectifs, de la visibilité et de la transparence nécessaire dans la prise de toutes les décisions, avait alors indiqué M. Nabli.
Pour ce qui est de la récupération des biens à l’étranger, le gouverneur avait, à l’occasion, rappelé que la justice tunisienne a déposé plus de 60 requêtes judiciaires auprès des tribunaux étrangers. «Le niveau de coopération des tribunaux étrangers n’est pas celui que nous souhaitons vraiment, il reste assez limité et entre ce que vous entendez comme discours politiques officiels et la réalité du terrain, la différence est très grande. Il ne s’agit pas de problèmes procéduraux ou de jugements mais de décisions politiques».
Concernant le taux de croissance en Tunisie, le gouverneur avait indiqué que les chiffres avancés par la BCT ne sont pas différents de ceux avancés par le gouvernement puisque les experts reviennent à l’INS pour les recueillir. «Je voudrais préciser que la BCT cherche à présenter une évaluation objective de la réalité du contexte économique dans notre pays. Nous n’avons jamais voulu déstabiliser le gouvernement. Il faut prendre en compte le contexte économique international». Kamel Nabli a réfuté violemment les prétendues rumeurs qui l’accusent de vouloir engager une guerre avec le gouvernement. «Je suis là pour servir l’intérêt de mon pays et son développement de la meilleure manière qui soit. Je voudrais également attirer l’attention de tout le monde que la politique monétaire n’est pas une science exacte».
Le face à face Nabli/membres de la Constituante a permis de mettre la lumière sur un certain nombre de points touchant à la marche, au programme et à la politique monétaire entreprise par la Banque centrale. Au sortir de l’audition, les observateurs de la scène politiques et économique espéraient le rétablissement de rapports courtois et professionnels entre gouvernement et Banque centrale pour le bien du pays. D’ailleurs, la poignée de main chaleureuse, échangée entre Jebali et Nabli samedi dernier lors du lancement de la consultation nationale sur la loi des Finances 2013, ne laissait en rien présager une décision de révocation du gouverneur approuvée par chef du gouvernement.
Maintenant, quelles en seront les conséquences sur le pays? Le gouvernement tunisien jugé par Standard and Poor’s incapable d’améliorer la situation économique pourrait-il protéger le pays de nouvelles dégradations de sa note?
A l’Institut arabe des chefs d’entreprise, les experts appellent à «stabiliser le cadre politique par l’annonce d’un calendrier clair et bien défini» concernant la tenue des prochaines élections, énoncer tout aussi clairement «les modalités d’assainissement des rouages de l’Etat», et mettre en place des règles et mécanismes transparents. Le but étant d’envoyer aux acteurs et investisseurs tunisiens et étrangers des «signaux forts» concernant à la fois l’engagement démocratique et la libéralisation économique.
Ce n’est pas évident devant un pays à deux têtes qui n’arrivent même pas à accorder leurs violons dans l’intérêt du pays.
Homère a dit: «Les mauvais bergers sont la ruine du troupeau». Eschyle a, pour sa part, dit: «La démesure en fleurissant produit l’épi de la folie, et la récolte est une moisson de larmes». En limogeant MKN sans raisons précises, le président de la Tunisie est-il dans la démesure?