La proposition de loi visant l’exclusion des destouriens ou RCDistes, toutes catégories confondues, ceux impliqués et ceux qui ne le sont pas, les opportunistes parmi eux et les convaincus, a-t-elle été inspirée par les lois édictées durant la période de l’occupation allemande en France par le gouvernement de Vichy?
A voir les propos haineux et vindicatifs exprimés par des personnalités politiques sensées avoir souffert elles-mêmes d’exclusion, l’on se demande bien si la prétendue révolution tunisienne visait le passage d’un régime totalitaire à un régime pluraliste et démocratique ou plutôt le maintien du principe d’exclusivité en changeant tout juste les personnes.
Car quelle légitimité révolutionnaire ou légalité républicaine pourraient bien justifier l’exclusion d’un pan de la population tunisienne et la confiscation de leurs droits civiques sous prétexte qu’elle a servi sous un régime «totalitaire»? Autant construire des camps de concentration et l’y placer, pendant que nous y sommes. Walid Bannani du parti Ennahdha est allé, lors du programme «Al Machhad Al tounssi» jusqu’à dire que : «A ce jour, il n’y a pas eu d’épuration des RCDistes, ils ne se sont pas épurés eux-mêmes». Walid Bannani, devrait d’ailleurs être mieux coaché pour mener correctement et dans le respect de ses interlocuteurs un débat politique.
Comment ne pas être déçus en voyant ceux qui dirigent le pays incapables de prendre de la hauteur et œuvrer à ce que la nouvelle Tunisie soit édifiée par tous les Tunisiens, destouriens compris s’ils ne sont pas corrompus et n’ont pas du sang sur les mains?
Comment osons-nous, dans un contexte postrévolutionnaire, juger les autres sur leurs convictions idéologiques? Des convaincus, quelle que soit leur doctrine? La démocratie et le pluralisme ne consistent-ils pas à agréer la coexistence pacifique de différentes tendances politiques, idéologiques et culturelles au sein d’une même aire? Est-il plus normal de défendre les djihadistes ou des terroristes potentiels entraînés dans des camps afghans et pakistanais et ceux qui prônent le khalifat et le retour de la Tunisie au Moyen-âge plutôt que de tolérer la présence des destouriens dans l’espace politique tunisien? Destouriens, lesquels, malgré toutes leurs erreurs et leurs responsabilités dans l’état auquel est arrivé aujourd’hui le pays, sont historiquement, avec les syndicalistes, ceux qui ont mené la lutte nationale contre la colonisation française.
Ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas là d’une défense aveugle des destouriens ou des RCDistes, mais plus que tout il s’ait de la défense du droit de tout Tunisien intègre, quelle que soit l’idéologie qu’il porte, à condition qu’elle soit pacifiste, d’exercer ses droits citoyens dans son pays.
Serait-ce trop demander pour nous Tunisiens, héritiers d’une civilisation plusieurs fois millénaire que de rêver d’entre nous un «Nelson Mandela» qui disait: «Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté. L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité».
Comment se sentir en paix avec sa conscience -si nous en avons une bien entendu-, si l’on prive, sous prétexte de représailles et d’abus de pouvoir non prouvés pour certains, un individu de ses droits civiques parce qu’il portait ou défendait d’autres convictions?
La grandeur d’un Mandela, nous ne la voyons nulle part dans notre pays, pourtant si grand par son histoire et sa culture. Nous n’osons même pas imaginer quelqu’un déclarer comme lui: « Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé». Car en fait, le statut d’ennemis de l’ex-RCD ou PSD protège ceux qui dirigent aujourd’hui des compétences, d’expertises et de savoir-être et faire qui représentent des menaces beaucoup plus sérieuses pour certains apprentis politiques que le fait qu’ils aient été partisans du RCD ou du PSD avant la «Révolution».
La Tunisie s’est libérée d’un dictateur, pourrait-on espérer voir certains d’entre ceux qui président aujourd’hui à sa destinée se libérer de leur haine, de leurs préjugés et de l’étroitesse de leurs esprits?
Hachemi Hamdi, fondateur du parti Al Aridha, d’obédience islamiste, auquel on n’accordait pas beaucoup de crédit politique, avait refusé et condamné le projet proposé par la Troïka pour reconduire l’interdiction des RCDistes de participer aux prochaines élections en Tunisie.
Est-ce parce qu’il a plus confiance en sa capacité à mobiliser le terrain au profit de son parti?
Fathi Ayedi, président du Comité constitutif du Mouvement Ennahdha, avait, pour sa part, déclaré sur les ondes de Mosaïque FM que son parti tient au projet de loi pour l’interdiction de l’exercice politique des ex-RCDistes. Dans ce cas, pourquoi pas des procès politiques pour délimiter les responsabilités de ceux qui ont exercé durant les 55 dernières années et ont été impliqués dans des délits ou des infractions.
L’épuration administrative a déjà commencé dans notre pays et les soi-disant destouriens qui ne serviraient pas à grand-chose seraient déjà mis au frigo. Pour ce qui est du peuple tunisien qui a la chance d’avoir à son service le plus grand nombre de porte-paroles qui aient jamais existé dans une démocratie naissante, «épurer» le pays des destouriens n’est certainement pas classé priorité absolue. Au sommet de ses préoccupations, figurent, peut-être, le fait de trouver du travail à sa progéniture, d’améliorer ses conditions et sa qualité de vie et dispenses une éducation et une couverture sanitaire meilleures pour ses enfants.
Les démagogues de la politique devraient peut-être éviter de noyer les problèmes fondamentaux du peuple tunisien dans de faux problèmes qui seraient plus du ressort des tribunaux politiques, si nous en avions ou d’autres. Faux problèmes qui finissent aujourd’hui par faire vraiment clichés en l’absence de réalisations concrètes.
Samir Ben Amor, membre du CPR et conseiller porte-parole de la présidence de la République, n’a pas hésité, lors d’un débat télévisé (toujours), à lancer sa cabale contre les RCDistes et destouriens. Il aurait mieux fait de mieux conseiller son président afin de préserver l’image de l’Etat et de la République qui ne s’est jamais autant mal portée. Partant des déclarations intempestives de Moncef Marzouki, lequel, dans sa folie des grandeurs, voudrait édifier le Maghreb en quelques mois ou qui n’a même pas la force ou le cran de mettre fin aux bévues du ministère des Affaires étrangères qui veut faire de la Tunisie une terre «halal» pour tous les débarqués des quatre coins de la planète.
L’exclusion remet en cause l’essence même du concept citoyenneté. Les droits civils et politiques revêtent autant d’importance que le droit à un procès équitable et celui à la sécurité et à la dignité. Les principes démocratiques et républicains ne peuvent souffrir l’exclusion économique, sociale, ou civique.
Les progrès d’une démocratie se mesurent à sa capacité à fédérer, unir et rassembler le peuple autour des principes et des valeurs d’égalité, de justice, d’équité, de tolérance, de liberté, de pardon et de respect de la différence. La discrimination n’a jamais fait partie du jargon démocratique encore moins des principes républicains.