Tunisie – Médias : On n’est pas encore sorti de l’ornière!


medias-030721012.jpgS’il
est vrai que les médias se sont libérés du joug du régime de Ben Ali qui les
tenait sous sa coupe, la liberté d’expression est, toutefois, encore menacée en
Tunisie. De vieux réflexes ressurgissent, a-t-on souligné dans une rencontre
dédiée par l’association Lam Echaml sur «Liberté d’expression, régulation des
médias et nouvelle Constitution». Une rencontre qui est revenue encore une fois
sur la situation des médias publics de l’audiovisuel tunisien.

Etrange époque que celle que nous vivons aujourd’hui. «La période où le
black-out sur l’information», a assuré Anouar Moalla, expert en communication et
cheville ouvrière de la rencontre organisée, samedi 30 juin 2012, à Tunis, par
l’association Lam Echaml (Resserrer les rangs), sur «Liberté d’expression,
régulation des médias et nouvelle constitution». Mais «la liberté d’expression
est encore menacée», a confié Taher Ben Hassine, directeur de la chaîne de
télévision privée «Alhiwar Attounsi». Le directeur de cette chaîne, qui a été
attaquée, le 26 mai 2012, et a vu une partie de ses équipements endommagée, a
soutenu, à ce titre, que le pays vit la même situation que celle sous le régime
du président déchu Ben Ali.

Olivia Gré, chef de mission en Tunisie de l’association Reporters sans
frontières (RSF), qui défend les journalistes à travers le monde, est venue
exposer les résultats de l’observation faite par cette organisation de la
réalité de la presse en Tunisie, depuis octobre 2011. Elle estime que des
«violences graves» ont été recensées: agressions verbales et physiques,
intimidations, confiscations de matériels, cambriolages… Des actes qui ont été
le fait de citoyens, de policiers et d’extrémistes.

De vieux réflexes qui ressurgissent

Apportant un témoignage, à cette occasion, la militante des droits de l’Homme,
Naziha Rejiba, plus connue sous le nom d’Oum Zied, estime, dans le même ordre
d’idées, que les choses n’ont pas toujours bien changé depuis notamment
l’installation de la Troïka au pouvoir. Evoquant le paysage médiatique tunisien,
elle a donné pour exemple de la persistance des pratiques d’hier, la diffusion
tous les jeudis, sur la chaîne publique «Al wataniya1», d’une émission
religieuse au cours de laquelle on prône un modèle de société contraire aux lois
du pays.

Moufida Abassi, journaliste et productrice d’émissions à la télévision
tunisienne, a regretté, pour sa part, que des journalistes continuent à faire
l’objet de pressions. «Le pouvoir en place continue à interférer dans les
affaires des médias comme le faisait hier le régime Ben Ali», a-t-elle expliqué.
Il s’agit de vieux réflexes qui ressurgissent, a-t-elle soutenu. Ainsi,
l’Assemblée constituante ne souhaite pas livrer les Procès verbaux de ses
réunions, et ses membres préfèrent plutôt donner des interviews. Insistant sur
le fait que les mentalités ont la peau dure.

Repenser le modèle économique des médias tunisiens

Sur un autre plan, elle a estimé qu’il faut repenser le modèle économique des
médias tunisiens qui disposent de peu de moyens pour faire correctement leur
travail. Elle a, à ce propos, évoqué le faible nombre de cameramen (33 sur les
quelque 1.200 personnes employés) et les bas salaires pratiqués à la télévision
publique. Ces conditions ne sont pas de nature à aider au développement, par
exemple, a-t-elle déclaré, du journalisme d’investigation qui exige certes des
compétences mais surtout des moyens.

On a beau chasser l’audiovisuel public des débats sur la situation et l’avenir
des médias en Tunisie, il revient très vite au galop. Pour Ridha Najjar,
professeur à l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information) de
Tunis et consultant en communication, l’audio-visuel public a mal: moyens
financiers limités, lourdeur au niveau de la gestion, sureffectif… Une situation
qui ne peut plus durer. Elle exige notamment de procéder à un état des lieux qui
devra arrêter un programme d’action.

Sur un autre plan, et à l’heure de la concentration et de la convergence des
médias, il faudra changer de fusil d’épaule. En mettant en place une structure
pour organiser le fonctionnement du marché –notamment sa régulation- qui prendra
en charge des aspects aussi importants et convergents que sont l’audiovisuel, la
presse écrite, la presse électronique, les mesures d’audience et la publicité.

Question importante évoquée par Kamel Labidi, président de l’INRIC (Instance
nationale de réforme de l’Information et de la Communication), celle de la
désignation des responsables de l’audiovisuel public. Alors qu’un texte existe
depuis novembre 2011 (il s’agit du décret-loi sur l’audiovisuel qui a créé une
Haute autorité de l’audiovisuel tunisien), le gouvernement ne semble pas vouloir
lui donner vie. Kamel Labidi s’interroge, à ce chapitre, pourquoi la Tunisie ne
ferait pas comme l’Afrique du Sud où toute personne qui souhaiterait diriger une
institution publique de l’audiovisuel présente un dossier comportant notamment
son programme d’action et se plie à l’exercice démocratique qui consiste à ce
qu’il soit jugé par une instance?