Entrer en Tunisie avec une simple carte d’identité nationale sans avoir à présenter de passeport. Cette liberté de circuler, annoncée unilatéralement par la Tunisie, dans le cadre d’une application unilatérale des «cinq libertés» s’est arrêtée pour les Algériens qui l’ont testée au poste de frontière. L’impatience maghrébine très réaliste du président Moncef Marzouki se heurte immédiatement aux réalités politiques. Mais elle pourrait, en mettant les choses sur la place publique, contribuer à bousculer les lignes.
Les agents de la PAF et des douanes algériennes ont signifié à ceux qui voulaient entrer en Tunisie que les modalités de passage habituels restaient de mise. Sans passeport… pas de passage. De manière officieuse, un responsable algérien des affaires étrangères, cité par El Khabar, a estimé que la mesure était inopportune en raison de la situation sécuritaire qui prévaut dans le triangle commun entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Cette situation, indique la source, «n’encourage pas, dans les circonstances actuelles, à appliquer une telle décision». En tout cas, indique la source, l’Algérie n’appliquera pas la réciprocité à une mesure prise unilatéralement par la Tunisie.
Il n’y a pas que les responsables algériens à s’agacer du volontarisme des responsables tunisiens. Ainsi, au nom de l’Association Tunisienne pour la Transparence Financière (ATTF), Sami Remadi a qualifié les mesures annoncées par Abdalah Triki, secrétaire d’Etat tunisien aux Affaires arabes et africaines de «menace» pour la Tunisie. Que ce soit pour la «sécurité», pour l’emploi, l’identité, la cohésion nationale et last but not least pour la souveraineté de la Tunisie. Et dans un pays où l’ouverture politique se traduit par de fortes polarisations idéologiques, c’est au nom du rejet du «panarabisme» qu’incarnerait Moncef Marzouki qu’une pétition hostile aux mesures circule sur le net. Parfois avec des arguments contre le «vote des étrangers» aux accents qui rappellent le discours anti-immigrés de la droite et de l’extrême droite française. Il est vrai –et pas seulement pas idéalisme– les responsables tunisiens tentent de bousculer les lignes et de vaincre l’immense force d’inertie qui entrave le démarrage de l’UMA.
Frapper les imaginations à la veille du sommet de l’UMA
«J’ai une bonne et mauvaise nouvelle: la mauvaise est que la Tunisie n’a aucun avenir en Tunisie, la bonne nouvelle est que la Tunisie est en train de bâtir un espace maghrébin pour s’épanouir». La boutade de Moncef Marzouki, président provisoire de la République tunisienne faisant référence aux «cinq libertés» est tout à fait réaliste. L’argumentaire avancé par Sami Remadi selon lequel la libre circulation menacerait les emplois en Tunisie est, selon de nombreux experts, un non-sens économique… sauf si cette liberté restait totalement unilatérale. Or, ce n’est pas sa vocation. La décision tunisienne qui frappe les imaginations des Maghrébins a pour vocation de centrer le débat sur les mesures concrètes à prendre à l’approche du sommet de l’Union du Maghreb (UMA) qui devrait avoir lieu le 10 octobre prochain, à Tabarka.
Le président Moncef Marzouki –certains lui reprochent injustement son côté «militant» qui fait pourtant sa grande qualité dans le concert des responsables maghrébins– fait preuve d’une «impatience maghrébine» que d’aucuns espèrent «contagieuse». En décidant sans attendre de mettre en application les «cinq libertés» (circulation, résidence, travail, investissement et élections des conseils municipaux), il tente de bousculer les choses. L’ambition maghrébine du président tunisien, Moncef Marzouki, est marquée du sceau du réalisme, car l’avenir de l’économie du son pays est dans le Maghreb. Cette ambition ne semble pas affectée par les vicissitudes de la vie politique interne et la montée des tensions au sein du pouvoir après la décision du chef du gouvernement islamiste, Hamadi Jebaïli, d’extrader l’ancien Premier libyen vers Tripoli. La volonté de donner une impulsion au projet maghrébin reste forte.
L’appel de Carthage
Début juin, un séminaire sur les «cinq libertés dans l’UMA: vision d’intégration» était organisé au Palais de Carthage. Le séminaire s’est terminé par «l’Appel de Carthage» où les participants, ont estimé qu’il ne suffit pas d’annoncer ce projet des cinq libertés dans les discours, «il est impératif de le concrétiser sur le terrain». Et les arguments économiques « réalistes» n’ont pas manqué au cours du séminaire des « cinq libertés». Cathrine Baumot-Kaitea, experte économique à la BAD, a relevé que le Maghreb est «l’une des régions les moins intégrées parmi les groupements qui existent dans le monde», en dépit des relations historiques qui les lient, ce qui coûte aux pays maghrébins de 2 à 3% de leur PIB.
Ce chiffre du coût du non-Maghreb fait parfois l’objet de discussions byzantines mais il est admis que plus d’intégration intermaghrébine est une source de croissance. Et qu’en tout état de cause, les «4 millions de chômeurs» qui existent dans le Maghreb poussent à aller vers plus d’intégration économique.
L’expert Boujemaâ Remili a relevé que le nombre de consommateurs maghrébins atteindra les 120 millions en 2020. Manifestement, la volonté de Moncef Marzouki de bousculer les lignes maghrébines ne relève pas du pur sentimentalisme. Les premières réactions montrent que l’inertie est bien le problème maghrébin majeur..