En Tunisie, le secteur des technologies de l’information et de la communication a fait un grand bond en avant au cours des deux dernières décennies, mais il a encore un important potentiel de croissance dont l’exploitation est susceptible de doper l’économie du pays. D’après Carlo Maria Rossotto, expert principal des TIC à la Banque mondiale, chaque progression de 1% du taux de pénétration des TIC entraîne une croissance du PIB de 1,4%. Alors que la libéralisation du secteur des télécommunications l’augmente de 1%.
Déterminée à «déverrouiller» ce potentiel, la Banque mondiale (BM) recommande de mettre en œuvre un plan de réformes destinées à réduire le point et l’influence de Tunisie Télécom sur le secteur, consigné dans une note intitulée «comment déverrouiller le potentiel du développement des TIC pour répondre aux impératifs de la compétitivité axée sur l’innovation», rendue publique le 18 juin dernier. Dont la principale conclusion est que la libéralisation des télécommunications génèrera un point de croissance supplémentaire et de «servir trois des stratégies postrévolution» du gouvernement: promouvoir une économie basée sur la connaissance, créer les conditions favorables à l’amélioration de la productivité et de l’esprit de libre entreprise, et favoriser l’intégration dans l’économie mondiale.
Afin de «débloquer les potentialités de développement de la Tunisie en matière de TIC et parvenir à fournir aux utilisateurs des services de très haute qualité à un prix abordable», la BM suggère, d’abord, d’assouplir le monopole de l’Etat et le contrôle exercé sur le marché.
Compte tenu des expériences d’autres pays –dont la Turquie et le Chili- ayant démontré l’importance du marché concurrentiel dans la perspective de la création «d’industries florissantes et diversifiées dans le domaine des TIC et des médias», il est recommandé que «les différents segments du marché et des infrastructures soient totalement libéralisés».
En Tunisie, le problème réside dans le fait que «le rôle dominant de Tunisie Télécom dans tous les segments du marché des infrastructures a constitué une restriction et une limitation sévère pour le développement des TIC tunisiennes».
La Banque mondiale en donne un exemple en mettant en avant l’inutilité, pour ne pas dire, la nocivité du rôle de l’Agence Tunisienne de l’Internet (ATI). Soulignant que «la configuration tunisienne est unique et fortement liée au système de contrôle de l’ancien régime», la note estime que «l’existence de l’ATI n’est pas fondamentalement nécessaire».
Deuxième mesure proposée, l’octroi aux concurrents de Tunisie Télécom du droit de construire leurs propres passerelles internationales, qui devrait se traduire «par un coût moindre et une meilleure circulation de l’information pour les utilisateurs» -la baisse des prix escomptée se situe entre 50 et 80%- et par une amélioration de l’intégration régionale, puisque «le monopole de Tunisie Télécom sur les liaisons internationales est très coûteux pour l’économie dans son ensemble et entrave la compétitivité tunisienne dans un créneau important pour cette économie: la délocalisation des TIC».
Troisième mesure conseillée, l’autorisation de l’utilisation des infrastructures alternatives –appartenant à certaines sociétés nationales (STEG, SNCFT, Tunisie Autoroutes, etc.)- comme backbone national; une disposition «urgente pour faire face à l’augmentation du “trafic“ des TIC et soutenir le développement du pays». Car, à défaut, «le manque d’investissements dans les infrastructures depuis 2004 qui est le fait de Tunisie Télécom, nuirait fortement à l’avenir du haut débit en Tunisie, et en particulier au développement des services à très haut débit».
Pour créer le contexte favorable à l’adoption et à la mise en œuvre de la réforme souhaitée, la Banque mondiale a visiblement bien compris par où il lui faut aborder le secteur des TIC en général et celui des télécommunications en particulier: l’Instance Nationale des Télécommunications (INT). Le problème le plus important auquel fait face la Tunisie dans ce domaine étant, selon Carlo Maria Rossotto, de «doter l’opérateur historique leur permettant de faire face à une croissance accrue», le choix semble avoir été fait par la Banque mondiale et les autorités d’adopter ce que l’on pourrait appeler la tactique du billard, c’est-à-dire de pousser Tunisie Télécom à se transformer non pas en agissant directement sur l’opérateur historique mais via l’INT pour lui donner les moyens de devenir ce qu’elle n’a été jusqu’ici que très imparfaitement: un arbitre qui applique les règles sans concession.